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Contrairement aux activités de pompes funèbres, la marbrerie funéraire ne fait que peu l’objet de règles spécifiques et échappe aux programmes des formations obligatoires des dirigeants et conseillers funéraires. Les litiges en la matière avec les familles sont pourtant fréquents, ainsi qu’en témoigne une jurisprudence abondante. En l’absence de règles spécifiques, c’est le droit commun de la construction qui trouve à s’appliquer : contrat d’entreprise, notion d’ouvrage, garantie décennale… Revenons sur vingt ans de jurisprudence qui ont ébauché l'application du droit de la construction en matière de marbrerie funéraire.


Le caveau, un "ouvrage" au sens de l’art. 1792 du Code civil

Le CTMNC(1) définit le caveau (et cave-urne) comme un "ouvrage, souterrain ou hors sol, destiné à recevoir des cercueils, des urnes funéraires et au-dessus duquel est généralement installé un monument funéraire ou cinéraire. Il assure la protection du cercueil ou de l’urne contre tout risque d’écrasement par la terre. Il n’empêche pas la présence d’eau"(2).

Dans un ancien art. A. 241-2 du Code des assurances, aujourd’hui abrogé, un bâtiment (un ouvrage) était défini comme une construction élevée sur le sol "à l’intérieur duquel l’homme est appelé à se mouvoir", définition devenue usuelle en droit de la construction.

La question se posait donc de savoir si un caveau constituait ou non un ouvrage au sens de l’art. 1792 du Code civil. C’est par l’affirmative que la 3e chambre civile de la Cour de cassation répondra dans un arrêt fondateur, rendu le 17 décembre 2003(3), élargissant ainsi la définition de la notion d’ouvrage.

La qualification d’ouvrage du caveau funéraire est lourde de conséquences. En effet, à la responsabilité civile de droit commun, s’ajoutent trois régimes de responsabilité supplémentaires susceptibles d’être portés à la charge de son constructeur.

Les fondements "spéciaux" de responsabilité en matière de construction

Ces fondements de responsabilité sont prévus aux articles 1792 et suivants du Code civil.

- La garantie décennale protège l’acquéreur pendant dix ans de tout désordre affectant la solidité ou la destination de l’ouvrage (art. 1792, C. civ.) ;
- La garantie biennale est quant à elle mobilisable pendant une période de deux ans lorsque les désordres affectent des éléments indissociables des ouvrages de viabilité, fondation, ossature, clos ou couvert (art. 1792-3, C. civ.) ;
- La garantie de parfait achèvement, beaucoup plus large, peut être engagée pour tout désordre signalé dans l’année qui suit la réception de l’ouvrage.

Précisons en outre que, la construction d’un caveau par un opérateur funéraire ou un marbrier constitue un contrat d’entreprise et exclut à ce titre le jeu de la garantie des vices cachés (art. 1641 et s. du Code civil), exclusivement réservée aux contrats de vente(4).

Tel sera également le cas s’agissant de la fourniture et de la pose d’un monument par l’entreprise funéraire. En la matière, en effet, la jurisprudence considère que "le travail de la pierre puis sa pose au moyen de travaux de maçonnerie sont prépondérants dans le contrat et répondent à une demande spécifique de mise en œuvre présentée par le client. Il s’en suit que […] le contrat constitue un contrat d’entreprise"(5) (et non un contrat de vente).

Notons cependant que si les régimes de responsabilité propres au domaine de la construction n’ont pas vocation à s’appliquer à la seule fourniture et / ou pose d’un monument, tel ne sera pas le cas si la pose du monument a été effectuée dans le cadre d’une opération globale incluant la construction d’un caveau, si un désordre affectant un élément du monument est de nature à porter atteinte à la solidité ou à la destination du caveau(6).

L’obligation d’assurance décennale de l’opérateur funéraire

La garantie décennale est soumise, à l’instar de l’assurance obligatoire en matière de véhicules, à une obligation pour tout constructeur, de souscrire une police d’assurance. Cette obligation découle de l’art. L. 241-1 al.1 du Code des assurances : "Toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code civil, doit être couverte par une assurance".

Notons, que cette obligation d’être couvert par une assurance décennale doit être justifiée avant l’ouverture du chantier ou toute conclusion de marché public (art. L. 241-1 al., C. ass.). Précisions enfin, que le sous-traitant de l’opérateur funéraire qui a construit le caveau n’est pas tenu de s’assurer en responsabilité civile décennale, bien que la durée de sa responsabilité envers son donneur d’ordre soit également de dix ans (art. 1792-4-2, C. civ.) (7).

Ainsi, tout opérateur funéraire commercialisant des caveaux est tenu de souscrire une police d’assurance en responsabilité civile décennale, quand bien même il sous-traiterait la totalité de ses constructions de caveaux.
Le défaut d’assurance décennale :

un délit pénal

En raison de son caractère obligatoire, le défaut d’assurance décennale pour un constructeur est sanctionné sur le terrain pénal. Ainsi, l’art. L. 241-3 du Code des assurances dispose que "Quiconque contrevient aux dispositions des articles L. 241-1 à L. 242-1 du présent Code sera puni d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 75 000 € ou de l’une de ces deux peines seulement".

Point de départ de la responsabilité du constructeur : la réception

La question est très fréquemment posée s’agissant de mettre en œuvre la responsabilité civile décennale des opérateurs funéraires en matière de construction de caveau. L’art. 1792-6 al.1 du Code civil dispose que "La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement".

Habituellement, la réception de l’ouvrage se matérialise par l’établissement d’un procès-verbal sur lequel le client peut éventuellement émettre des réserves. En matière funéraire, il est fréquent que la réception ne soit pas matérialisée par un écrit, de sorte que pour déterminer si la responsabilité de l’opérateur funéraire peut être engagée c’est au juge de déterminer si la réception a eu lieu au moins tacitement, ou non.

La réception tacite

En l’absence de procès-verbal de réception, le juge doit en premier lieu déterminer si une réception tacite a néanmoins eu lieu et la jurisprudence en matière de caveau funéraire est abondante. Pour déterminer si une réception tacite a eu lieu, le juge se fonde sur des principes jurisprudentiels anciens tels que la prise de possession et le paiement intégral ou quasi-intégral(8).

Tel sera le cas en matière funéraire, si le paiement intégral des factures a été effectué sans réserves(9) et à plus forte raison si, de plus, une inhumation a eu lieu, caractérisant ainsi une prise de possession(10).

Tel ne sera en revanche pas le cas si, même en l’absence de réserves expresses, le client a retenu une somme conséquente sur le paiement de la facture et a été dans l’impossibilité d’y inhumer un défunt en raison de désordres imputables à l’opérateur funéraire(11).

Les désordres peuvent être nombreux tels que les défauts de structure, fissures, fermeture au sol non étanche, etc. Ces situations ne posent que peu de difficultés s’agissant de les qualifier de désordres imputables à l’opérateur funéraire. C’est en revanche la présence d’eau au fond du caveau qui cristallise le plus le mécontentement des familles et qui aboutit à la quasi-totalité des contentieux.

La présence d’eau dans le caveau : un désordre susceptible d’engager la responsabilité de l’opérateur funéraire

Tous les opérateurs funéraires connaissent cette situation. En effet, de nombreux cimetières sont construits sur des sols caractérisés par la présence d’eaux souterraines susceptibles d’inonder les caveaux.

En premier lieu, tordons le cou à une idée reçue. Ainsi que le rappelle le CTMNC, "Du fait de son environnement, les conditions de mise en œuvre et son usage, le caveau ne peut pas éviter la présence d’eau à l’intérieur, due essentiellement : aux phénomènes de condensation, à la décomposition de corps, à la circulation des eaux souterraines, au ruissellement des eaux de surfaces".

Est-ce à dire qu’une famille serait tenue de se satisfaire de savoir le corps de ses défunts immergés et ce sans que ne puisse être engagée la responsabilité de l’opérateur funéraire ? La question soulevée par les associations de consommateurs n’est pas nouvelle(12) et les contentieux en la matière ne sont pas anecdotiques. Il n’est en effet pas rare de voir des opérateurs condamnés par les tribunaux en raison de la présence d’eau au fond du caveau et étonnamment, sans doute en raison de la mauvaise connaissance des règles de l’art par les experts ou les juges, au motif notamment que le caveau présentait un défaut d’étanchéité(13). Certains juges n’hésitant pas simplement à affirmer de façon péremptoire que "la présence d’eau dans le caveau suffit à démontrer l’absence d’étanchéité de ce dernier et son impropriété à destination"(14) !

L’information aux familles

Insuffisamment informées au préalable sur le risque de présence d’eau, les familles des défunts peuvent en effet vivre la situation de façon traumatique. Le maître mot en la matière réside donc dans un impératif d’information aux familles. Dans la mesure où le risque de présence d’eau est techniquement incontournable, en particulier dans certains cimetières, il demeure indispensable pour l’opérateur funéraire de communiquer l’information à ses clients avant toute prise de commande de construction de caveau. Ce défaut d’information serait susceptible d’engager la responsabilité de l’opérateur funéraire en présence d’eau, quand bien même la construction du caveau aurait été réalisée dans les règles de l’art(15).

Rappelons en outre, qu’en matière de droit de la consommation, c’est au professionnel de prouver qu’il a régulièrement informé son client, de sorte qu’il est incontournable de privilégier l’écrit, par une mention complémentaire sur le bon de commande, par exemple.

Le respect des "règles de l’art"

Définies de façon précise par le CTMNC, il conviendra pour l’opérateur funéraire de se conformer et d’adapter les "règles de l’art" à la spécificité hydrogéologique du terrain, au risque de voir sa responsabilité engagée. En effet, ainsi que le rappellent les juges, l’art. 1792 exclut la responsabilité du constructeur si ce dernier "prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère", telle que la présence normale et habituelle d’eau dans le cimetière considéré(16).

Ainsi, les juges s’efforcent de rechercher si toutes les mesures pour éviter ou limiter l’inondation du caveau ont été prises par le constructeur. Par exemple, sera constitutive d’un désordre, la présence d’eau due à "l’absence de drainage des eaux d’infiltration"(17).

Une responsabilité limitée à 10 ans

La garantie décennale en matière de construction a pour vocation de prolonger la responsabilité du constructeur au-delà de la responsabilité de droit commun limitée à cinq ans, mais s’agissant uniquement de dommages compromettant la solidité de l’ouvrage ou l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement et le rendant impropre à sa destination.

Au-delà, la responsabilité de l’opérateur funéraire ne saurait être engagée sur ce fondement. Il ne faut cependant pas considérer qu’au-delà de dix ans, un simple pompage de l’eau présente au fond du caveau (à l'occasion d'une nouvelle inhumation par exemple) exonérerait de toute risque contentieux l’opérateur funéraire.

En effet, il ressort de l’importante jurisprudence que le sujet demeure particulièrement sensible et l’existence d’un préjudice moral de la famille aisée à établir. C’est sur le terrain de l’obligation d’information que la responsabilité de ce préjudice pourrait être portée à la charge de l’opérateur funéraire, même après que se soit écoulé un délai de dix ans depuis la construction du caveau.

Il conviendra donc pour l’opérateur funéraire d’informer la famille, par écrit, de la présence d’eau dans le caveau et qu’un éventuel pompage ne permettra que de réaliser a nouvelle inhumation "au sec". Pompage ne garantissant ainsi aucunement tout risque futur d'infiltrations d’eau.
 
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris
 
Nota :
(1) CTMNC : Centre Technique de Matériaux Naturels et de Construction. Le CTMNC constitue une autorité technique peu contestable en matière de construction. À ce titre, ses publications et avis constituent une base essentielle pour établir ce que sont les "règles de l’art" en la matière. En cas de litige, tant l’expert que le juge s’efforceront de les rechercher afin de déterminer si la responsabilité du constructeur peut être engagée en raison d’éventuels manquements à ces règles.
(2) CTMNC, Guide de mise en œuvre des caveaux, éd. mars 2016.
(3) Cité par Rép. min. n° 71162, JOAN Q 18 octobre 2005 p. 9818, confirmé par Cass., civ. 3, 12 novembre 2015, n° 14-15737, note Dupuis, Résonance funéraire n° 117, fév. 2016, p. 68.
(4) Cass., Civ. 3, 11 décembre 1991, bull. civ. III, n° 317.
(5) CA Poitiers, 18 mars 2016, n° 14/04114.
(6) CA Paris, 24 janvier 2019, n° 16/01757.
(7) "S’il est titulaire d’une police d’assurance décennale qui le garantit lorsqu’il est prestataire de premier rang, cette police ne peut pas le couvrir lorsqu’il est pris en tant que sous-traitant, à moins d’une clause particulière le garantissant des conséquences de la garantie décennale due par son donneur d’ordre" (Mém. Pratique "Urbanisme – Construction", EFL, ed. 2020, n° 94872.
(8) Cass., civ. 3, 7 décembre 1988, Bull. civ. III, n° 174.
(9) CA Toulouse, 22 mai 2017, n° 15/04873 ; CA Pau, 23 mars 2011, n° 10/00162.
(10) CA Limoges, 29 juillet 2019, n°19/00112
(11) CA Bordeaux, 23 mars 2017, n° 14/07207.
(12) F. Loiseau, Des morts en eaux troubles, Ass. 60 millions de consommateurs, 31 octobre 2013.
(13) CA Poitiers, 20 mai 2011, n° 09/02567.
(14) CA Douai, 10 février 2022, n° 20/05315.
(15) CA Poitiers, 20 mai 2011, n° 09/02567.
(16) CA Douai, 10 février 2022, n° 20/05315.
(17) CA Toulouse, 22 mai 2017, n° 15/04873.


Résonance n° 180 - Mai 2022

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