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Une réponse ministérielle a été récemment rendue sur l’éventuelle nécessité d’une abrogation des dispositions de la circulaire du 14 décembre 2009, relative à la loi du 19 décembre 2008 portant sur la dispersion des cendres en pleine nature, en ce qu’elles seraient contraires aux dispositions de l’art. L. 2223-18 du CGCT. Si le ministre reconnaît une certaine imprécision quant à la définition juridique de la notion de "pleine nature", il conclut sa réponse en indiquant qu’il "ne semble […] pas qu’elle ait fait, jusqu’à ce jour, l’objet d’un contentieux". Peut-on se satisfaire d’une telle réponse ?


Si l’on peut d’une façon générale, en matière juridique, apprécier la qualité et l’efficacité d’une norme au volume de contentieux qu’elle soulève, force est de constater que cette approche est très loin d’être satisfaisante en matière funéraire, tant l’on sait que les contentieux sont peu fréquents.

Et pourtant, il n’est pas rare qu’au sein d’une famille, des désaccords naissent à l’issue de la crémation sur le sujet de la destination des cendres, et il n’est pas rare non plus que certains membres de la famille accaparent l’urne pour disperser les cendres sans concertation avec l’ensemble des proches du défunt. Rappelons que la dispersion des cendres en pleine nature peut être réalisée par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles sans intervention obligatoire d’un opérateur funéraire.

S’agissant des formalités à accomplir, celles-ci sont particulièrement réduites, puisque l’art. L. 2223-18-3 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose que : "En cas de dispersion des cendres en pleine nature, la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles en fait la déclaration à la mairie de la commune du lieu de naissance du défunt. L’identité du défunt ainsi que la date et le lieu de dispersion de ses cendres sont inscrits sur un registre créé à cet effet." Mais l’on peut légitimement s’interroger sur l’effectivité de ce type de démarche en l’absence de tout contrôle de l’autorité administrative…

Et il n’est d’ailleurs pas rare que nous soyons consultés par des proches de défunts désœuvrés d’apprendre que certains membres de leur famille ont pris des mesures quant à la destination des cendres de leur proche, de façon "sauvage", sans les en avoir informés et sans même avoir conviés, les privant ainsi d’un moment d’hommage et d’un réel lieu de recueillement. Si ces "histoires de famille" ne font, semble-t-il, l’objet que de peu de contentieux, il n’en demeure pas moins qu’elles ont parfois pour effet de porter atteinte au travail de deuil de certains proches de défunts et leur créent un réel préjudice moral.

Une clarification de la notion de pleine nature est nécessaire

Parmi les trois options offertes par l’art. L. 2223-18-2 du CGCT, figure la dispersion "en pleine nature, sauf sur les voies publiques". Ce texte n’apporte au fond que peu d’informations, puisque, d’une part, il ne définit pas la notion de "pleine nature", ni ne renvoie à un texte le précisant, et que, d’autre part, en excluant les voies publiques, il enfonce en quelque sorte une porte ouverte, puisque par définition une voie publique est aménagée et s’oppose de fait à l’idée raisonnable que l’on pourrait se faire de la notion de pleine nature. En outre, une dispersion sur une voie publique serait de toute évidence contraire aux dispositions de l’art. 16-1-1 du Code civil relatif au respect du corps humain, "y compris les cendres".

Afin de tenter de préciser cette notion, une circulaire du 14 décembre 2009 a été prise, mais ses apports sont particulièrement limités puisqu’elle se limite à proposer des pistes de définitions et renvoie de façon explicite à l’appréciation souveraine des tribunaux, et avec l’insistance de l’emploi d’une typographie soulignée de cette appréciation.

Le texte de la circulaire du 14 décembre 2009

"Précision sur Ia notion de pleine nature :
Il n’existe pas de définition juridique de cette notion. Dès lors, seule l’interprétation souveraine des tribunaux permettrait d’en préciser le contenu. Toutefois, il peut être utile de se référer à la notion d’espace naturel non aménagé, afin de déterminer si le lieu choisi pour la dispersion est conforme ou non à la législation. De ce fait, la notion de pleine nature apparaît peu compatible avec celle de propriété particulière interdisant la dispersion des cendres dans un jardin privé. Ce principe peut néanmoins connaître des exceptions, notamment lorsque la dispersion est envisagée dans de grandes étendues accessibles au public mais appartenant à une personne privée (un champ, une prairie, une forêt...), sous réserve de l’accord préalable du propriétaire du terrain.

S’agissant des cours d’eau et des rivières sauvages, non aménagés, et sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux, il y a lieu de considérer que la dispersion des cendres y est possible.

La dispersion en mer est également possible, dès lors qu’elle ne contrevient pas à la réglementation maritime et aux règles édictées localement au titre de la zone de police spéciale de 300 mètres instituée par la loi littoral du 2 janvier 1986 et codifiée à l’art. L. 2213-23 du CGCT. Pour cela, les professionnels funéraires chargés de ces opérations ou la personne habilitée à pourvoir aux funérailles se rapprocheront de la préfecture maritime compétente pour les formalités liées à la réglementation maritime, ou du maire pour les règles afférentes à la zone de police spéciale. Pour la déclaration relative à la dispersion des cendres prévue à l’art. R. 2213-39 du CGCT, la commune de rattachement sera celle du port ou du mouillage de départ du bâtiment.

Les modalités de la déclaration de dispersion en pleine nature sont définies par le nouvel art. L. 2223-18-3 du CGCT. Aucun délai n’a été fixé pour cette déclaration, mais il est souhaitable qu’elle s’effectue à Ia suite des opérations de dispersion."

Force est de constater que ce texte n’apporte que très peu de précisions, renvoyant soit à une hypothétique jurisprudence future (appréciation des tribunaux), soit aux autorités maritimes pour les dispersions en mer. Et depuis la publication de cette circulaire, aucun texte réglementaire n’est venu apporter la moindre précision sur la notion de "pleine nature" posée à l’art. L. 2223-18-2 du CGCT, et ni les diverses réponses ministérielles, ni les guides publiés par la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) n’ont apporté de précisions substantielles.

Or, on le sait, la demande de personnalisation des obsèques par les familles est croissante, aussi croissante que l’a été l’augmentation du pourcentage de crémations. Les opérateurs funéraires, gestionnaires de crématoriums et agents municipaux, en première ligne pour informer les familles, ne peuvent donc que relayer une information juridique floue dans un contexte où, au contraire, les familles ont besoin d’être sécurisées.

Faut-il modifier le formalisme de la dispersion en pleine nature ?

La question peut apparaître à contre-courant de l’évolution réglementaire du droit funéraire qui tend vers un recul important du régime d’autorisation au profit du régime de la déclaration. Cependant, il serait intéressant d’envisager de soumettre toute demande de dispersion en pleine nature à l’autorisation du maire du lieu de dispersion.

Ce régime d’autorisation aurait au moins le mérite d’éviter toute dispersion "sauvage" des cendres par divers membres de la famille, sécuriserait les crématoriums dans le processus de remise des cendres à la famille en permettant ainsi une réelle traçabilité de l’urne, et permettrait enfin que soit consigné de façon certaine dans un registre officiel le lieu de dispersion pour ainsi matérialiser un lieu de recueillement.

Si le "droit au deuil" demeure à écrire dans sa spécificité, nul ne peut contester qu’il existe, et la psychologie du deuil nous a largement appris l’importance pour certains de disposer d’un lieu de recueillement "réel", à l’instar du lieu exact où les cendres du défunt ont été dispersées.

Références : Question écrite n° 00601 de  M. Jean-Pierre Sueur (Loiret – SER), publiée dans le JO Sénat du 07/07/2022 – page 3298
Réponse du ministère auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales, publiée dans le JO Sénat du 24/11/2022 – page 5870
 
Me Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris

Résonance n° 188 - Février 2023

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