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Voici un arrêt qui nous laisse dubitatifs quant aux conditions d’une exhumation, essayons de le présenter. Tout d’abord, il n’est pas inutile d’effectuer quelques rappels quant à la qualité de celui qui peut solliciter une exhumation sur le fondement de l’art. R. 2213-40 du CGCT.


Les conditions de l’exhumation à la demande des familles

CA Paris 1er février 2022, n° 20/00709

L’autorisation d’exhumation n’est accordée qu’au plus proche parent du défunt (Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), art. R. 2213-40). Malheureusement, la définition de cette périphrase ne se trouve pas dans le CGCT, et seule l’Instruction Générale Relative à l’État Civil (IGREC) du 11 mai 1999 indique (§ 426-7) explique cette qualité : "À titre indicatif et sous réserve de l’appréciation de tribunaux, en cas de conflit, l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plus proche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfants du défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs.

La jurisprudence énonçait alors que cette qualité se prouve par tout moyen, et s’accompagne d’une attestation sur l’honneur d’être le plus proche parent du défunt ou qu’aucun autre parent possédant cette qualité ne s’opposera à l’exhumation (voir CE 9 mai 2005, Rabaut, req. n° 262977). La commune, lorsqu’elle a exigé ces renseignements, était alors normalement protégée de tout conflit ultérieur quant à la qualité de la personne ayant sollicité l’exhumation. L’attestation sur l’honneur pourrait être transmise au procureur de la République à fins de poursuites en cas de faux.

La commune n’avait pas plus à vérifier la véracité de cette assertion. En revanche, s’il y a conflit entre plusieurs personnes venant au même degré de parenté relativement à l’exhumation, le maire doit surseoir à celle-ci et demander au juge judiciaire de trancher ce différend. Un arrêt de la CAA de Bordeaux (CAA Bordeaux 5 juin 2008, req. n° 07BX00828) venait néanmoins offrir de nouvelles perspectives à tout le moins contraignantes.

Il fut en effet reproché à la commune de Chauvigny de se contenter, lorsqu’elle autorise une exhumation, d’un formulaire préimprimé qui ne permet pas de renseigner l’absence de plus proche parent du défunt que le pétitionnaire, ni, en cas d’existence de parent de même degré, de connaître des oppositions à cette opération. La CAA de Bordeaux venait alors exiger que ce formulaire comporte des "précisions sur le degré de parenté".

Si, lors d’un conflit familial, le plus proche parent ne peut être contrarié dans sa demande d’exhumation que par une personne venant au même degré de parenté que lui, ce degré de parenté est une notion sur laquelle la commune ne peut avoir aucune lumière, puisque l’ordre proposé par l’IGREC ne tient pas selon la CAA. Ainsi, tout litige familial entraînait nécessairement refus de délivrance de l’autorisation et saisine du juge du TGI pour résolution du conflit.

Il faut en effet avoir à l’esprit que le juge judiciaire refusera le plus souvent cette opération autorisée par le maire à la demande du plus proche parent du défunt lorsqu’il y a conflit familial. Il exige le plus souvent démonstration du non-respect de la volonté du défunt ou du caractère provisoire de la sépulture (voir plus loin CA Riom 26 octobre 1999, JCP G 2000, IV, n° 1709 ; CA Toulouse 7 février 2000, JCP G 2000, IV, n° 2374). Le Conseil d’État, dans un arrêt "Houbdine" (CE 13 mai 1910, Houbdine : Rec. CE, p. 391), a d’ailleurs écarté la possibilité pour le maire de se faire l’interprète de la volonté du défunt.

Enfin, un intéressant arrêt (cour administrative d’appel, Nantes, 4e chambre, 30 mars 2020 – n° 19NT01063) semble plaider pour que le formulaire de demande d’exhumation soit plus précis, permettant d’indiquer précisément l’existence de parents proches et de demander expressément au pétitionnaire de bien remplir cette rubrique, si jamais il se présente devant les services de la commune avec un formulaire incomplet.

En revanche, l'arrêt pourrait être problématique en ce qu’il semble impliquer qu’au stade de la demande, il faille s’assurer de la non-opposition d'éventuels membres de la famille venant au même degré de parenté. En ce sens, il nous apparaîtrait contraire à l'esprit de l'arrêt du Conseil d’État Rabault de 2005, et surtout, nous ne discernons pas alors comment la preuve de cette absence d’opposition pourrait s’administrer autrement que par le recueil de la signature des parents proches du défunt…

Quand l’exhumation est accordée à quelqu’un qui n’est pas parent des défunts !

Apparemment, la CA de Paris ne partage pas cette position : M. Pascal M. est l’unique titulaire d’un caveau au cimetière du Montparnasse à Paris 14e. Il souhaite réaliser des travaux d’agrandissement de ce caveau, et il sollicite donc une exhumation des deux corps s’y trouvant. La mairie de Paris refuse sur le fondement de son absence de qualité de plus proche parent au sens de l’art. R. 2213-40 du CGCT. Ce refus est attaqué. Voici la position du juge :
"[…] l’intervention du juge judiciaire a pour objet de déterminer s’il peut exister une autre solution, c’est-à-dire si une personne qui n’est parente ni par filiation ni par alliance peut être tenue pour un "proche parent" au sens et pour les fins de l’art. R.  2213-40 du CGCT. Toute autre interprétation rendrait le recours au juge complètement inutile, tout en privant en outre définitivement tout titulaire d’une concession contenant des dépouilles "non familiales" sans descendance connue de la possibilité d’y opérer des remaniements, quelle que puisse en être la légitimité.

En l’occurrence, au regard des intentions de M. M., il n’apparaît pas qu’une volonté contraire quelconque se soit exprimée, faute d’existence d’un parent vivant de Gustave G. ou de Lucia R. par rapport à l’exhumation souhaitée, prévue pour n’être que très temporaire, sans déplacement ni réduction, en sorte qu’aucune atteinte aux restes ainsi brièvement déplacés ne risque d’advenir.

En l’absence de toute parenté biologique ou d’alliance avec les défunts constatée à l’état civil, la tante de M. M. ne saurait être considérée comme le parent le plus proche sur le seul fondement de son ancienneté par rapport à M. M. alors qu’elle n’a pas donné de signe d’intérêt pour cette situation, au contraire de la proximité et de l’intérêt dont témoigne M. M. vis-à-vis de son histoire familiale.

Dès lors que l’appelant, seul titulaire de la concession, souhaite y réaliser des travaux funéraires dans l’intention de pouvoir ouvrir le caveau à d’autres membres de la famille, à laquelle les deux dépouilles concernées sont liées de fait ainsi que leur présence même dans ce tombeau l’établit, la cour retient qu’il doit être considéré comme "le plus proche parent" aux fins de mise en œuvre de l’art. R. 2213-40 du CGCT, et qu’il convient en conséquence de l’autoriser à faire procéder à l’exhumation demandée, par infirmation du jugement dont appel."

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la justification de la solution est surprenante, puisque la cour estime qu’il lui appartient d’identifier si une personne qui n’est pas même parent avec le défunt peut être son plus proche parent au sens du CGCT. De même, la cour estime que, puisqu’il n’y a pas de conflit entre plus proche parent (et pour cause), il n’y a pas lieu pour le maire de refuser cette exhumation. On remarquera que cette exhumation est provisoire et que les corps ont vocation à retourner dans le caveau.

Il peut être permis de penser que, si le juge judiciaire n’avait pas, malencontreusement à notre avis, décidé que la réduction de corps s’assimilait à une exhumation (Cour de cassation, 16 juin 2011, pourvoi n° 10-13.580), c’est cette voie qui aurait pu être avantageusement suivie (on relèvera que le juge ici estime qu’il n’y aura pas réduction nécessairement, mais cette position semble aventureuse au vu des dates d’inhumation des corps). Il ne reste plus qu’à espérer qu’une clarification vienne de la Cour de cassation…
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 188 - Février 2023

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