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Damien Le Guay, philosophe, vice-président du Comité National d’Ethique du Funéraire (CNEF), vient de faire paraître, avec le soutien de la Confédération
des Professionnels du Funéraire et de la Marbrerie (CPFM),  un livre sur la crémation : "La mort en cendres, la crémation aujourd’hui, que faut-il en penser ?" (Ed. du Cerf, oct 2012).
Le philosophe, qui a précédemment réfléchi sur le thème de la mort en publiant "Qu'avons-nous perdu en perdant la mort ?" (Éd. du Cerf - 2003), aborde cette fois le sujet du développement de la crémation et les questions que soulève cette évolution.
La CPFM a apporté son soutien à la publication de ce livre qui donne un éclairage et des réflexions utiles aux opérateurs funéraires. En effet, les entreprises reçoivent de plus en plus de familles dont le défunt a opté pour la crémation, familles souvent désemparées par ce choix qu'elles découvrent au moment du décès.


Une révolution dans nos pratiques funéraires1 s’opère sous nos yeux : nous assistons, en France, à l’émergence rapide de la crémation. En peu de temps celle-ci s’est imposée. Inexistante jusqu’alors (avec 0,5 % des obsèques en 1975 et 1,8 % en 19832) elle représente désormais 28 % des obsèques (en 2007), 30 % en 2010. Certains vont même jusqu’à considérer que ce chiffre pourrait être de 49 % en 2030. Quant aux intentions des Français : 51 % d’entre eux souhaitent avoir recours à la crémation – alors qu’ils n’étaient que 20 % en 1979. Cette progression de la crémation et du choix de crémation s’accompagne, en même temps, d’une baisse significative du choix d’inhumation. Et il faut tenir compte des deux mouvements. En effet, si 48 % des Français en 2004 optaient, par avance, pour l’inhumation, ce chiffre est, en peu de temps, tombé à 28 % en 2010. En 7 ans, une habitude multiséculaire s’est presque évanouie. Et durant cette même période le nombre des indécis n’a fait que croître. De 5% les indécis sont devenus 19 % des Français. Nous assistons à une évolution plus que significative en un laps de temps des plus restreints qui vient remettre en cause des options que l’on pouvait croire solidement ancrées dans nos pratiques. Selon nos calculs, de 1980 jusqu’en 2012, 2,7 millions de personnes ont été incinérées en France. En 2012, la crémation concerne 165 000 personnes.

2 révolutions de la crémation en France : le corps en cendres et les urnes en mobilité…

Un trouble s’est instauré, des habitudes se perdent, des changements profonds se sont produits sans que nous nous en rendions compte. Comment dire ? Nous sommes passés d’un corps mis dans un cercueil suivi d’un cercueil mis en terre à autre chose : un corps mis en four, des cendres mises en urne et le contenu d’une urne dispersé un peu partout. Avant, nous savions que le corps allait en terre avec son cercueil et dans une terre choisie par avance, terre de famille, terre partagée avec d’autres membres de la famille ; désormais nous ne savons plus bien où nous voulons aller sinon en cendres – sinon dans une urne. Il faut prendre en considération 2 changements : le corps devient cendres ; la tombe devient urne. Double déplacement, double délocalisation. Réduction en occupation d’espace et perte de localisation. Un lieu de résidence assigné par la tradition a été remplacé par un lieu portatif, indéfini.
Disons de l’urne funéraire qu’elle est un lieu indéterminé. À l’assignation traditionnelle dans une "dernière demeure", au cimetière, fait place une incertitude de lieu. Le mort encombrant et localisé est en train de devenir un mort réduit à sa plus simple expression et Sans Domicile Fixe (SDF). Il faut savoir3 qu’en 2004, par exemple, sur un total de 121 591 crémations, presque 75 % des urnes funéraires ont été remises aux familles – soit 91 056 urnes. Pour le reste : 6 % déposées dans un cimetière, 17 % ont fait l’objet d’une dispersion dans un "jardin du souvenir" ou dans des lieux divers – l’océan, la montagne, un champ… Il nous faut garder en tête qu’entre 71 et 75 % des urnes ont été remises aux familles depuis 1980. Dès lors, selon nos calculs, entre 1980 et 2007 (date d’une législation plus stricte), 1,3 million d’urnes ont été remises aux familles. Précisons donc qu’après avoir constaté des "situations choquantes" (comme des urnes retrouvées dans des brocantes, des vide-greniers…), selon les termes de Philippe Alloncle, représentant, en 2006, du ministre de l’Intérieur, la loi du 19 déc. 2008 a mis un frein à ces dérives sans pour autant interdire la "dispersion des cendres". Dès lors, si nous considérons que depuis cette loi, la remise des urnes se fait dans les mêmes proportions, il faut ajouter à ce chiffre, entre 2008 et 2012, 566 000 urnes supplémentaires soit un total de 1,8 millions d’urnes.
Il faut dire que nous avons eu, de 1976 à 2008, une des législations les plus libérales d’Europe, alors que dans les pays scandinaves (à l’exception de la Finlande) et surtout en Allemagne, le droit funéraire est strict sur ce point : les urnes funéraires doivent être obligatoirement placées dans un cimetière.

Les différentes évolutions, nombreuses, profondes, passées sous silence, doivent être analysées. Que dire de ces 2,7 millions de morts qui, pour avoir choisi la crémation, sont sans cadavre ? Que dire de ces 1,3 ou 1,8 millions d’urnes qui font de ces tenant-lieu de corps, des corps "dispersables, partageables, portatifs et privatisables" - selon les termes de Jean-Pierre Sueur ? Quid d’un cimetière sans domicile ? Quid de ces lieux de mémoires funéraires (que sont les cercueils dans une tombe) qui ont disparu ? Que dire de la disparition d’une double fixation – le corps en décomposition dans un endroit réservé à cet effet – au profit d’une double déconstruction : la disparition du cadavre et la disparition d’une résidence mortuaire ? Faut-il considérer que ce passage d’une mise en terre et donc en humus (in-humé) à la mise en urne (in-urné) n’est qu’une nouvelle modalité relativement bénigne des obsèques ou assistons-nous, au contraire, à une vraie révolution anthropologique – et que ces révolutions sont si peu nombreuses qu’elles ne méritent, quand elles se produisent, que peu d’attention ? Il me semble que nous sommes là en face d’un changement radical, d’une vraie évolution4. Il y aura toujours des gens pour en diminuer la signification, pour en réduire la portée sous couvert d’évolutions techniques ou d’économie de place – nous serions trop nombreux pour nous "encombrer" en plus des morts. Mais, pour prendre la mesure de cette évolution qui date de 10/15 ans, il nous faut la rapporter à la longue histoire de la mort – histoire débutée il y a 100 000 ans quand, pour la première fois, un corps humain fut mis en terre.
 
Face à cette évolution majeure : un silence assourdissant. Nulle commission d’enquête parlementaire pour comprendre les raisons de ces changements – même si les pouvoirs publics se sont mollement mobilisés en 2004-2008 autour de la destination des cendres5. Nul débat public pour mieux en saisir la portée. Bien peu de livres6. Les religieux constatent et s’interrogent. Les professionnels entendent les demandes et, pour certains, anticipent – car les investissements à faire sont significatifs et engagent sur les 20 prochaines années. Pourquoi en si peu de temps avons-nous adopté, de la sorte, une telle pratique ? Pourquoi est-il si difficile d’ouvrir un débat, loin du simple constat, de la simple évidence ?
Évolution ? Révolution ? Changement majeur ? Pour le dire en un mot, la crémation, plutôt que l’inhumation, implique des effets de substitution. L’urne remplace le cercueil, un tas de cendres le corps soumis à la décomposition, les cérémonies autour de la tombe par un rassemblement autour du four de crémation.

Quand la politesse mortuaire s’estompe…

Je me propose dans "La mort en cendres" d’enquêter sur cette montée en puissance de la crémation. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Quelles sont les motivations des gens pour choisir, ainsi, si massivement, la crémation rompant, de la sorte, brutalement avec les habitudes d’avant ? Si nous retenons l’idée du sociologue allemand Georg Simmel, comment mieux comprendre ce "comportement fondamental" commun à notre actuelle "conception de la mort" et notre "conception de la vie" ? La crémation est donc à considérer comme un "analyseur social", la conséquence, disait Michel Hanus, des "changements dans les mentalités".
Depuis 10 ans, bien des tendances décrites dans mon premier livre sur ce sujet (Qu’avons-nous perdu en perdant la mort ?7) ont été confirmées. Je me propose désormais d’interroger, aussi, cet idéal d’une mort inconsciente, silencieuse, aphone, seul, sans accompagnement, éloigné des vivants pour éviter, en quelque sorte, de trop "contaminer" le monde des vivants. Cet idéal, qui conduit, en bout de chaîne, à la crémation, est donc celui d’une mise en quarantaine du funéraire. Quarantaine, comme s’il fallait éviter une épidémie de chagrin, de mélancolie et d’un deuil trop long avec des perturbations psychologiques trop importantes. Nous n’avons plus collectivement conscience d’une responsabilité vis-à-vis de la mort. Il nous faut donc nous en débarrasser au plus vite – comme un serpent se sépare de sa peau morte pour passer à autre chose.
Et, aujourd’hui, pour être indifférents à la mort en général (et à sa mort en particulier) nous sommes incapables de la quitter – comme s’il s’agissait d’un vêtement -, de la donner en héritage, de la partager. Comprenons-nous bien ! Les séparations sont, pour qu’elles soient effectives, faites de part et d’autre. La séparation est toujours au pluriel. Jusqu’alors, la mort nous quittait et, par les rites funéraires, nous quittions le mort qui nous avait quittés. Le deuil prolongeait la séparation, la colmatait en quelque sorte, l’inscrivait dans la durée. Or, de nos jours, la vie nous quitte sans que nous souhaitions, de notre côté, quitter la mort avec politesse – comme on lui dit "Au revoir" ou "Adieu". Quand les limites sont floues, quand la politesse mortuaire s’estompe, quand la séparation ne se fait plus dans "les règles de l’art", les séparations se font à notre insu, presque malgré nous, sans vrai désir de rompre et d’instaurer un "avant" et un "après". Cette politesse des séparations annoncées, préparées, anticipées, accompagnées, supposait (ou suppose toujours) d’accepter par avance les différents rituels de rupture. Et comme toujours, ces politesses sociales, pour partie nécessaires et pour partie "obligatoires" et donc un peu "forcées", supposent l’acceptation d’une douleur, d’un chagrin public, de gênes successives connues de tous. La critique rousseauiste de l’hypocrisie sociale et des politesses de façade a conduit nos sociétés à accepter, comme une manière d’être "plus vraie", "plus authentique", un relâchement des codes sociaux. L’expression des "condoléances" comporte, il est vrai, une part de faux-semblant. Tout le monde ne peut pas être au diapason du chagrin des proches – et même, chez ceux-ci, le chagrin peut cohabiter avec un lâche soulagement, une satisfaction secrète, une douleur plus personnelle qu’altruiste. Mais, le refus des conventions par désir de ne pas être "hypocrite" conduit à une autre hypocrisie, plus grave. La première hypocrisie, nécessaire d’un certain point de vue, se faisait à l’égard des personnes en deuil ; la seconde, l’actuelle, se fait vis-à-vis de la mort elle-même. Pour éviter de "n’en penser pas moins" nous avons fini par ne plus y penser du tout. Pour donc refuser cette préparation, et donc cette anticipation et donc cette prise de conscience d’une séparation nécessaire et volontaire (alors qu’elle est, aujourd’hui, seulement inéluctable) nous sommes aujourd’hui en quelque sorte dépouillés de la mort – qui nous est devenue étrangère. Avant elle s’assumait, se partageait et donc se donnait en quelque sorte – avec une part assumée d’hypocrisie. Aujourd’hui, pour la refuser corps et âme, nous l’acceptons seulement quand elle nous est en quelque sorte dérobée. Nous sommes passés d’une mort en forme de divorce assumée à une mort-dérobade. Nous étions partis prenante d’un divorce ; nous ne pouvons, aujourd’hui, que constater une effraction. Nous sommes passés d’une négociation pénible et faite dans la douleur à un vol souhaité pourvu qu’il intervienne le plus rapidement possible. Avant, nous étions en quelque sorte propriétaires d’une mort qui nous dépouillait de nous-mêmes. Avec cette appropriation, la mort devenait "notre" mort – ou tendait à l’être. Rilke8, juste avant la première guerre mondiale, souhaitait encore, "préparer de loin le chef-d’œuvre d’une mort fière et suprême, d’une mort où le hasard n’est pour rien, d’une mort bien faite, bienheureuse, enthousiaste comme les saints ont su la former, d’une mort murie longuement". Il souhaitait, sans croyance religieuse bien définie, "apprendre à mourir" et pensait qu’il s’agissait là du travail de "toute la vie". Avec Rilke, la valeur de la mort était encore évidente – car la vie était "sacrée". Nous étions avant la Première Guerre mondiale. Juste avant cette grande époque des guerres de masse, des massacres de masse, des exterminations de masse, des famines organisées, de la Shoah, du Goulag, des corps en bouillie et des fours crématoires. Rilke représente sans doute l’un des derniers efforts de singularisation et de personnalisation d’une mort conçue "à l’ancienne" dans sa noblesse héroïque. Avec la massification de la mort, son idéologisation, sa désacralisation, avec aujourd’hui l’anonymat des corps en décomposition et des espérances en un au-delà collectif, nous sommes entrés dans l’anonymat de la mort. Et cette double déformation actuelle permise par la crémation (la disparition du cadavre et la perte de localisation) serait en quelque sorte son point terminal – le stade le plus avancé de cet effacement de la singularité mortuaire.

Qui donc, aujourd’hui, a encore conscience de devoir imposer sa signature à "sa" mort, de devoir respecter les règles de la politesse pour les derniers instants de la vie et les premiers du deuil ? Cette question nous renvoie à une autre : l’anonymat de la mort sans singularité, sans signature, ne correspond-il pas à notre humaine condition ? Sortir de l’anonymat suppose un effort de singularisation, de singularité. Un effort. Un combat. Une sortie de soi. Une manière de surmonter ses réticences pour s’affirmer à la hauteur de l’évènement. La mort, comme tous les évènements significatifs de notre vie personnelle, nous expose à un devoir d’humanité : notre paresse qui pourrait nous conduire à l’anonymat (au point de ne pas " marquer le coup ") doit être surmontée pour accéder à un niveau supérieur de nous-mêmes, niveau de singularisation. Un choix s’opère. Une signature apparaît. Les fleurs deviennent des bouquets, les arbres un arbre, les femmes une femme. À chaque fois que nous quittons l’indifférence au profit de la singularité, nous nous approprions des réalités anonymes devenues singulières. Si cet effort ne se faisait pas (s’il n’est pas " forcé " un peu par les contraintes sociales et notre éducation) nous serions en trop dans un monde à ce point anonyme qu’il serait comme une toile cirée, sans la moindre aspérité, sur laquelle nous glisserions sans pouvoir nous fixer ici ou là. Telle est la conséquence ultime du nihilisme : ne pas faire de différences, niveler les valeurs, promouvoir une indifférence de tous vis-à-vis de tout pour, in fine, donner plus de valeur au monde dans lequel nous sommes plutôt qu’à ceux qui l’habitent. Que dire de la condition humaine sinon qu’elle est un travail constant d’adhésion au monde, d’attachement aux choses, d’agrafage des uns aux autres ? Elle est donc une lutte contre l’indifférence pour éviter d’avoir le sentiment d’être quantité négligeable dans un monde fermé sur lui-même et sans la moindre aspérité à laquelle s’agripper – comme autant de bouées de sauvetage dans le grand naufrage annoncé qu’est notre vie. De deux choses l’une : soit nous finissons par être superflu dans un monde trop inhospitalier pour nous recevoir, soit nous trouvons notre place, la nôtre, notre juste place, dans un monde accueillant pour être devenu le nôtre.

Le triomphe de l’anonymat de la vie et de la mort…

Ce que nous constatons avec la mort, à savoir son progressif anonymat, s’opère aussi avec la vie. L’effort de personnalisation qui fait d’une fleur "sa" fleur (selon le vœu d’une candeur charmante, et pourtant si vrai, du "Petit Prince" de Saint-Exupéry), d’une musique, la sienne, et d’une vie "comme les autres" une vie "hors du commun", tend à s’évanouir. Cet effort est de plus en plus difficile. Qui en profite ? Bien entendu le processus marchand. Il offre des singularisations toutes faites, des identités prêtes à porter, des marquages livrés clés en main. Il suffit de payer et de se mettre sous la bannière d’une marque, d’un produit "griffé", d’une collection vestimentaire de "prêt-à-porter". Il y a là un processus de renversement du processus de singularité. L’affirmation de soi, dans son identité particulière, ne se fait plus par soi-même, de soi-même, par une forme de dandysme de la pensée, de style inimitable donné à sa vie, mais de l’extérieur, par l’affichage des marques et l’appartenance à une tribu marchande. J’ai plus de "valeur" si j’appartiens à la tribu des Ferrari-Dior plutôt qu’à celle des Renaut-Prisunic. Quand la conscience d’être un individu singulier par la seule force de son esprit et la valeur de son élégance du cœur s’estompe, la socialisation par la marque marchande devient légitime. Il nous faut prendre conscience de cette nouvelle alternative : soit nous nous démarquons par nous-mêmes, par nos seules qualités personnelles, loin des positions sociales et marques marchandes, soit, incapable de le faire, nous sommes presque obligés, pour éviter d’être un "ringard", un "has been", d’accepter d’être marqués, ou bien, plutôt, re-marqués, par les sigles luxueux qui dépensent plus d’énergie à promouvoir leurs marques qu’à vendre leur produits. Disons-le autrement : soit "je est un autre" soit "je est une marque". Et donc, si le souci de personnalisation est rendu difficile, hors de portée, naît alors l’impérative conscience d’un nécessaire et inévitable anonymat qui serait devenu notre régime commun, notre condition sociale "naturelle". Dès lors demandons-nous : au bout du bout du désir d’incognito (désir par défaut mais désir puissant, social, impérieux) n’y a-t-il pas un désir de cendres ? Si le corps est propre à chacun, les cendres, elles, sont l’expression même de cette mort anonyme. Les corps se reconnaissent. Les cadavres aussi. Les cendres, elles, n’ont plus de signes d’identification. Elles n’appartiennent plus à personne en particulier.
Il nous faut donc considérer ce désir de cendres, ce souhait d’effacement, comme la conséquence ultime d’un échec social de singularisation par ses seules qualités personnelles. Définissons la socialisation comme une sortie hors de l’informe, une mise en forme de nous-mêmes et de nos désirs, la perte de l’anonymat au profit d’une distinction. Le corps, donc, même s’il est en voie de corruption naturelle, reste ce que nous avons de plus singulier. Nous nous reconnaissons les uns les autres par le corps : le visage, le regard, la physionomie générale. Nous nous aimons par les corps. Nous nous désirons en corps et en âme. Avec les cendres, tout disparaît – y compris l’ADN, la corpulence, les os, le grain de peau et surtout le visage, ce qui nous est de plus singulier…

Damien Le Guay
 
Né en 1961, Damien Le Guay est philosophe et vice-président du CNEF. Il enseigne à l’Espace éthique de l’AP-HP et est maître de conférences à HEC. Il est critique littéraire au Figaro Magazine, tient une rubrique dans Famille chrétienne. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont, entre autres : "Qu’avons-nous perdu en perdant la mort ?"
 
Nota :
1 - Ce qui est valable en France l’est tout autant dans le reste de l’Europe. Il faut distinguer ici, les crémations culturelles (comme au Japon et en Inde) et les crémations post-culturelles dans le sillage d’une déculturation catholique. Ainsi, en Espagne, là aussi, la montée de la crémation est significative. Entre 1990 et 2006 (soit en 16 ans) le poucentage de crémation dans le mode de funérailles est passé de 2% à 25 %. Il en va de même en Pologne. Des pays " catholiques " résistent comme l’Italie avec 8,5 %. Les pays de culture protestante semblent acquis à la crémation (comme le royaume uni avec 72%). L’Allemagne, elle, pour partie catholique, ne dépasserait pas les 42 %. Il y a donc un lien (et ce lien nous intéresse) entre la fin de la culture religieuse comme culture dominante et la montée en puissance de la crémation.
2 - On dénombre 1 775 crémations en 1970, 2 338 en 1975, 5 000 en 1979 et 10 000 en 1983, 20 000 en 1987.
3 - Chiffres donnés par Jean-Pierre Sueur dans sa proposition de loi " sur le statut et la destination des cendres ", 7 juillet 2005.
4 - "L’équilibre emblématique, à savoir la moitié des sépultures, serait donc atteint dans moins d’un quart de siècle " indique la sociologue Gaëlle Clavandier " vraie révolution en matière funéraire au regard des transformations lentes de siècles passés " (in : la crémation : Des pratiques singulières à l’élaboration d’un cadre de référence, dans L’esprit du temps/Études sur la mort, 2007/2, p. 67).
5 - Cf l’intervention de Philippe Alloncle, membre du cabinet du ministre de l’Intérieur (Brice Hortefeux à l’époque) lors d’un colloque (journée internationale d’éthique) en avril 2006 a Strasbourg.
6 - Signalons quand même, en même temps que notre livre, la publication de la première synthèse historique sur la crémation en lien avec le christianisme : Le christianisme et la crémation, de Piotr Kuberski (Éditions du Cerf, 2012, avec une préface de François Boespflug). Jusqu’à présent la littérature sur ce sujet, plutôt anglo-saxonne ou italienne, met avant tout l’accent sur l’irruption de la crémation, sous la poussée des libres-penseurs, durant la seconde moitié du XIXe siècle. En France peu de publications sur ce sujet. Notons cependant, pour avoir à y revenir, les excellents travaux de L-V Thomas – et de ceux qui se réclament de lui à savoir, entre autres, Patrick Baudry et notre ami Michel Hanus.
7 - Qu’avons-nous perdu en perdant la mort ? Éd. du Cerf, 2003.
8 - Rainer Maria Rilke, lettre (écrite en français) à M Romagnelli le 8 décembre 1907

Instances fédérales nationales et internationales :

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