Le 28 novembre 2025, l’Université Toulouse Capitole accueillera un colloque au titre aussi intrigant qu’inhabituel : "Cercueil(s) & Droit(s)". Loin d’un simple exercice académique, cette rencontre interdisciplinaire dirigée par le professeur Mathieu Touzeil-Divina s’attache à examiner, pour la première fois en France, le cercueil non pas comme un objet purement symbolique ou matériel, mais comme une catégorie juridique en soi. À travers des interventions d’universitaires, d’archéologues, de praticiens funéraires et de juristes, la journée ambitionne de dresser un état des lieux de la réglementation existante, de questionner son bien-fondé et d’ouvrir des pistes normatives audacieuses. Dans ce qui suit, je propose une plongée dans les enjeux de ce colloque, en les replaçant dans un contexte plus large : celui de l’évolution du droit funéraire, des innovations écologiques et des transformations de notre rapport à la mort.
Un colloque hors normes pour un objet ordinaire
On croit connaître le cercueil. Objet apparemment banal, il accompagne chaque décès et structure nos rituels funéraires depuis des siècles. Ses formes, sa matérialité et son odeur de bois – celle du sapin en particulier – nous paraissent instinctivement familières. Le langage courant en a même fait une métaphore du trépas : lorsque la fin approche, on dit que l’on "sent le sapin".
Pourtant, ce que chacun croit savoir s’effrite dès lors qu’on aborde le cercueil du point de vue du droit. Ici, tout semble étonnamment flou : il n’existe à ce jour ni définition juridique officielle du cercueil, ni étude d’ensemble qui lui soit entièrement consacrée. Le colloque organisé à Toulouse s’attaque donc à une énigme : comment se fait-il que cet objet universellement présent demeure invisible aux yeux du droit, réduit à des prescriptions techniques disséminées dans divers codes, sans véritable cohérence d’ensemble ?
La réponse, ou plutôt les éléments de réponse, viendront des échanges du 28 novembre 2025. La rencontre s’inscrit dans le cadre du projet CODEMO (Commun des mortels), porté par le programme TIRIS (Toulouse’s Science In and For Society) et accompagné par un réseau de partenaires : le Master Droit de la Santé de l’Université Toulouse Capitole, le laboratoire LARA-SEPPIA de l’Université Toulouse Jean-Jaurès, la société COEO, ainsi que les associations Vie Droit Mort et Collectif L’Unité du Droit. L’événement, qui se déroulera à l’École de Droit, amphi Maury, est placé sous le haut parrainage de l’ancien ministre Jean-Pierre Sueur. Cette alliance entre institutions académiques, associations spécialisées et acteurs du secteur funéraire illustre la volonté des organisateurs : faire dialoguer les disciplines et ne pas laisser le sujet confiné à une sphère purement universitaire.
Déconstruire les évidences : la matinée des définitions
La journée s’ouvrira par une série de communications destinées à circonscrire l’objet d’étude. Car la première question, toute simple en apparence, n’a jamais reçu de réponse juridique claire : qu’est-ce qu’un cercueil ? Est-ce une simple caisse destinée à contenir un corps, comme le suggère une approche matérielle, ou bien un dispositif sanitaire encadré par des normes précises ? Est-ce encore une enveloppe culturelle, symbole de la séparation définitive entre le monde des vivants et celui des morts ?
Les chercheurs du laboratoire LARA-SEPPIA (Université Toulouse Jean Jaurès) ouvriront la réflexion en retraçant les pistes explorées lors d’une "Journée design sur la mort" organisée quelques mois plus tôt. Leur contribution mettra en lumière la dimension créative et anthropologique de l’objet. Puis viendront les éclairages historiques et archéologiques du Dr Patrice Georges-Zimmermann, qui reviendra sur l’usage pluriséculaire des cercueils et des sarcophages à travers les âges. Enfin, le professeur Touzeil-Divina s’attaquera à la difficulté la plus épineuse : comment définir juridiquement le cercueil et son obligation ? C’est là que se joue tout l’enjeu du colloque.
La matinée se poursuivra par des études de cas particulièrement sensibles. Qu’en est-il du droit au cercueil pour les personnes indigentes, lorsque les ressources financières manquent ? Quels parallèles peut-on tracer avec les animaux, auxquels certains souhaitent offrir des rites funéraires semblables à ceux des humains ? Faut-il aussi reconnaître un droit à l’image du défunt dans son cercueil, question que soulèvent régulièrement les familles confrontées à la médiatisation d’un décès ? Ces problématiques, qui pourraient sembler périphériques, révèlent au contraire la complexité et l’actualité du sujet. La matinée s’achèvera sur une table ronde ouverte aux débats, dirigée par Ghislaine Delmond, adjointe au maire de Toulouse.
Entre contraintes sanitaires et innovations écologiques : l’après-midi des obligations
L’après-midi basculera vers les "droits positifs" du cercueil, c’est-à-dire vers la réglementation effective et ses contraintes techniques. En France, la mise en bière est une obligation : l’art. R. 2213-15 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) prévoit que tout corps doit être placé dans un cercueil avant d’être inhumé ou incinéré. La loi exige également que le cercueil soit conforme à des normes de résistance, d’étanchéité et de biodégradabilité, selon qu’il est destiné à la crémation ou à l’inhumation. Ces exigences sont justifiées par des raisons sanitaires et environnementales, mais elles imposent une standardisation rigide qui peut apparaître en décalage avec les évolutions sociales et écologiques.
Les étudiants du Master Droit de la Santé présenteront une analyse des obligations et dérogations sanitaires en vigueur, tandis que des professionnels viendront témoigner des difficultés pratiques rencontrées. On entendra notamment l’expérience de Me Laura Loisel, qui s’intéresse aux cercueils écologiques développés par la société Pivert, ou encore l’exposé du Dr Fouad Eddazi sur les droits de fabrication, de vente et de police des cercueils. Le professeur Fabrice Bin évoquera, pour sa part, la question rarement discutée des taxes et droits fiscaux liés à cet objet funéraire. L’ensemble de ces interventions soulignera à quel point le cercueil n’est pas seulement une "boîte", mais une véritable interface juridique et économique, soumise à un encadrement minutieux.
Et si l’on osait penser un droit sans cercueil ?
La fin de journée prendra un tour plus prospectif, presque provocateur. Peut-on imaginer un droit français qui, dans certains cas, se passerait de cercueil ? La question n’est pas théorique : certaines traditions religieuses, notamment musulmanes, imposent la mise en terre directe du corps dans un simple linceul. Des pratiques alternatives comme l’humusation – qui consiste à transformer le corps en compost fertile – attirent de plus en plus l’attention. Dans plusieurs pays, des cercueils en osier ou des enveloppes textiles biodégradables sont déjà utilisés. La France, en revanche, demeure attachée à l’obligation de mise en bière stricte.
Les communications de l’après-midi exploreront donc ces horizons nouveaux. Le professeur Norbert Telmon décrira la situation du corps "avant le cercueil" dans le cadre hospitalier. Le Dr Ariane Gailliard s’interrogera sur le droit applicable au cercueil après la sépulture, en cas d’exhumation ou de traitement des cendres. Théo Fautrat présentera la diversité des pratiques dans les territoires d’outre-mer et à l’étranger, tandis que Delphine Chenuet apportera un éclairage sur les demandes socioculturelles exprimées par des familles désireuses de rites plus souples. Le colloque se conclura par une réflexion normative conjointe du professeur Touzeil-Divina et de Théo Fautrat : faut-il assouplir l’obligation de cercueil en France, et si oui, dans quelles conditions précises ?
Les enjeux d’une réflexion collective
Ce colloque, inédit dans son objet, dépasse largement la simple curiosité académique. Interroger le cercueil, c’est toucher au cœur de nos représentations collectives de la mort et du rapport entre l’individu, sa communauté et l’État. Le cercueil est à la fois une enveloppe protectrice, un dispositif sanitaire, une dépense économique, un symbole culturel et une contrainte juridique. Il marque la transformation ultime de la personne humaine en chose, selon la formule consacrée, et cristallise toutes les tensions entre liberté individuelle, dignité, salubrité publique et traditions religieuses.
En abordant le sujet de manière pluridisciplinaire, le colloque vise à clarifier un droit souvent dispersé et mal connu. Les actes qui en seront publiés aux éditions L’Épitoge devraient constituer une référence nouvelle, à la suite du "Traité des nouveaux droits de la mort" paru en 2014. Mais l’ambition est également pratique : élaborer des propositions de réforme, susceptibles d’infléchir la législation funéraire et de mieux l’adapter aux attentes contemporaines.
Au croisement du droit, de l’écologie et de l’éthique
La tenue de ce colloque survient dans un contexte plus large où la question de la fin de vie occupe le devant de la scène politique et sociale. Les débats récents à l’Assemblée nationale autour de l’aide active à mourir ont remis en lumière la nécessité d’un cadre juridique cohérent, respectueux à la fois des choix individuels et de l’intérêt collectif. Parallèlement, les préoccupations environnementales s’invitent dans le domaine funéraire : la production de cercueils, l’usage de bois précieux, les émissions liées à la crémation, tout cela suscite des critiques et appelle de nouvelles solutions.
Ainsi, le cercueil devient paradoxalement un symbole de modernité. Il concentre nos interrogations sur la durabilité écologique, sur le respect des croyances religieuses, sur l’égalité d’accès aux rites funéraires, mais aussi sur la capacité du droit à évoluer face aux mutations sociales. Loin d’être une boîte fermée, il s’avère un révélateur puissant des tensions qui traversent notre société contemporaine.
Une autopsie juridique pour un objet universel
Le 28 novembre 2025, à Toulouse, se tiendra donc une journée singulière : une sorte d’"autopsie juridique" du cercueil. Derrière ce titre un peu décalé se cache un projet sérieux et novateur : donner enfin au cercueil une visibilité juridique et réfléchir à ce qu’il dit de notre rapport à la mort. En réunissant chercheurs, juristes, professionnels funéraires et citoyens curieux, le colloque "Cercueil(s) & Droit(s)" s’annonce comme une étape décisive dans la construction d’un véritable droit funéraire du XXIe siècle.
Il ne s’agit pas seulement de détailler les épaisseurs de planches ou les types de cuvettes étanches, mais de poser la question de fond : comment la société encadre-t-elle la dernière demeure du corps humain, et quelles libertés laisse-t-elle aux vivants pour choisir la manière d’honorer leurs morts ?
Dans un monde où les traditions se diversifient, où l’écologie bouleverse nos pratiques les plus anciennes, et où les droits de la personne s’étendent jusque dans la mort, réfléchir au cercueil, c’est réfléchir à nous-mêmes. Ce colloque, à n’en pas douter, fera date.
FUNÉRAIRE PARIS 2025
Le professeur Mathieu Touzeil-Divina sera présent le jeudi 20 novembre au salon FUNÉRAIRE PARIS 2025.
FUNÉRAIRE PARIS 2025
Le professeur Mathieu Touzeil-Divina sera présent le jeudi 20 novembre au salon FUNÉRAIRE PARIS 2025.
Steve La Richaderie
Résonance n° 220 - Octobre 2025
Résonance n° 220 - Octobre 2025
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