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La rapide évolution de l’épidémie de SARS CoV-2 en France a conduit à des prises de décisions sanitaires accélérées afin de limiter la contagion. Le Grand Est a été la première région française touchée, montrant que le risque de débordement des structures de santé entraînait des conséquences épidémiologiques, mais aussi psychosociales.

Le nombre insuffisant de soignants pour se relayer au chevet des patients hospitalisés a constitué le premier dysfonctionnement. Il a conduit à une concentration des soins sur les aspects somatiques de la maladie, au détriment de la prise en compte habituelle des aspects psychologiques et sociaux. Bien que ces manques soient apparemment compris par les Français, de nombreuses familles ont mal supporté la restriction de leur accompagnement. Leur proche, hospitalisé en réanimation, ne pouvait plus bénéficier de leurs visites, de leurs dons, de leurs gestes affectueux, et même parfois de leurs paroles directes.

Les derniers moments interdits

Les soignants ont tenté de pallier ces difficultés de leur mieux. Des équipes ont proposé des échanges par visioconférences, certaines, de stériliser des objets personnels, comme pour les malades en déficit immunitaire, d’autres enfin ont transmis des lettres, des messages et des photos, derniers témoignages d’amour de leurs proches. Les premières mesures proposées par le Gouvernement français, informé du risque de contagion des corps des malades décédés, ont été d’interdire les rites funéraires qui mettaient en contact les endeuillés avec leur défunt. Ainsi, la toilette funéraire était interdite, mais, bien plus difficile, le dernier hommage a été limité, avec l’impossibilité de revoir son mort et a fortiori de le toucher. Alors que la mise en bière conservait habituellement le cercueil ouvert pour permettre à la famille et aux amis de contempler une dernière fois leur proche, les corps ont été transportés dans une housse fermée et placés directement dans un cercueil rapidement clos, laissant exprimer occasionnellement un doute quant à l’identité du mort à l’intérieur.

Enfin, les cérémonies ont été limitées au maximum, n’octroyant parfois qu’un quart d’heure de recueillement, et jamais une cérémonie élargie à tous les proches. La promesse à plus tard de ces vastes cérémonies n’a pas, dans notre clinique avec ces familles, permis de les réconforter par rapport à ces manquements irréversibles et cruels dans ces temps où leur propre vie était menacée par la maladie.

D’autre part, il faut signaler qu’en l’absence de connaissances suffisantes sur l’infectiosité du SARS-CoV2, ce ne sont pas seulement les malades de la Covid-19 et leur famille qui ont été touchés par les mesures de protection, mais tous les malades et morts de la période.

Des données sur la mortalité dans le monde et en France

Au 7 juillet 2021 :
• Dans le monde, il y a eu 3 933 152 décès depuis le 31 décembre 2019, dont 738 958 en Europe ;
• En France, ce sont 111 288 décès, dont 84 815 à l’hôpital ;
• 667 400 décès en France en 2020, soit 53 900 morts de plus qu’en 2019, et donc une augmentation de 9 % (données Santé Publique France) ;
• Du 1er janvier au 31 mai 2021, nous avons déjà 291 915 décès, toutes causes confondues, soit 9 % de plus qu’en 2019 (+ 23 739 décès par rapport à 2019, année sans Covid-19).
C’est seulement dans la seconde quinzaine de mai 2021 que le nombre de morts se rapproche de celui de 2019, pour rejoindre 1 620 morts par jour (excédent par rapport à 2019 de + 3 %, contre + 9 % durant la quinzaine précédente) (données INSEE arrêtées le 30 juin 2021).
• Cette hausse des décès est totalement inédite depuis 70 ans.

D’un point de vue démographique, cette surmortalité a concerné "uniquement les personnes âgées de 65 ans et plus", avec un bond du nombre de décès de l’ordre de 10 %, alors qu’on constate même une baisse pour les moins de 25 ans (− 6 %). La mortalité a également été plus forte pour les hommes (+ 10 %) que pour les femmes (+ 8 %) (Le Monde, 15/01/2021. La France a connu en 2020 la plus importante mortalité de son histoire récente).

Finalement, ce sont au minimum deux millions de Français dont le deuil a été "empêché"

Dans les faits, tous les morts, depuis mars 2020, ont fait l’objet de cette restriction de visite et d’obsèques. Mais, si l’on se livre à une extrapolation à partir du nombre de morts depuis mars 2020, ce sont environ 1 000 000 de familles qui ont été affectées par un deuil dans la période Covid-19 (que nous limitons artificiellement à une année et demie, dans l’état actuel des connaissances). Si nous élargissons le nombre de personnes touchées par un deuil à deux par défunt, nous avons 2 000 000 de personnes à risque de deuil difficile, en raison des limitations d’accompagnement et d’obsèques pendant la période Covid-19.

L’importance du nombre de familles touchées par l’épidémie donne une idée du nombre de deuils à risque en France. En effet, les travaux de la communauté scientifique et les nôtres montrent que les conditions de la mort forment un facteur de risque de complication du deuil, en particulier, les conditions de mort collective comme la guerre, les catastrophes humaines et naturelles ainsi que les épidémies, qui forment un risque reconnu de deuil compliqué.

La recherche Covideuil

Covideuil étudie les conséquences du deuil "sous" Covid-19. Elle est financée par l’Agence Nationale de la Recherche Française. Nous souhaitons analyser comment les conditions de la mort pendant l’épidémie ont produit une dynamique sociale douloureuse, voire morbide, pour une grande partie de la population endeuillée. Notre hypothèse est la suivante : la difficulté des adieux et parfois l’empêchement de pratiquer les rites funéraires pendant l’épidémie de SARS-CoV-2 ont-ils entraîné ou aggravé une véritable psychopathologie du deuil ? Nous étudions également les moyens individuels et collectifs mis en place pour pallier l’absence d’adieux aux défunts. La temporalité du deuil a-t-elle été modifiée dans ces conditions ?

S’il a été nécessaire, pour les autorités sanitaires, de prendre des mesures de prévention de la contamination de la population, éthiquement cependant, la décision de restreindre à l’extrême les visites des défunts n’a pas pris en compte les conséquences à court, moyen et long terme chez les endeuillés. Il en a été ainsi dans les quinze premiers jours du confinement (avis du Haut Conseil de la santé publique relatif à la prise en charge d’un patient cas probable ou confirmé Covid-19 du 24 mars 2020), puis le Gouvernement français est revenu sur sa position de ne pas laisser revoir les défunts en autorisant à nouveau les derniers hommages (mais à une distance minimale d’un mètre et sans aucun contact). Cependant, certaines familles n’auront irréversiblement pas revu leur mort.

À partir du 11 mai 2020, les cimetières et les lieux de recueillement ont été réouverts au public, cependant, les obsèques continuent de se dérouler jusqu’à nouvel ordre avec vingt personnes au maximum, tandis que les inhumations ont lieu avec un public restreint à dix personnes et les crémations à cinq personnes. Pour les défunts du coronavirus, le corps doit toujours être placé dans une housse hermétique, qui ne pourra plus être ouverte. Le cercueil est également fermé au plus vite. Les toilettes rituelles confessionnelles ne sont toujours pas autorisées, ni les soins de thanatopraxie.

Qui sont les morts ? Qui sont les endeuillés touchés par la Covid-19 ?

Enfin, les morts sont plutôt des personnes âgées de plus de 70 ans, de sexe masculin et fragilisées (diabète, affections cardiovasculaires, obésité). Les endeuillé(e)s sont alors plutôt des femmes, âgées. Les femmes sont plus sensibles aux aspects psychotraumatiques, elles risquent donc d’être plus nombreuses à présenter des troubles, comme dans les traumatismes collectifs. Les complications du deuil, et spécialement le deuil prolongé, seront alors plus fréquentes.

Le deuil en situation d’épidémie est mal connu. Malgré les nombreux écrits historiques et littéraires au sujet des épidémies de peste, de choléra et de grippe, la psychopathologie du deuil a plus été développée en période normale, de guerre ou de catastrophe. Ainsi, elle fait l’objet d’un intérêt grandissant depuis les travaux de Karl Abraham puis de Sigmund Freud en 1911 et 1915. La Seconde Guerre mondiale a vu se développer les recherches à grande échelle, en particulier sur les enfants qui avaient perdu leurs parents.

L’approche conceptuelle et clinique des perturbations du deuil nécessite une perspective complexe et globale, enracinée dans les travaux anthropologiques et historiques de la mort et de l’évolution des rapports de la société à la mort. Sous l’influence des réseaux sociaux par exemple, de nouvelles formes de pratiques rituelles et symboliques émergent dans l’expression et la quête de sens du deuil.

En somme, dans le projet Covideuil, nous souhaitons examiner les spécificités et conséquences psychopathologiques et psychosociales de la mort d’un être cher pendant l’épidémie de la Covid-19 qui constitue un modèle quasi expérimental d’une perte sans socialité. Les conditions de la perte de proches pendant l’épidémie vont donc être explorées pour analyser leur dimension traumatogène. Le questionnement sur les dernières paroles, les dernières images et les derniers rites, illustrera les liens sociaux et anthropologiques avec les défunts. L’expérience subjective des endeuillés reconstituera le phénomène exceptionnel de la mort "sous" Covid-19 et de ses conséquences globales sur le sujet et son groupe.

Un deuil sans rites ?

Le deuil, à partir du XXe siècle et en Occident, semble abandonner ses pratiques rituelles. Dans le cas de la pandémie à SARS-CoV2, nous analyserons de façon prospective comment les endeuillés ont trouvé de nouvelles ressources ou, au contraire, présenté des symptômes de dégradation de leur santé physique et psychique. Les conséquences d’une perte "non socialisée" sont (hélas) bien connues dans l’espèce humaine, lors des épidémies, des guerres et des génocides. Les ressources et les mécanismes de résilience déployés par les personnes endeuillées pour surmonter la perte seront analysés.

Si vous voulez participer à la recherche Covideuil :

- écrivez à : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Cette recherche consiste à être contacté par un psychologue-chercheur avec qui vous pouvez répondre à une enquête d’une trentaine de minutes, puis avoir un entretien le jour de votre choix, et enfin, être suivi et répondre six mois, puis une année plus tard, à une autre enquête avec le même psychologue-chercheur.


Marie-Frédérique Bacqué
Psychologue, professeure de psychopathologie à l’université de Strasbourg, directrice du Centre International des Études sur la Mort (www.ciem-thanatologie.com) et responsable de la recherche Covideuil
Résonance n° 172 - Juillet 2021

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations