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Sans être amnésique, il ne s’agit plus d’appliquer des techniques de métier confirmées depuis des générations précédentes. Mieux vaut prendre le train en marche pour y garder sa place…


Se lancer sur un nouveau secteur, que ce soit en création ou en reprise d’entreprise, ne peut plus se réfléchir comme auparavant. Les règles concurrentielles sont en mutation accélérée. Pas seulement à cause d’Internet ni même de l’influence accrue des contrats obsèques. Le marché des pompes funèbres reste local, s’éloigne définitivement d’un système succursaliste réparti sur toute la France, et adopte progressivement les méthodes modernes de management qui président à toutes les activités de services aux personnes.

Il en découle que rien ne se fera sans une gestion "serrée" de la trésorerie, sans une sécurisation permanente et optimale du potentiel humain et matériel détenu par l’entreprise, et sans une véritable stratégie adaptée au marché visé à l’échelle locale.

Voici venue la fin réelle des systèmes "à l’ancienne"

Il faut avoir connu la facilité relative de gestion des activités de pompes funèbres avant la réforme de 1993 pour comprendre les lourdeurs dont la filière subit encore les effets. L’exercice du monopole communal rabotait le plus souvent la créativité et le désir de progression des professionnels qui bénéficiaient soit du statut d’interlocuteur privilégié par la collectivité territoriale, soit du rôle valorisant de "chevalier blanc" pourfendant les prétendus abus du système.

De fait, les uns et les autres trouvaient dans leur opposition concurrentielle une hypothétique justification commerciale auprès des familles endeuillées. En réalité, les règles du jeu étaient assez simples à comprendre, puisque le principal consistait à exister physiquement sur le parcours emprunté par les familles en étant implanté soit près de l’hôpital, soit près du cimetière, en disposant si possible d’une chambre funéraire.

Il est utile de se rappeler que la mutation la plus influente dans la réforme de 1993 fut certainement la libéralisation de création des chambres funéraires, alors qu’elles étaient soumises auparavant à la seule initiative des communes (le nombre de chambres funéraires a été multiplié par six en vingt ans, à partir de 1996, année effective de sortie du monopole).

La territorialisation concurrentielle des entreprises de pompes funèbres s’est développée des années 90 à aujourd’hui en s’appuyant sur la disposition des chambres funéraires, chaque opérateur ayant eu progressivement intérêt d’en être doté personnellement (sauf dans les grandes villes disposant de services mortuaires en établissements de soins).

Dorénavant, nous y sommes : le territoire métropolitain est entièrement maillé par un tissu très dense de chambres funéraires qui répondent avec modernité et proximité aux besoins des familles, ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser question quand il s’agit de planifier une réponse intelligente et efficace en présence d’une subite surmortalité comme pendant la canicule de 2003 ou, plus proche de nous, comme nous avons pu la vivre avec la Covid-19 au premier semestre 2020. La suppression des petits services mortuaires qui existaient jusque dans les années 90 ne permet plus de régler des circonstances exceptionnelles de surmortalité en comptant sur des dotations du service public de santé.

Ce problème est aggravé par les délais d’attente imposés aux familles qui demandent la crémation pour leur défunt car la dotation actuelle de beaucoup de secteurs ne correspond plus au rythme de croissance de la demande ou, pire, des situations locales restent figées en l’état parce que les élus locaux ne prennent pas toujours la mesure du problème ou parce qu’ils utilisent parfois indélicatement leurs responsabilités.

L’état concurrentiel dans la branche des pompes funèbres mène actuellement à plusieurs constats :

- la dotation de moyens performants s’est démocratisée, chaque opérateur disposant du nécessaire pour assurer aux familles un niveau "conventionnel" de produits et services qui correspondent d’ailleurs aux exigences préétablies dans les contrats obsèques. Dans la plupart des cas, on ne peut plus réellement faire la différence qualitative entre l’offre d’une PME et celle d’un groupe ou d’un réseau ;
- le marché de l’emploi dans la branche des pompes funèbres a véritablement muté. Les métiers du funéraire sont de moins en moins tabous dans la recherche d’emploi, mais, parallèlement à ce phénomène, la stabilité dans l’emploi s’est considérablement affaiblie. Il y a plus de turn over, on fait de moins en moins une carrière longue dans les pompes funèbres, et pour cause également, la politique des salaires dans la branche est moins attractive qu’il y a trente ans ;
- les charges d’exploitation ont subi un alourdissement de certains postes comptables liés à une inflation sur laquelle les opérateurs ne disposent que d’une faible marge de manœuvre (fiscalité locale, charges salariales, taxes, budgets publicitaires, amortissements d’investissement, coût des disponibilités 7/7, 365 jours, etc.).

Dans ce contexte, l’exploitation en réseau d’agences intégrées a pu disposer d’un premier effet d’aubaine à la sortie du monopole communal (1990-2020), mais souffre désormais d’une ankylose face à des concurrents de plus petite taille mais plus agiles et réactifs à leur échelle. La taille nationale est devenue un danger potentiel, sauf à mettre en œuvre une politique commerciale très souple et similaire sur bien des points à la gestion d’une simple PME.

Parallèlement, une PME pourra de moins en moins fixer le niveau de ses prix en fonction d’un moindre coût comparé à ceux d’un concurrent de taille plus importante. Quelle que soit sa taille, l’entreprise a investi dans des véhicules, des bâtiments, du personnel, et doit conserver sa profitabilité dans un contexte plus aléatoire et plus concurrentiel.

Il ressort de ce constat général qu’aucun opérateur de pompes funèbres n’échappera à la nécessité de se réformer. L’idée d’une couverture commerciale sur tout le territoire national va se heurter à la recherche d’une taille idéale de management, tandis que la limitation territoriale d’une entreprise risque d’exposer celle-ci à une asphyxie progressive de moyens face à une concurrence agressive.

Il n’y a donc pas une voie unique de développement à suivre sur le marché funéraire actuel, mais plusieurs options à mettre en œuvre au cas par cas, selon l’identité, les objectifs et la taille de chaque opérateur en question. Pour autant, il est possible d’adopter dès maintenant une forme d’analyse stratégique qui ouvre la possibilité soit d’attaquer commercialement un secteur, soit d’y défendre sa position. C’est ce à quoi nous allons nous attacher afin d’y voir plus clair dans les lignes qui suivent.

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Des aubaines en ville


Règle n° 1 : considérez qu’un secteur fortement concurrentiel est favorable pour une nouvelle implantation, car la clientèle n’y est plus fidèle, et l’investisseur nouveau peut bénéficier d’un coup d’avance en proposant sur le marché une formule commerciale qui exploite les faiblesses des opérateurs déjà implantés dans le secteur ;

Règle n° 2 : l’implantation physique des concurrents est rarement optimale et le parc automobile dont il dispose peut traduire des erreurs. La sagesse des investissements n’a pas toujours été au rendez-vous et le concurrent peut assumer un niveau d’amortissements qui l’empêche de baisser durablement sa moyenne de règlement des funérailles. Les trop belles chambres funéraires, les belles limousines, les niveaux de salaires en trop ou pas assez, les imputations fantaisistes de charges (notamment au niveau des loyers) sont autant de réalités internes aux entreprises qui donnent prise à l’émergence d’une possible concurrence ;

Règle n° 3 : la politique de gestion du personnel des concurrents est capitale. Le personnel est-il expérimenté, formé, stable, et surtout motivé, doué pour la particularité des spécialités funéraires ? (il y aurait beaucoup à dire sur les politiques d’embauche. La bonne personne à la bonne place n’est pas souvent une règle respectée). Connaît-il son secteur, et le secteur le connaît-il ? Comment est ouverte l’agence, tenue la permanence téléphonique, de quelle disponibilité bénéficient les familles dans le besoin ? Les agences fermées, les cortèges qui s’égarent et les téléphones qui ne répondent pas ou seulement à distance sont autant de failles ouvrant à la concurrence ;

Règle n° 4 : la communication des opérateurs funéraires sur leur secteur est souvent insuffisante, décalée ou maladroite. Il ne faut pas s’adresser aux familles en parlant de soi, mais seulement de ce qu’elles peuvent trouver dans les services de l’entreprise. Autre erreur de taille : la communication à l’échelle nationale sur une mosaïque de marchés locaux, sauf promotion exceptionnelle reposant sur une opportunité occasionnelle (les cerises ne peuvent pas pousser toute l’année…).

Un traitement particulier du secteur rural

L’opérateur en campagne est incarné, a un visage, une histoire, des amis et des détracteurs, connaît parfaitement sa population de clientèle et, surtout, fait aussi partie de la clientèle des autres, participe à la vie associative, etc. Affronter un opérateur rural, c’est s’exposer à s’épuiser de longues années pour obtenir peut-être un jour le partage pauvre d’un secteur concurrentiel limité.

Ce constat ne signifie pas que le secteur rural restera figé :

- l’emprise en amont des contrats obsèques sur le choix de l’opérateur funéraire va obliger les réseaux nationaux de pompes funèbres à se redéployer dans les campagnes, car l’implantation des assurés ne correspond pas parfaitement aux choix passés des implantations d’agences qui n’ont eu comme critère de sélection que le niveau maximal de rentabilité. Pour répondre aux besoins des assureurs, les réseaux nationaux seront obligés d’être au plus près, et le plus efficace des besoins "sur sinistre assuré". 
- l’âge des dirigeants d’entreprise et surtout l’obligation de financer la reprise par les enfants alors même qu’il a fallu investir dans les années passées sont des facteurs qui favorisent les proposition de rachat "en tache d’huile" par un confrère implanté en secteur voisin. Cette solution a permis de constituer des réseaux à l’échelle régionale ou, plus modestement, a permis à des PME d’asseoir leur fonctionnement sur des bases élargies et solidifiées. Mais cette solution n’a repoussé que d’une génération la problématique de la transmission en la montant à une échelle supérieure d’investissement. Je me refuse de compléter l’analyse sur ce point particulier.
- la ruralité restera un réservoir disponible aux initiatives les plus diverses dans lesquelles il faut souligner l’importance de la poly-activité. Cette réalité représente une limite territoriale, voire un danger concurrentiel pour l’opérateur funéraire en mono-activité, car le jeu comparatif ne repose pas sur les mêmes règles de gestion. L’avantage est au plus léger et au plus agile. La poly-activité est et sera toujours en vogue dans la ruralité, nécessité faisant loi. Elle peut assurer un réel service à des prix imbattables. Dans un tel contexte, le professionnel en mono-activité doit soit trouver sur le même secteur un allié local qui le représente, soit être capable de convaincre la clientèle locale d’une différence professionnelle qui justifie le recours à ses services.
Que ce soit en ville ou en ruralité, il faut donc à ce stade de notre raisonnement passer à la discipline au nom barbare de "benchmarketing". C’est ce que nous faisons dans les lignes suivantes.

L’analyse du secteur "à traiter"

Dans le cas particulier d’une création d’entreprise, l’obligation de réaliser un business plan sérieux pour rassurer le banquier est finalement une étape utile et indispensable pour mener à bien la montée en charge d’une activité de pompes funèbres. Néanmoins, l’analyse brute des chiffres recueillis sur la population concernée par le bassin d’implantation doit être élargie à plusieurs critères dépassant la simple analyse d’une potentialité de clients (population, taux de mortalité, niveau économique des foyers familiaux, concentration des lieux de décès, importance des classes d’âge en présence, taux de recours à la crémation etc.).

Il est nécessaire de prendre complémentairement en considération la structure des familles sur le plan régional (par exemple l’éloignement des enfants d’un couple vivant sur la Côte d’Azur ou au contraire la concentration des membres familiaux dans d’autres régions). Un autre paramètre à prendre en compte est le climat environnant l’entreprise, c’est-à-dire le niveau d’implication des acteurs publics, secteurs de la santé, élus et administrations pour analyser le degré de perméabilité de votre initiative dans un secteur donné.

Trop souvent, les investisseurs ne vont pas assez loin dans l’analyse des comportements et des volontés sur un secteur donné et si les funérailles sont effectivement commandées par la personne qui a qualité pour…, en fait l’entreprise de pompes funèbres n’en est pas moins obligée de satisfaire à chaque fois des groupes humains, à commencer par le groupe familial mais aussi un quartier, une paroisse, une commune, une association etc.

Quand c’est un enfant du pays qui crée son entreprise, ces données lui sont connues et généralement bien mesurées mais quand il s’agit de reprendre une entreprise sur un secteur inconnu, la prudence doit commander l’investisseur qui a le choix entre écouter les conseils de son vendeur et suivre, a priori, ses propres principes d’organisation et de travail. Toute la question est de savoir si l’expérience du repreneur est transposable dans le fonctionnement de l’entreprise nouvellement acquise et ce dans tous les domaines, tarifs, techniques de réception et de communication, management du personnel, relations extérieures dans ou hors convois etc.

Reprendre une entreprise est un art délicat qui ne réussit pas à tout le monde, loin s’en faut. La modestie et la prudence sont des qualités généralement payantes dans cette situation, notamment pour réussir le management interne en venant de l’extérieur. Un tel constat explique pourquoi la croissance externe ne réussit pas souvent aux grandes structures dont le fonctionnement est trop centralisé et trop rigide pour épouser les contours particuliers d’un marché local.

Quelques principes incontournables

J’ai évoqué avec vous, le mois précédent, la notion délicate de fixation des prix. Il est évident que votre projet ne doit pas se tromper à ce propos mais la réussite est rarement associée au principe de proposer aux familles un moindre prix. Votre politique de prix doit bien sûr analyser les pratiques de la concurrence déjà installée sur le secteur, voire susceptible de s’y installer si vos informations vont dans ce sens (ne sous-estimez jamais l’émergence d’une concurrence potentielle et surprenante à bien des égards, anticipez-la si possible). Mais prenez aussi en compte l’analyse particulière des demandes familiales sur le secteur concerné, tant sur le plan positif (quelles fonctionnalités sont recherchées comme la chambre funéraire, une salle de cérémonie civile, des possibilités de restauration etc.) que sur le plan négatif (quelles pratiques sont déconseillées, quels besoins ne sont pas respectés etc.).

Une fois mesurés ces facteurs qui touchent à l’estimation d’un rapport qualité-prix qui justifie votre place ou votre arrivée sur un secteur donné, vous devez ensuite analyser les coûts d’exploitation qui s’attachent à vos choix en matière de bouquet de produits et prestations proposé aux familles. Il est important d’analyser finement les coûts et les marges appliqués dans vos choix pour tenter de dégager un résultat d’exploitation encourageant. La sélection de vos fournisseurs est essentielle sur ce point, notamment en matière de cercueils. Vous devez aussi déterminer votre niveau de plus-value dans votre constitution de chiffre d’affaires donc votre indépendance à créer par vos propres moyens l’essence même de votre résultat d’exploitation en fin d’année d’exercice.

La détermination de votre politique tarifaire doit donc dépendre d’une combinaison de facteurs prenant en compte les besoins de vos clients, l’état des propositions concurrentielles sur le secteur et l’analyse de vos coûts d’exploitation rapportés à la marge commerciale recherchée.

Détenir une personnalité locale

Reprendre une entreprise permet d’hériter pour le meilleur ou pour le pire la réputation de son prédécesseur. C’est une notion clé définissant le fonds de commerce au-delà d’une simple quantification de clientèle. Par définition, une identité locale se crée ou s’hérite tout comme elle peut se modifier dans la durée soit positivement, soit négativement. Parce que le marché funéraire au niveau national n’est qu’une juxtaposition de marchés locaux, l’identité acquise sur un fragment de ce marché constitue probablement le noyau dur de la valeur d’une entreprise de pompes funèbres.

Cette identité est tout à la fois représentée par un nom mais aussi par des visages connus et reconnus sur le terrain. L’entretien de cette identité doit être au cœur de la politique de l’entreprise, elle est son ADN, sa signature sensible au service des familles qui doit lui permettre d’être reconnue très largement en tant que telle dans le périmètre du bassin d’activité.

Pour alimenter cette identité, l’entreprise doit savoir choisir et motiver constamment son personnel en cohérence avec ses objectifs et ses valeurs de service aux familles. Mais cette condition, qui relève souvent de l’exploit, ne suffit pas. Il faut en effet lui associer une politique de communication cohérente suivie d’une application concrète sur les funérailles conforme à la promesse publiquement expliquée par voie publicitaire ou relationnelle.

Nous touchons là un point déterminant pour la réussite actuelle des entreprises de pompes funèbres sur leur marché respectif. N’oubliez pas qu’une famille a besoin de personnaliser son rapport avec l’organisateur de funérailles qu’elle choisit. C’est à ce niveau seulement que se construit le contrat de confiance qui conditionne tout ensuite dans un domaine aussi sensible que celui des funérailles.

Ayant déjà exposé un certain nombre de points stratégiques dans ce dossier, nous continuerons notre partage de réflexion en commun dans un prochain dossier. Je vous y proposerai l’étude des moyens permettant de façonner et faire vivre votre identité personnelle sur le marché local qui vous concerne. Et là aussi, vous constaterez que la meilleure attitude consiste à mixer des règles professionnelles intangibles avec des originalités récentes, selon un dosage bien maîtrisé.

À bientôt donc.
 
Olivier Géhin
Professionnel funéraire

Résonance n° 179 - Avril 2022

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations