Votre panier

Panier vide
Les décès dans les aéroports constituent un phénomène bien réel mais occulté par un quotidien de ces grands ensembles, devenus de véritables villes à la périphérie d’importantes agglomérations. Avec l’explosion du trafic international de passagers, certes ralenti par la crise de la Covid, les infrastructures aéroportuaires se sont érigées en véritables baromètres des économies nationales.


Le groupe ADP a dévoilé, en début d’année, les chiffres de fréquentations des aéroports d’Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle pour l’année 2022. Ainsi, les deux aéroports du groupe ont accueilli 86,7 millions de passagers à Paris en 2022, soit 80,2 % du niveau de 2019. 

Avec de tels flux, dans ces enceintes, des décès surviennent au quotidien et sont pris en charge par des équipes spécialement affectées à cette mission. L’expérience de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle est inédite et mérite d’être mise en valeur, non seulement pour la qualité de l’organisation de son service médical, mais surtout pour l’engagement sans relâche de son chef de service : le docteur Philippe Bargain.

Ce rédactionnel est également un hommage à celui qui a dirigé ce service pendant 40 ans et qui a fait valoir, récemment, ses droits à la retraite à l’âge de 70 ans. Un article publié par la Dépêche du Midi évoque un médecin "qui a fait son deuil du tarmac". J’ai eu le plaisir de rencontrer le Dr Bargain dans les années 2000, à l’occasion d’un colloque que j’avais organisé sur le thème : "Le devenir du corps humain après la mort". En mettant au programme du colloque un thème traitant des décès dans les aéroports, notamment celui de Roissy-Charles-de-Gaule, je ne pensais pas obtenir un intervenant, ni même découvrir la qualité de l’organisation de son service médical. Je savais que des décès survenaient dans cette infrastructure, certainement de façon factuelle, mais pas en aussi grand nombre.

Au détour de mes archives, j’ai retrouvé son intervention empreinte d’émotion et d’humilité. Les statistiques qu’il dévoile constituent une excellente base d’analyse et d’évaluation des décès dans l’enceinte de l’aéroport.

Présentation du service médical de l’aéroport : de l’urgence collective à l’urgence individuelle

Le Service Médical d’Urgence (SMU) de l’aéroport Charles-de-Gaulle se caractérise par la continuité de son action tout au long de l’année. Sa mission est de prendre en charge les 70 millions de passagers en transit et les 90 000 personnels des services et administrations du site, sans compter un nombre indéterminé d’accompagnateurs, d’attendants et d’automobilistes de passage qui empruntent ses voies routières.

Le Dr Bargain aime à rappeler : "À l’origine, le centre a été créé pour répondre à l’urgence collective, comme les accidents d’avion, mais finalement, il n’y en avait pas autant que cela." Il est vrai qu’au départ, la cellule médicale de l’aéroport avait été mise en place pour faire face aux crashs d’avion. Face à leur rareté, la structure a été, très vite, apprivoisée par les acteurs locaux de l’aéroport.

Ce sont les passagers, les bagagistes et le personnel administratif de l’aéroport qui commenceront à affluer au service médical. Et c’est ainsi que le SMU deviendra un dispensaire de proximité, un véritable centre de santé, passant de l’urgence collective à l’urgence individuelle.

Depuis, l’équipe du SMU est composée de 16 médecins, 18 infirmiers, dont 6 coordinateurs pour la gestion de l’équipe, 12 conducteurs ambulanciers et 2 secrétaires. Elle réalise une veille sanitaire 24h/24, 365 jours par an et assure chaque année 20 000 consultations médicales. Le planning est organisé par tranches de 24 heures au cours desquelles travaillent deux médecins, trois infirmiers, dont un coordinateur et deux conducteurs ambulanciers.

Parmi les patients, 55 % sont des membres du personnel, 35 % des passagers et 10 % des accompagnants et des visiteurs. Sa "clientèle", comme aide à la qualifier le Dr Bargain : "Le voyageur qui fait un infarctus, la jeune mariée qui part en voyage de noces et a oublié sa pilule, le pèlerin en partance pour la Mecque qu’il faut vacciner contre la méningite, mais aussi les sans-abri qui errent dans les aérogares."

Ultime précision, ces dernières années, le service, tout en assurant des prises en charge diverses, effectue des prestations de médecine légale du vivant. Dans ce cadre, plus d’une centaine de dépistages est réalisée sur des personnes qui transportent dans leur corps des boulettes de drogue.

Statut des personnes décédées au sein de l’aéroport

Lors de son intervention au colloque cité précédemment, le Dr Bargain évoque un chiffre de 31 décès. Bien évidemment, de nos jours, ce chiffre est beaucoup plus élevé, quoique ralenti par la récente crise sanitaire qui a conduit à la paralysie des activités de l’aéroport. Évoquant ces décès, il déclare : "Ces décès se sont produits de manière inopinée, brutale, dans des conditions dramatiques et toujours éprouvantes ou dans l’espace confiné d’une cabine d’avion, au milieu de la foule dans les aérogares, ou encore sur les routes, et cela en présence de nombreux témoins."

1. Statuts des personnes décédées :
A. Personnels navigants techniques (02)
B. Passagers (19)
C. Personnels (03)
D. Accompagnateurs, attendants, automobilistes de passage (07)

2. Détail du statut des personnes décédées
A. Personnels navigants, passagers et rapatriés sanitaires (21)
•Personnels navigants (02)
•Passagers (15)
•Rapatriés sanitaires (04)
Dont :
a. Pilotes décédés en vol (02)
b. Passagers décédés en vol (05)
c. Rapatriés sanitaires décédés en vol (03)
d. Passagers décédés au centre (10)
e. Rapatrié sanitaire décédé au centre (01)

5 passagers sont décédés brutalement en vol, ainsi que 3 rapatriés sanitaires. Fait rarissime, 2 navigants techniques également. À l’atterrissage, l’équipe du centre n’a engagé aucune manœuvre de réanimation à l’égard de ces dix personnes.

10 passagers et 1 rapatrié sanitaire, victimes de malaises engageant le pronostic vital, relevés dans les aérogares, ont bénéficié des manœuvres de réanimation habituelles, hélas infructueuses.

B. Personnels (03)
•Maladie (00)
•Accidents de travail (03)
Dont :
a. Accidents de travail (01)
b. Accident de la route (01)
c. Meurtre (01)

C. Visiteurs et utilisateurs des voies publiques (07)
a. Maladie (01)
b. Accidents de la route (06)

"Devant un décès, alors qu’il n’y plus rien à faire, il reste encore beaucoup à faire."

Cette formulation en empruntée au Dr Bargain. En effet, après la constatation du décès, des procédures sont déroulées, tant sur le plan humain qu’administratif. Après avoir annoncé le décès et présenté le corps à la famille, aux amis ou aux témoins, il convient d’engager les démarches administratives et de s’occuper du devenir du corps.

A. Annoncer le décès et tenter de l’expliquer à la famille, aux amis ou aux témoins

C’est la partie la plus délicate de la mission de la cellule médicale, qui consiste, dans un contexte difficile et dramatique, à annoncer le décès à la famille. Dans ce contexte, si la famille est disposée à comprendre ce qui s’est passé, elle supporte mal le fait de ne pas comprendre ce qui s’est réellement passé. Selon le témoignage du responsable de la CMU, la culpabilité est présente dans tout deuil ; dès lors, la rencontre humanisante avec le médecin et l’équipe médicale, voire le retour sur les lieux du drame accompagné d’explications, permet une véritable restauration psychologique de la famille et des proches du défunt.

L’introduction d’éléments de réalité simple coupant court à certains fantasmes culpabilisants pour les proches. Parfois, à la suite d’un décès durant le vol d’un avion, le personnel de bord est orienté vers une cellule psychologique.

B. Présenter le corps à la famille, aux amis, aux collègues de travail

Pour le vivant ou le survivant, la présentation du corps de la personne décédée matérialise définitivement la réalité de la mort. Cette présentation permet à la famille et aux proches de commencer la première étape du deuil, celle qui consiste en l’acceptation de la réalité de la perte.

S’agissant des décès dans des conditions aussi particulières (décès dans un avion ou dans l’enceinte de l’aéroport), la famille ne se satisfait pas des premières explications fournies. Elle demandera des précisions et informations complémentaires, dont elle obtiendra des réponses en s’adressant à la compagnie aérienne en charge du transport ou aux autorités de police de l’aéroport.

C. Proposer la présence d’un ministre du culte

L’intervention d’un ministre du culte (prêtre catholique, pasteur, imam ou rabbin) peut être proposée en soutien à la famille, aux proches et aux témoins. Située au cœur de l’aéroport de Roissy (terminaux 2E et 2F), véritable plaque tournante accueillant plusieurs milliers de personnes chaque jour, l’aumônerie partage des bureaux avec des aumôniers protestants, juifs et musulmans. Ce sont des visiteurs de tous horizons qui sont accueillis chaque jour par les aumôniers. Parfois, des pilotes et des membres d’équipages s’y rendent de façon régulière.

Guilherme Rossi

D. Engager les obligations et démarches administratives

Dans ce cadre, il convient de distinguer deux situations de décès : le décès survenu à bord d’un avion, et le décès survenu dans l’enceinte de l’aéroport.

- Le décès survenu à bord d’un avion
Dans cette dernière hypothèse, ce sont les mesures prescrites par l’art. 78 du Code civil et par l’instruction générale n° 373 du ministère de la Justice relative à l’état civil qui s’appliquent : le décès survenu au cours d’un transport aérien doit être déclaré au lieu de la première escale après la survenance ou la découverte de ce décès.

Avec plus de 3 milliards de personnes qui prennent un avion chaque année, il est inévitable que des gens meurent en vol. C’est ce qui est arrivé dernièrement sur un vol Qantas entre Melbourne et Dubaï. Un passager a eu un malaise et l’équipage a tenté une réanimation sur le sol au milieu des autres passagers. Le commandant de bord a décidé d’atterrir en urgence à Muscat (Oman). Malheureusement, la personne est décédée avant l’atterrissage. À l’escale, un certain nombre de personnes sont venues examiner la personne décédée. Une heure plus tard, ils ont enlevé le corps. Les personnes qui l’accompagnaient sont descendues en même temps, devant l’affolement des autres passagers.

Mais sur certains vols, sans escale rapprochée possible (vols au-dessus de l’Atlantique ou du Pacifique), une situation inédite est vécue par la famille d’une femme qui décède pendant son trajet en avion, obligée de passer huit heures à côté de son cadavre avant l’atterrissage. Le mari et les enfants ont alors vécu une situation aussi étonnante que traumatisante.

Compte tenu du volume de personnes qui voyagent chaque jour et le nombre croissant de personnes âgées qui empruntent les liaisons aériennes, il est surprenant de ne pas connaître plus de cas. Cependant, il est clair que de nombreux équipages de cabine font face à cette situation chaque année, et les protocoles d’intervention, en cas de décès, varient selon les compagnies aériennes.

Bien qu’aucune législation internationale ne soit fixée concernant la gestion d’un passager décédé, les compagnies aériennes prévoient une procédure à suivre pour traiter un tel incident dramatique. Si le passager ne peut pas être réanimé, le personnel à bord doit noter l’heure du décès, qui sera prononcé officiellement par un médecin, soit à bord de l’avion, soit lors de l’arrivée au sol de l’appareil. Dans la trousse d’urgence de l’avion se trouve un linceul dans lequel la victime doit normalement être placée, avant d’être positionnée, dans la mesure du possible, à l’écart des autres passagers, dans le fond de l’appareil. L’utilisation du linceul évitera la propagation des éventuelles odeurs, possibles sur des vols longs courriers sans escale possible.

Une fois que le décès d’un passager est confirmé, l’équipage de cabine va œuvrer afin de déposer le corps de la façon la plus respectueuse et, si possible, à l’écart des autres passagers. S’il y a de la place, le corps sera probablement placé sur une rangée de sièges inoccupés, ou en première classe si l’espace est vide. Certaines compagnies aériennes permettent à leurs équipages de cabine de couvrir et de placer le passager décédé sur le sol du galet arrière. Mais ces solutions restent inadaptées face à l’aménagement de plus en plus spacieux des appareils, qui devrait permettre une prise en charge avec plus de décence des décès survenus à bord.

Ainsi, quand la compagnie Singapour Airlines avait lancé sa flotte d’Airbus A340-500, elle avait prévu un petit compartiment à l’arrière de l’avion près des portes de sortie. En effet, l’appareil effectuant la liaison Singapour-Los Angeles devant assurer un vol de 17 heures, sans escale, un espace dédié a été aménagé. Ce compartiment était assez grand pour stocker un corps de taille moyenne. On le nommait "le coffre à cadavre".

- Décès à bord : un décès sur 3 millions de passagers
On considère qu’actuellement les personnes de plus de 65 ans représentent plus de 13 % des voyageurs. Selon une étude menée par le service médical d’Air France sur une période de deux ans, 3 628 rapports écrits d’incidents médicaux ont été rédigés par l’équipage de bord. Ceci correspond à un incident médical pour 20 000 passagers transportés (soit 5 par jour), comprenant 10 décès sur 3 millions de passagers (soit 20 décès sur 2 ans).
Sur ces 20 décès, 7 passagers étaient des malades en phase terminale dont le décès était à court terme prévisible ; 13 des 20 décès n’étaient quant à eux pas prévisibles, ce qui équivaut à un décès inattendu sur 5 millions de passagers transportés. Sur ces 2 années d’étude, 38 déroutements pour motif médical ont été effectués.

Dans 89,6 % des cas, un médecin était présent à bord de l’aéronef dérouté et était intervenu auprès du passager malade. Les urgences médicales à bord de vols commerciaux sont beaucoup plus fréquentes sur les vols long-courriers (80 % des cas).

Tobias Rehbein

- Le décès survenu dans l’enceinte de l’aéroport
S’agissant d’un décès survenu dans un lieu public ou recevant du public, les fonctionnaires du service de police générale de l’aéroport effectuent l’enquête afin de préciser les conditions du décès. Cette saisine effectuée, la famille, les témoins, les proches, voire l’équipage de l’avion seront entendus sur procès-verbal.

Sur réquisition judiciaire, le médecin de garde pratique l’examen clinique post-mortem du corps de la personne décédée. Il peut effectuer les prélèvements sanguins légaux nécessaires. Enfin, il fait part de ses conclusions cliniques à l’officier de police judiciaire en charge de l’enquête.

Le médecin de garde rédige le certificat légal officiel de décès, les certificats coutumiers de décès destinés aux sociétés d’assurances et d’assistance, à la compagnie aérienne. L’information du décès peut être également transmise, à partir du centre médical, à la compagnie d’assistance qui se chargera des opérations funéraires de rapatriement de corps.

Le lieu du décès déterminant la mairie compétente pour recevoir la déclaration de décès, il convient de savoir que, les infrastructures de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle s’étalant sur le territoire de plusieurs communes, un passager décédé en vol et débarqué à l’aérogare n° 2 sera déclaré mort à la mairie de Tremblay-en-France dans le département de la Seine-Saint-Denis. Débarqué à l’aérogare n° 1, le décès sera déclaré en mairie de Mauregard, petit village de Seine-et-Marne. L’ensemble de ces informations est alors transmis aux familles afin de leur faciliter les démarches administratives.

E. La remise des effets personnels de la personne décédée

Les bagages accompagnant le défunt ou récupérés en soute sont remis à la famille. En cas de non-récupération par la famille, ils seront déposés au service litige bagages de l’aéroport, ou récupérés par les services de police.

F. Le devenir du corps

Une fois la présentation à la famille achevée, le corps est transféré dans une chambre funéraire à proximité de l’aéroport ou dans tout autre lieu désigné par la famille. Dans des cas de décès posant un problème médico-légal, le corps rejoindra l’Institut Médico-Légal de Paris aux fins d’autopsie

L’étude menée par la compagnie Air France nous livre une information capitale : pour une tranche de 3 millions de passagers, il est enregistré une moyenne annuelle de 10 décès. Cette statistique, ramenée aux 3 milliards de passagers empruntant, annuellement, des lignes aériennes, le ratio de décès dans un avion et dans un aéroport est d’une telle dimension que bon nombre de compagnies et de sociétés de gestion des infrastructures aéroportuaires ont mis en place des procédures d’intervention et mis en place des cellules d’intervention d’urgence.

Plus particulièrement, il convient de rendre hommage aux équipes médicales de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, exposées en situation réelle aux décès, et qui ont développé une habileté sociale leur permettant de prendre en charge les familles endeuillées. Paradoxalement, la mission de ces équipes reste centrée sur les vivants, dont il faut assurer l’accompagnement. Et comme aime à la rappeler le Dr Bargain, ces "équipes deviennent le médecin des familles endeuillées".
 
Meziane Benarab

Résonance n° 190 - Avril 2023

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations