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Anthropologue du funéraire, mon travail de recherche consiste à porter un regard réflexif – et neutre – sur les pratiques funéraires pour en tirer des conclusions à la fois singulières et universelles. Partager ses réflexions avec les professionnels du funéraire, c’est l’occasion de donner des clés à la fois de compréhension et d’analyse des transformations socio-culturelles aux héritiers, garants et fondateurs des rites funéraires de demain.


Les rituels et les pratiques funéraires répondent dans un contexte historico-culturel donné tant à des impératifs techniques, par la gestion du corps mort, qu’à des impératifs sociétaux, en donnant un sens à l’existence et à la récente absence. Ils s’adaptent ainsi aux évolutions – qu’elles soient sociales ou culturelles – et aux crises que les sociétés traversent. Les exemples les plus marquants de ces vingt dernières années en France sont la sécularisation des rites funéraires et le développement important de la crémation comme mode de sépulture.

Différentes innovations ont émergé en parallèle dans le monde occidental – capsule funéraire biodégradable (Capsula Mundi), cimetières naturels ou encore modes de sépulture alternatifs à l’inhumation et la crémation (promession, humusation, aquamation) – se revendiquant comme "bons pour l’environnement", "durables", "plus écologiques" et "plus économiques" que les funérailles dites "traditionnelles".

L’ensemble de ces pratiques alternatives se rattache au phénomène des funérailles écologiques ; adjectif pouvant également être remplacé par différents synonymes, tels que "funérailles vertes" ou "funérailles naturelles". Ils reflètent cependant quelques nuances : pour les anthropologues britanniques D. Davies et H. Rumble(1), l’adjectif "écologique" porte une validation de type scientifique, "vert" suggère quant à lui un certain activisme politique, et naturel un désir d’indépendance face aux entreprises commerciales.

Capsula Mundi

Pour l’anthropologue E. Anstett(2), c’est la conjonction de trois contextes spécifiques (historique, économique et idéologique) qui aurait permis l’émergence de ces innovations funéraires "plus respectueuses de l’environnement".

D’une part, la modernité, qui a profondément marqué et transformé les pratiques funéraires – le philosophe E. Lowen parle même de "démodélisation" du rite funéraire. Le développement et la généralisation de la crémation comme mode de sépulture en sont un exemple.

Ensuite, la rapide professionnalisation des pratiques funéraires – autrefois prises en charge par la sphère privée et communautaire – ainsi que la naissance et l’expansion d’un marché du funéraire. Et si la demande a dans un premier temps généré l’offre et suscité la naissance d’un marché, c’est aujourd’hui l’offre qui détermine et conditionne la demande.

Enfin, l’omniprésence d’un impératif environnementaliste. Cette injonction morale de prendre soin de l’environnement prendrait appui sur plusieurs axiomes selon Anstett. La nécessité d’un "développement durable(3)", et la prévalence du "bio(4)". Cet impératif environnementaliste a alors pour double corollaire, d’une part, une abjection généralisée envers les détritus et d’autre part, une primauté donnée au recyclage.

Dans cette logique, Anstett pose une équivalence entre le cadavre et le déchet(5). La représentation valorisée du recyclage a entre autres permis le développement de nouvelles pratiques funéraires "écologiques", qui suivent les discours et les ressorts symboliques de l’idéologie environnementaliste. La re-naturalisation des matières disqualifiées (déchets) est effective seulement lorsqu’une mécanique de l’oubli est mise en place grâce à la notion de "cycle", et donc de recyclage.

Recompose Cradle

Le "reste" n’en est plus un car il donne naissance à autre chose. Le corps mort, dans sa réalité biologique et non dans son existence sociale, est ainsi réinvesti dans un autre processus, qui s’inscrit lui pleinement dans les impératifs d’un développement durable. Le recyclage permet de requalifier ce qui a été disqualifié. Les funérailles écologiques, transforment ainsi l’offre en matière d’accessoires et de services funéraires et, plus profondément, les représentations de la nature et du cycle d’échange entre l’homme et la nature.

Dans le contexte historico-culturel occidental actuel, l’on remarque ainsi que les rituels et les pratiques funéraires peuvent répondre d’une part à des impératifs sociétaux, initiés tant par les politiques publiques que par les citoyens, qui invitent à repenser notre façon de vivre, de se nourrir, de se déplacer, de produire ou de consommer et même plus récemment notre façon d’être mort ; d’autre part à des impératifs techniques qui demandent de reconsidérer la gestion des corps morts – dont le nombre augmentera de façon significative dans les prochaines décennies. L’écologie est devenue une nouvelle entrée de penser la mort.

Ces innovations présentées comme "plus respectueuses de l’environnement" ouvrent aux sciences sociales de nouveaux horizons de recherche, tant sur l’impact de ces idéologies environnementales sur les pratiques funéraires que sur les représentations mêmes du cadavre dans nos sociétés contemporaines. Mais aussi un nouveau champ d’investigation pour les professionnels du funéraire.
 
Manon Moncoq
Anthropologue du funéraire
Consultante-Intervenante
 
Nota :
(1) Davies, D., & Rumble, H. (2012). Natural Burial : Traditional - Secular Spiritualities and Funeral Innovation. Bloomsbury Publishing.
(2) Anstett, É. (2015). Les funérailles "bio". Communications, n° 97(2), 147‑159.
(3) "Développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs", citation de Mme Gro Harlem Brundtland, Première Ministre norvégien (1987).
(4) Limiter l’impact environnemental de l’activité humaine en refusant le recours à la chimie de synthèse et en améliorant la lutte contre la pollution (Anstett).
(5) Voir également les travaux d’A. Jeanjean : Jeanjean, A. (2011). Travailler à la morgue ou dans les égouts. Ethnologie française, 41, 59-66.

Résonance n° 194 - Août 2023

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