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Dans l’ombre de la Sérénissime, le cimetière San Michele, unique cimetière de la ville de Venise, est situé au large des Fondamente Nuove qui longent la lagune. Ce site préservé de 15 hectares occupe l’intégralité de ce qui furent à l’origine deux îles : San Michele et San Cristoforo della Pace, qui abritaient un monastère franciscain, puis une prison.


Unique "poumon vert" de la ville, il est injustement méconnu des visiteurs absorbés par les images littéraires et picturales de Venise et par son décor théâtral. Mais le cimetière San Michele est aussi un héritage napoléonien de par sa fondation en 1807 lorsque le jeune royaume d’Italie avait rejoint l’Empire français, soumettant ainsi le cimetière, à l’instar des cimetières français, aux règles issues du décret impérial du 23 prairial an XII.

Venise, une histoire française

Après une première incursion en 1797 des armées du général Bonaparte en terres vénitiennes lors de la Campagne d’Italie, celui-ci, de retour à Paris, sera couronné empereur des Français le 2 décembre 1804. Instituant un éphémère Royaume d’Italie (1805-1814) intégrant la ville de Venise, le jeune empereur sera également couronné roi d’Italie le 26 mai 1805.

C’est ainsi qu’en intégrant l’Empire français, la ville de Venise se retrouvait soumise aux règles issues du décret impérial sur les sépultures, promulgué à Saint-Cloud le 23 prairial an XII (12 juin 1804).

Véritable texte fondateur du droit funéraire français moderne, il prescrivait la fin des inhumations dans les lieux de culte, l’édification des cimetières en dehors des villes (faisant ainsi écho à la déclaration royale du 10 mars 1776, marquant une véritable prise de conscience des enjeux en matière d’hygiène publique), l’obligation d’inhumer en fosses séparées et la possibilité d’acquérir une concession sous réserve d’avoir offert des "donations en faveur des pauvres et des hôpitaux […] autorisées par le Gouvernement" (art. 11).

Le cimetière San Michele de Venise, créé en 1807, partage en cela une page d’histoire avec bon nombre de ses homologues français : fermeture des anciens cimetières, à l’instar des 200 cimetières paroissiaux présents à Paris à la veille de la Révolution, création à l’extérieur de la ville, ici sur une île dédiée, des nouveaux cimetières répondant aux nouvelles prescriptions, à l’instar du cimetière du Père-Lachaise à Paris.

Mais des règles aussi drastiques que celles imposées par la puissance française ne manqueront pas de susciter de vives oppositions, et, à la faveur de la chute de l’Empire, le cimetière San Michele pourra renouer avec ses racines et poursuivre de façon naturelle son histoire italienne.

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Après l’Empire, opposition et réappropriation

L’application du décret impérial n’a pas été sans heurter une sensibilité italienne encore loin des idées des Lumières et de la Révolution. C’est dans ce contexte que le poète Ugo Foscolo (1778-1827) publiera en 1807 un long poème en 295 vers, véritable pamphlet dénonçant la violence du décret français et exaltant l’importance des rites et mœurs en vigueur dans l’Italie d’alors.

Écho à cette œuvre poétique et politique, le cimetière San Michele abrite la tombe de Giustina Renier Michiel (1755-1832), auteure et traductrice vénitienne, notoirement connue pour avoir tenu tête à Napoléon, renforçant ainsi un sentiment national vénitien malmené. Ces actions lui valurent alors une estime certaine de l’ensemble des couches sociales vénitiennes, lui permettant d’accéder aux sépultures les plus prestigieuses du cimetière, situées sous les arcades des déambulatoires.

Malgré la chute de l’Empire et de l’éphémère Royaume d’Italie français en 1814, le cimetière San Michele demeurera l’unique cimetière de la lagune, à l’exception du cimetière juif situé sur l’île du Lido, mais poursuivra néanmoins son histoire italienne.

Ainsi, échappant à la loi française du 14 novembre 1881 relative à la neutralité des cimetières, le cimetière San Michele conserve une organisation séparant les sépultures des différents cultes, règle présente dans le décret de 1804, et encore aujourd’hui en droit local d’Alsace-Moselle. Si la section catholique occupe la majeure partie du cimetière, sont également présentes une section orthodoxe (qui accueille notamment la sépulture du compositeur russe Igor Stravinsky), une section protestante, ainsi qu’une section évangélique.

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Un cimetière historique et cosmopolite

Lieu de passage, de passion et de rêverie, la ville de Venise attire et inspire. Il n’est donc pas étonnant que son cimetière abrite les sépultures de personnages aussi divers qu’illustres. Outre les grandes familles vénitiennes telles que Canova, Querini, Dolfin, Boldù, Papadopoli ou Gozzi, le cimetière de San Michele accueille également nombre de voyageurs, marins, aviateurs et militaires, mais aussi et surtout un nombre important de célébrités du monde entier, telles que Christian Doppler (1803-1853), mathématicien et physicien autrichien, Ezra Pound (1885-1972), poète et musicien américain orthodoxe, Serge Diaghilev (1872-1929), danseur russe, ou encore Sonia Kaliensky (1885-1907), jeune femme russe abandonnée par son amant qui s’est suicidée à l’hôtel Danieli, et enfin la Princesse Troubetzkoy (1816-1897), née Moussine Pouchkine, à qui le Tsar Nicolas Ier fit un enfant, la forçant ensuite au mariage contre son gré.

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Un modèle de cimetière alliant raffinement architectural et paysager

Le cimetière San Michele interpelle par sa dimension hétéroclite, offrant au visiteur, dès son entrée, des cloîtres majestueux lui donnant l’allure d’une forteresse religieuse, projetant ainsi hors du temps, loin du tumulte de la ville. Il abrite en son centre de nombreux parterres où se dressent plus modestement des tombes sur des pelouses verdoyantes où se mêlent fleurs sauvages et autres araliacées faisant de cet îlot de verdure et d’apaisement un lieu unique sur la lagune, véritable sanctuaire de biodiversité.

Il n’est ainsi pas surprenant de voir les tombes les plus anciennes disparaître sous le développement lianescent du lierre. Sa structure en damier est constituée de murs intérieurs longés par des déambulatoires surélevés abritant les seuls caveaux du cimetière constituant les sépultures des classes sociales les plus élevées, ornées de stèles monumentales richement décorées. De nombreux patios austères abritant également des enfeus longitudinaux donnent au cimetière une dimension labyrinthique où le visiteur aime à se perdre dans cet espace hors du temps.

Dans l’esprit d’un cimetière italien fortement empreint de catholicisme, il n’est pas rare d’apercevoir quelques "bondieuseries" sur les tombes, telles que des bustes en version miniature des papes Jean XXIII et Pie XII, mais aussi de petites plaques funéraires à l’effigie de Padre Pio ou de Saint-François d’Assise.

Enfin, se mêlent également dans cet ensemble architectural diversifié, des chapelles et monuments ciselés, des chapelles dites "Blockhaus" ainsi que des cases de columbarium aux allures de gratte-ciel où se côtoient harmonieusement différents styles d’urnes.

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Un cimetière en recherche constante d’espace

Par son caractère unique sur la lagune et sa construction sur une île, le cimetière de San Michele est soumis à une très forte contrainte d’espace. Tout en préservant son patrimoine et sa végétalisation, les reprises de sépultures y sont constantes. Les ossements sont alors transférés sur l’île Sant’Ariano, près de Torcello, et de plus en plus sur le continent, dans la ville de Mestre.

Pour tenter de remédier au manque de place, le cimetière a fait l’objet d’un concours en 1998. Le projet était d’ajouter un ossuaire, des cours intérieures, ainsi qu’un bâtiment de service. C’est l’architecte londonien David Chipperfield qui le remporta, et qui se chargea donc d’entreprendre les travaux qui ont pris fin en 2017. Un autre projet, de grande envergure, est actuellement en cours, visant à réaliser une extension de l’île existante afin de pouvoir accueillir de nouveaux monuments funéraires, mais également de pérenniser la biodiversité en y ajoutant des jardins, si rares à Venise.

Le visiteur averti sera enfin frappé par la petitesse des monuments ornant les sépultures des carrés enherbés. En effet, afin d’optimiser l’espace, les tombes ne sont pas entrecoupées d’allées, de sorte que les monuments, d’une dimension proche de celle d’un cavurne français, n’occupent que la moitié de la superficie des tombes, la deuxième moitié, engazonnée constituant un cheminement au-dessus des jambes des défunts !

Digne des cimetières les plus célèbres, le visiteur est transporté par les senteurs enchanteresses des cyprès et des magnolias. Luigi Nono (1924-1990), compositeur vénitien inhumé au cimetière de San Michele, savait en véritable esthète "qu’il se plairait ici", recommandant, de son vivant, d’écouter les pierres et les couleurs…

Xavier Anonin
Docteur en droit - Avocat au Barreau de Paris

Résonance n° 202 - Avril 2024

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