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Acte de décès, déclaration CPAM, pension de réversion, radiation carte Vitale… Comment aborder ces sujets incontournables sans rompre la relation de confiance établie lors des obsèques ? Entre timing, posture, outils et psychologie du deuil, état des lieux d’une compétence à part entière qui redéfinit le rôle du conseiller funéraire.


Le piège de la double casquette

"Vous avez pensé à prévenir la CAF ?" Combien de conseillers funéraires ont vu un visage se fermer après cette simple question, pourtant légitime ? Combien ont senti ce léger malaise s’installer, cette tension qui vient fissurer la relation patiemment construite depuis le premier rendez-vous ?

Le paradoxe est connu de tous les professionnels du secteur : vous venez d’accompagner une famille dans les choix les plus intimes. Le cercueil, l’essence du bois, le capitonnage. La musique pour l’entrée. La photo à agrandir. Le texte d’hommage relu trois fois ensemble, entre deux silences. Vous avez été là, présent, à l’écoute, dans une forme de proximité rare. Et il faut maintenant parler formulaires CERFA, actes d’état civil, radiation de carte Vitale, déclaration aux impôts, notification au bailleur social. Deux registres. Deux temporalités. Deux langages. Deux postures.

Pourtant, ne rien dire expose les familles à des conséquences lourdes : comptes bancaires bloqués pendant des mois, retards dans le versement des pensions de réversion, perte de droits à certaines prestations sociales, majorations de retard auprès des organismes fiscaux. En 2024, près de 40 % des ayants droit déclarent avoir rencontré des difficultés majeures dans leurs démarches post-décès, et 63 % affirment s’être sentis "seuls face à la complexité administrative" (source : étude Odoxa/France Assos Santé, février 2024).

La question n’est donc pas "faut-il en parler ?" mais "comment, quand, avec quels mots, et avec quels outils ?" C’est tout l’enjeu de cet article.

Ce que dit le deuil (et ce qu’on oublie trop souvent)

Les phases du deuil : un cadre théorique utile

William Worden, psychologue américain de référence en matière de deuil, a identifié quatre grandes tâches que traverse une personne endeuillée. La troisième — s’adapter à un environnement dans lequel le défunt n’est plus présent — inclut explicitement les démarches administratives et la réorganisation matérielle de la vie. Mais cette tâche intervient rarement avant 7 à 15 jours après le décès. Parfois même bien plus tard, selon le lien avec le défunt, les circonstances du décès (brutal ou anticipé), et la structure psychologique de la personne.

Pendant les premiers jours, le proche est souvent en sidération cognitive : une forme d’anesthésie émotionnelle et intellectuelle. Il ou elle est incapable de traiter des informations complexes, de prendre des décisions rationnelles, de hiérarchiser les urgences. Les neuropsychologues parlent de "rétrécissement attentionnel" : le cerveau ne peut se concentrer que sur l’essentiel immédiat (survivre, organiser les obsèques, tenir debout).

Lui parler de "délais de trois mois pour déclarer la succession", de "formulaires à renvoyer en recommandé", de "photocopies certifiées conformes" revient à lui parler une langue étrangère. Il ou elle entend les mots, mais ne peut pas les traiter.

L’impact des mots dans un état de vulnérabilité

Les recherches en psychologie du deuil montrent que durant cette période, la personne endeuillée est en état d’hypersensibilité émotionnelle. Chaque mot compte. Une formulation perçue comme froide, administrative, ou pire, commerciale, peut détruire en quelques secondes la confiance patiemment construite. À l’inverse, une phrase empathique, qui nomme la difficulté sans l’amplifier, qui propose sans imposer, peut être vécue comme un véritable soulagement.

Les erreurs qui brisent la relation (et comment elles s’installent)

Analysons trois erreurs fréquentes, leurs origines, et leurs conséquences :

1. Le timing brutal : parler trop tôt, ou au mauvais moment

Exemple vécu : "Voici la liste des 12 organismes à prévenir dans les jours qui viennent. Tenez, je vous mets aussi les numéros de téléphone. Bon courage." — Phrase prononcée le jour même des obsèques, entre la sortie du crématorium et le vin d’honneur.

Pourquoi ça arrive ? Souvent par souci de bien faire. Le conseiller se dit : "Autant leur donner toutes les infos d’un coup, comme ça c’est réglé." Ou bien, par manque de formation sur la temporalité du deuil. Ou encore, par peur d’oublier de le dire plus tard.

Conséquence : la famille vit cette intervention comme une intrusion. Elle se sent "ramenée à la réalité administrative" alors qu’elle est encore en pleine charge émotionnelle. Résultat : stress, confusion, parfois colère rentrée. Et surtout, le souvenir d’un moment désagréable associé à votre entreprise.

2. Le flyer fantôme : l’outil sans explication

Exemple vécu : Un QR code imprimé sur un petit carton, glissé dans la pochette remise aux familles à la fin de la cérémonie. Aucune explication orale. Aucun contexte. Juste un code-barres et une URL.

Pourquoi ça arrive ? Par gain de temps, ou par pudeur mal placée ("je ne veux pas avoir l’air de leur vendre quelque chose"). Ou encore, parce que le conseiller lui-même n’est pas à l’aise avec l’outil proposé (plateforme en ligne, partenariat avec une société tierce).

Conséquence : pour la famille, ce petit carton anonyme peut être perçu comme du démarchage commercial, voire comme une forme de spam. "Ils profitent de notre malheur pour nous vendre des services." Même si ce n’est pas votre intention, c’est ce qui peut être ressenti.

3. L’absence de suivi : rompre tout contact après la cérémonie

Exemple vécu : aucun appel, aucun mail, aucun signe de vie après les obsèques. La famille se retrouve seule face aux démarches, avec juste une brochure qu’elle ne sait pas par quel bout prendre.

Pourquoi ça arrive ? Par manque de temps, par manque de process interne, ou simplement parce qu’on considère que "le travail est terminé". Dans certaines structures, il n’existe aucun système de relance post-obsèques.

Conséquence : la famille se sent abandonnée au moment où elle en aurait le plus besoin. Et elle associe cette sensation d’abandon à votre entreprise. À l’inverse, un simple appel de prise de nouvelles peut transformer radicalement la perception du service.

La méthode en 3 temps : accompagner sans brusquer

Voici une méthode éprouvée, issue de retours d’expérience de conseillers funéraires formés à l’accompagnement du deuil.

Temps 1 : Semer la graine (J-2 à J)

Quand ? Lors du premier rendez-vous, ou juste après la cérémonie (moment calme, en aparté).

Comment ? Une phrase courte, rassurante, qui ouvre une porte sans forcer le passage : "Mme Durand, je sais que ce n’est pas le moment d’en parler, mais dans quelques jours, il y aura des démarches administratives à faire. Si vous le souhaitez, nous pourrons vous orienter ou vous donner des repères. Mais rien d’urgent pour l’instant."

Objectif : planter l’idée que le sujet existe, sans créer d’anxiété. La personne sait qu’elle ne sera pas seule, mais qu’elle n’est pas non plus obligée de s’en occuper tout de suite.

Variante : si vous sentez que la personne est très déstabilisée, vous pouvez même ne rien dire du tout à ce stade. Tout dépend de votre lecture de la situation.

Temps 2 : Relancer avec tact et humanité (J+4 à J+7)

Quand ? Entre 4 et 7 jours après les obsèques. Pas avant (trop tôt), pas après J+10 (risque que la personne ait déjà commencé à s’organiser seule ou qu’elle se sente oubliée).

Comment ? Un appel téléphonique bref, chaleureux, personnalisé. Idéalement fait par la personne qui a suivi le dossier (pas un centre d’appels externalisé, pas un collègue inconnu). "Bonjour Mme Dupont, c’est Thomas, de l’agence. Je voulais juste prendre de vos nouvelles, savoir comment vous allez. Et si vous avez des questions sur les démarches administratives à venir, je suis disponible pour en discuter ou vous orienter."

Pourquoi un appel et pas un mail ? Parce que la voix porte l’empathie. Parce que c’est plus difficile à ignorer qu’un mail. Et parce que ça permet de sentir l’état émotionnel de la personne et d’adapter le discours en temps réel.

Durée : 3 à 5 minutes maximum. Ce n’est pas un entretien conseil, c’est une prise de contact.

Ce qu’il peut se passer :
• La personne vous dit qu’elle n’est pas prête > vous proposez de rappeler dans une semaine ;
• La personne vous dit qu’elle est perdue > vous prenez rendez-vous ou vous envoyez immédiatement un support structuré ;
• La personne vous remercie et dit qu’elle gère > vous lui rappelez que vous restez disponible.

Temps 3 : Proposer un outil concret et structuré (J+10 à J+15)

Quand ? Environ 10 à 15 jours après les obsèques, une fois que la personne a commencé à reprendre pied dans le quotidien.

Comment ? Un mail structuré, clair, non intrusif, avec un objet explicite.

Exemple de mail :
Objet : Quelques repères pour vos démarches administratives
Madame Dupont,
J’espère que vous allez aussi bien que possible dans cette période difficile. Comme nous en avions parlé, je vous envoie quelques ressources pour vous aider à y voir plus clair dans les démarches à effectuer suite au décès de Monsieur Dupont.

Voici les principaux organismes à prévenir :
• Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) ;
• Caisse d’allocations familiales (CAF) si vous perceviez des prestations ;
• Caisse de retraite (CNAV, AGIRC-ARRCO…) ;
• Banque (pour le blocage/déblocage des comptes) ;
• Mutuelle santé ;
• Assureur habitation et véhicule.

Documents dont vous aurez besoin :
• Acte de décès (nous vous en avons remis 5 exemplaires) ;
• Livret de famille ;
• RIB ;
• Justificatif de domicile.

Nous travaillons avec la plateforme [Nom de la plateforme], qui accompagne les familles dans ces démarches de manière personnalisée et bienveillante. Si vous le souhaitez, je peux vous mettre en relation. Je reste bien sûr à votre disposition pour toute question.

Cordialement,
Thomas [Nom], conseiller funéraire
[Coordonnées directes]

Ce qui fait la différence dans ce mail :
• ton chaleureux mais professionnel,
• des informations claires et synthétiques (pas une liste de 30 organismes),
• proposition d’un outil tiers, mais sans obligation,
• contact direct et personnalisé,
• aucun élément commercial.

Les mots qui apaisent vs ceux qui crispent

Le choix des mots n’est pas anecdotique. En situation de vulnérabilité, certaines formulations sont perçues comme agressives, même si ce n’est pas l’intention.
(Voir tableau ci-contre).

Pourquoi ces différences comptent ?

Parce que les formulations de gauche placent la personne en position d’obligation ou de culpabilité. Celles de droite créent un espace de respiration, tout en transmettant la même information. Outils et supports : du papier à la plateforme, tout est question de présentation. Proposer un outil, c’est bien. Le présenter correctement, c’est indispensable.

Le livret post-obsèques papier

Quoi ? Un petit guide de 8 à 12 pages, sobre, avec :

Formulations à éviter Formulations apaisantes
"Vous devez impérativement…" "Voici ce qu’il faudra penser à faire quand vous vous en sentirez capable."
"Dans les 3 jours ouvrés…" "Dès que possible, idéalement dans la semaine…"
"Contactez la CPAM, la CAF, les impôts, la banque, etc." "Nous pouvons vous aider à identifier les bons contacts."
"Voici le site de notre partenaire." "Nous travaillons avec un service qui accompagne les familles."
"C’est obligatoire." "C’est important pour éviter des complications plus tard."
"Vous n’avez qu’à…" "Une option possible serait de…"
"Normalement, vous auriez dû…" "Pas d’inquiétude si vous n’avez pas encore eu le temps…"


• Un rappel des documents remis (acte de décès, certificat d’obsèques…) ;
• Une liste des démarches essentielles ;
• Les coordonnées des principaux organismes ;
• Une timeline indicative ("dans les 7 jours", "dans le mois", "dans les 6 mois").

Comment le remettre ? En main propre, à la fin du rendez-vous bilan post-obsèques, avec une phrase claire : "Ce petit guide vous aidera dans les semaines à venir. Vous pouvez le consulter à votre rythme, il n’y a rien d’urgent dans l’immédiat."

Atout principal : le papier rassure. On peut le corner, le surligner, y revenir. C’est moins intimidant qu’un site Web pour certaines personnes âgées ou peu à l’aise avec le numérique.

La plateforme en ligne dédiée

Quoi ? Un service numérique (type application Web ou plateforme partenaire) qui guide les familles pas à pas dans leurs démarches.

Comment la présenter ? Comme un prolongement naturel de votre service, et non comme un "produit annexe". "Beaucoup de familles nous disent qu’elles se sentent perdues face à toutes ces démarches. C’est pour ça que nous avons choisi de travailler avec (Nom de la plateforme), qui les accompagne de manière personnalisée et bienveillante. Si vous le souhaitez, je peux vous y créer un accès."

Atout principal : Personnalisation du parcours, rappels automatisés, aide en ligne, checklist interactive.

Vigilance : Bien expliquer que c’est facultatif, que ce n’est pas payant (si c’est le cas), et que vous restez disponible en parallèle.

Le SMS ou mail de suivi (si la famille est à l’aise avec le numérique)

Quoi ? Un message court, envoyé 5 à 7 jours après les obsèques.

Exemple de SMS : "Bonjour Mme Dupont, nous pensons à vous. Si vous avez besoin d’aide pour les démarches administratives, nous restons à votre disposition. Bien à vous, Thomas – Pompes Funèbres (Nom)".

Atout principal : contact léger, non intrusif, qui montre que vous n’avez pas "disparu".

Vigilance : ne jamais envoyer de SMS marketing ou promotionnel. Ce serait perçu comme une trahison.

Pourquoi c’est (aussi) dans votre intérêt commercial et éthique ?

Certains dirigeants de pompes funèbres hésitent encore à structurer cet accompagnement post-obsèques, par peur d’être perçus comme "opportunistes". C’est une erreur stratégique.

Sur le plan éthique

Accompagner les familles dans les démarches administratives, c’est assumer pleinement votre rôle de professionnel de l’accompagnement du deuil. Ce n’est pas "en plus" de votre métier, c’est au cœur de votre métier. Vous ne seriez pas un bon garagiste si vous répariez une voiture sans expliquer au client comment l’entretenir. Vous n’êtes pas un bon conseiller funéraire si vous organisez des obsèques sans aider la famille à gérer l’après.

Sur le plan commercial

Les familles qui se sentent accompagnées au-delà des obsèques :
1. Vous recommandent massivement. Le bouche-à-oreille reste le premier levier d’acquisition dans le funéraire. Une famille satisfaite en parle autour d’elle.
2. Reviennent pour d’autres besoins : achat de concession, pose de plaque, entretien de sépulture, organisation d’une cérémonie anniversaire.
3. Laissent des avis positifs en ligne, ce qui améliore votre visibilité et votre e-réputation (Google My Business, Trustpilot, etc.).
4. Vous choisissent à nouveau en cas de nouveau décès dans la famille. Et dans certaines familles, il y a plusieurs décès à quelques années d’intervalle.

À l’inverse, les familles qui se sont senties "larguées" après la cérémonie vous associent à un mauvais souvenir. Et ce mauvais souvenir, elles le partagent aussi.

Quelques chiffres à méditer

• 73 % des Français déclarent avoir choisi des pompes funèbres sur recommandation d’un proche (étude CREDOC, 2023) ;
• 58 % des personnes ayant vécu un deuil récent affirment avoir eu besoin d’aide pour les démarches administratives (étude IFOP, 2024) ;
• 41 % auraient souhaité que les pompes funèbres leur proposent un accompagnement post-obsèques, mais ne savaient pas que c’était possible.

Il y a un vrai besoin, et une vraie attente. Ne pas y répondre, c’est laisser le champ libre à d’autres acteurs (plateformes digitales, notaires, assureurs…).

En synthèse : les 5 principes pour ne jamais rompre l’empathie

1. Respecter la temporalité du deuil
Ne pas parler des démarches le jour J. Attendre 4 à 7 jours minimum.
2. Adopter une posture d’accompagnement, pas de prescription
Parler avec la famille, pas à elle. Proposer, ne jamais imposer.
3. Clarifier sans noyer
Donner 5 informations essentielles, pas 30. La simplicité rassure.
4. Assurer un suivi humain
Un appel, un mail, un SMS. Montrer que vous êtes encore là.
5. Présenter les outils comme des alliés, pas comme des produits
"Nous avons choisi de…", "Nous travaillons avec…", "Nous vous proposons…". Toujours dans une logique de service.

Conclusion : Administrer sans déshumaniser, la compétence du XXIe siècle

Les démarches post-décès ne sont pas un "mal nécessaire". Elles ne sont pas non plus une opportunité commerciale déguisée. Elles font partie intégrante du continuum de soins que vous proposez aux familles. Le métier de conseiller funéraire a profondément évolué. Il ne s’agit plus seulement d’organiser des obsèques, mais d’accompagner les vivants dans toutes les dimensions de leur deuil : émotionnelle, rituelle, sociale, et oui, administrative.

Cette dernière dimension est souvent la moins valorisée, la moins formée, la moins outillée. Pourtant, c’est elle qui peut faire basculer une famille d’un état de reconnaissance à un état de frustration. Administrer sans déshumaniser, informer sans brusquer, accompagner sans envahir : c’est tout l’art du conseiller funéraire moderne. C’est ce qui fait la différence entre un prestataire et un véritable accompagnant. C’est ce qui construit votre réputation, votre légitimité, et votre pérennité.

Les familles ne demandent pas qu’on fasse tout à leur place. Elles demandent qu’on soit présent, qu’on les éclaire, qu’on les rassure. Et qu’on ne les laisse pas tomber une fois la porte du crématorium refermée. C’est cela, aussi, le soin aux défunts : prendre soin de ceux qui restent.
 
Teddy Bredelet
Président de tranquillite.fr
Créateur du podcast VIVANT

Résonance n° 220 - Octobre 2025

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations