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La solidarité est une valeur essentielle et ancestrale dans l’organisation et la réalisation des funérailles en France, la professionnalisation du secteur ne commençant à prendre forme qu’à la fin du XIXe siècle, d’abord dans les villes, avant de gagner progressivement les campagnes. Mais la professionnalisation du funéraire vers notre organisation contemporaine n’a jamais pleinement exclu la notion de solidarité, bien au contraire. Ainsi, dans la continuité du monopole des fabriques (églises et consistoires juifs et protestants) en vigueur tout au long du XIXe siècle, le monopole communal de 1904 instaurera également un système solidaire consistant à financer les obsèques des personnes les moins fortunées par les bénéfices réalisés sur les obsèques des plus riches. Et depuis l’ouverture du marché opérée par la loi de 1993, les obsèques des personnes dépourvues de ressources suffisantes demeurent à la charge des communes, faisant ainsi appel à la solidarité nationale.


L’économie sociale et solidaire dans le domaine funéraire

Aux termes l’art. 1 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), celle-ci se définit comme : "un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine auquel adhèrent des personnes morales de droit privé qui remplissent les conditions cumulatives suivantes :
1° Un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ;
2° Une gouvernance démocratique […] ;
3° Une gestion conforme aux principes suivants :
a) Les bénéfices sont majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise ;
b) Les réserves obligatoires constituées, impartageables, ne peuvent pas être distribuées."

Au-delà de son aspect juridique, l’ESS est avant tout un état d’esprit, un engagement philosophique plaçant l’humain avant l’enrichissement économique.

Mais l’ESS en tant que notion n’est pas née avec la loi de 2014. Elle est en effet sans doute aussi ancienne que l’humanité. Ainsi, que l’on remonte à des temps très anciens ou plus modernes, la solidarité a toujours irrigué nos sociétés, qu’elle s’exprime dans un cadre civil ou religieux, et encore aujourd’hui, elle irrigue de très nombreux secteurs de l’économie.

Tant par sa nature que par son histoire, le secteur funéraire se prête particulièrement à se structurer autour de l’ESS et de nombreux opérateurs funéraires composant ce grand marché répondent aux critères de l’ESS : funéraire public, funéraire mutualiste, funéraire coopératif ou encore funéraire associatif.

À cet égard, les dispositions de la loi de 1993 ne manquent pas de le rappeler en indiquant à de très nombreuses reprises la liste des structures juridiques susceptibles d’assurer le service extérieur des pompes funèbres et d’y être habilitées, comprenant outre "les entreprises", "les communes" et les "associations".

Les coopératives composantes de l’ESS funéraire

Les coopératives sont définies par l’Alliance Coopérative Internationale (ACI) comme "des entreprises centrées sur les personnes qui sont détenues ou contrôlées par leurs membres pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs". À cet égard, "les coopératives rassemblent des individus de manière démocratique et sur un pied d’égalité. Quel que soit le statut de leurs membres (clients, employés ou utilisateurs), elles sont gérées démocratiquement selon la règle suivante : un membre = une voix."

En France, les sociétés coopératives sous leurs formes contemporaines sont apparues au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec la renaissance du mouvement coopératif de production et sont régies par la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Si son art. 1er, modifié par la loi de 2014 précitée, reprend presque au mot près la définition de l’ACI, son ancienne version qui n’avait guère changé depuis 1947 est beaucoup plus concrète et précise quant aux buts poursuivis.

"Les coopératives sont des sociétés dont les objets essentiels sont :
1° De réduire, au bénéfice de leurs membres et par l’effort commun de ceux-ci, le prix de revient et, le cas échéant, le prix de vente de certains produits ou de certains services, en assumant les fonctions des entrepreneurs ou intermédiaires dont la rémunération grèverait ce prix de revient ;
2° D’améliorer la qualité marchande des produits fournis à leurs membres ou de ceux produits par ces derniers et livrés aux consommateurs ;
3° Et plus généralement de contribuer à la satisfaction des besoins et à la promotion des activités économiques et sociales de leurs membres ainsi qu’à leur formation."

Si ces dispositions ont disparu explicitement de la loi, il n’en demeure pas moins qu’elles constituent autant d’objectifs concrets généralement poursuivis et souvent revendiqués par les coopératives.

En droit, les sociétés coopératives prennent la forme d’une société commerciale de droit commun (SARL, SAS ou SA) et il convient à ce titre de ne pas les confondre avec les associations à but non lucratif qui peuvent également exercer une activité commerciale. Ainsi, les sociétés coopératives ont un but lucratif, mais elles se différencient des sociétés commerciales de forme non coopérative par l’emploi qui sera fait des profits dégagés par leur activité commerciale, outre leur gouvernance démocratique déjà évoquée.

Dans le domaine funéraire français, force est de constater que ce modèle éprouve de grandes difficultés à se développer s’agissant des opérateurs funéraires. En effet, les coopératives funéraires ne sont apparues sur le marché qu’en 2016 et l’on en dénombre aujourd’hui à peine une dizaine, dont au moins une d’entre elles a fait l’objet d’une liquidation judiciaire en 2025. Mais les coopératives funéraires ne se limitent pas à quelques opérateurs funéraires de créations récentes. C’est ainsi qu’en novembre 2023, la coopérative UDIFE (Union Des Indépendants pour un Funéraire Engagé) a officialisé la dimension coopérative de son fonctionnement historique, en créant la première coopérative française d’opérateurs funéraires.

Coopératives funéraires : le fonctionnement québécois

La première coopérative funéraire québécoise voit le jour en 1942. La province en comptera plus d’une quarantaine 35 ans plus tard. Mais les premières coopératives connaîtront des débuts difficiles, faute d’expérience, de financement et du fait de leur isolement. C’est ainsi qu’à partir de 1974, un premier mouvement tendant à fédérer les coopératives est lancé, non sans mal puisqu’il faudra attendre la fin des années 1990 pour que celles-ci s’entendent et se regroupent pour former une entité capable de tenir tête aux géants américains du secteur investissant en masse dans le rachat d’entreprises familiales au point de finir par détenir près de 40 % du marché au début de la décennie 2000.

Pour contrer ce qui est alors perçu comme un envahissement de capitaux étrangers, les coopératives funéraires du Québec pourront compter sur un acteur financier providentiel, le Mouvement Desjardins. Le Mouvement des Caisses Desjardins est une coopérative fondée au début du XXe siècle et considérée en 2018, par le magazine The Banker, comme l’une des plus importantes institutions financières, gérant un actif évalué en 2022 à plus de 400 milliards de dollars canadiens.

Ainsi, c’est par une structuration financière rationnelle et efficace que les coopératives funéraires du Québec ont pu connaître l’essor qui est le leur aujourd’hui : 19 coopératives regroupant pas moins de 260 000 membres, représentant en 2023 une part de marché avoisinant les 20 % et un actif de près de 367 millions de dollars canadiens.

Parfois retenues comme un exemple fondateur par leurs homologues françaises, les coopératives funéraires du Québec se caractérisent par un équilibre entre respect absolu de valeurs engagées, solidaires et désintéressées, telles que : "réaliser des économies sur les services funéraires, choisir une entreprise qui se distingue par son approche humaine et professionnelle, affirmer des valeurs d’entraide, appuyer l’économie locale et régionale, encourager une entreprise qui ne recherche pas le profit et l’exploitation du deuil, participer à une organisation qui agit comme un frein à la montée régulière des coûts des funérailles, se sentir libre de ses choix sans percevoir la pression d’achat", tout en maintenant une structuration financière typique de toute structure économique. Ne perdons en effet pas de vue qu’au Québec comme en France, le secteur funéraire est un marché fortement concurrentiel et que la défense de valeurs, aussi nobles soient-elles, ne saurait prospérer en dehors des règles du marché.

Ces coopératives retiennent un modèle monosociétarial qui présente certes une facilité de pilotage parce que plus proches d’un conseil d’administration traditionnel, mais posent une question quant à la vocation universaliste de l’ESS : le monosociétariat est-il de nature à convaincre le plus grand nombre de parties prenantes d’embrasser pleinement les valeurs de l’économie sociale et solidaire ?

Les coopératives funéraires françaises

Les coopératives funéraires constituent un phénomène émergent dans l’environnement funéraire français, mais leur vocation d’essaimage est clairement un objectif. La première d’entre elles a été créée à Nantes en 2016, et elles sont plus d’une dizaine aujourd’hui.

Leur raison d’être exprimée est le plus souvent caractérisée par une critique farouche du secteur funéraire, dénonçant son opacité, la pression commerciale, le profit, l’absence de dimension humaine et la mauvaise qualité des prestations, en particulier des cérémonies. Si le landerneau funéraire ne saurait être exempt de toute critique, des prises de position clivantes et radicales, mais surtout trop généralisantes, ne sont assurément pas de nature à permettre un déploiement constructif dans le marché.

En outre, le modèle de financement de ces opérateurs, essentiellement fondé sur la participation de leurs coopérateurs "usagers", c’est-à-dire des particuliers, ne permet pas de pleinement viabiliser ces projets sur le plan économique. D’ailleurs l’année 2025 a été marquée par la première liquidation judiciaire d’une coopérative funéraire.

Face aux difficultés du quotidien et au manque de moyens de leur fédération, 2 coopératives ont décidé de rejoindre l’UDIFE : celles de Tulle et de Lille. L’UDIFE est une coopérative de niveau 2, il faut entendre par là qu’il s’agit d’une coopérative systémique de soutien : poids auprès des fournisseurs, capacité à nouer des partenariats nationaux, accompagnement financier, droit social et moult autres services. À noter que l’UDIFE, dans l’environnement funéraire coopératif français, est probablement la structure faisant le plus preuve de son engagement dans l’intercoopération, obligation issue du mouvement coopératif mondial.

La période tumultueuse pour son image que traverse actuellement le secteur funéraire démontre plus que jamais la pertinence du développement d’une économie sociale et solidaire funéraire forte, mais cette dernière ne pourra se faire que dans l’apaisement et le rassemblement, mais aussi et surtout autour de structures financières fortes capables de rationaliser la réalité d’un marché très financiarisé et fortement concurrentiel.
 
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris

Résonance n° 221 - Novembre 2025

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations