La récente publication de la tribune commune "Tracer un cap, donner une perspective et trouver de nouveaux équilibres avec les partenaires institutionnels" a suscité bon nombre de réactions qui motivent un retour d’analyse, plus en profondeur, du triptyque APF (Assureurs, Prestataires, Familles) fondement de l’assurance obsèques. Au préalable, il est utile de rappeler que l’initiative précitée est doublement inédite. D’abord par sa portée, en ce sens qu’elle explore par une vision prospective des enjeux et défis à relever. Ensuite par sa contribution à un débat collectif et une concertation positive entre différents acteurs du métier.
Revenir sur les défis communs et partagés par le triptyque précité est indispensable dans un contexte actuel contraint, teinté de grosses incertitudes qui viennent assombrir les perspectives pour les professionnels (institutionnels et prestataires) et renforcer le désir de prévoyance des familles.
En effet, pour ces dernières, la préoccupation liée au risque décès est fondamentale. D’autant plus qu’elle touche celles qui sont exposées et fragilisées sur le plan financier, comme l’attestent des études mettant en relief l’intérêt grandissant des classes moyennes et à faibles revenus pour la protection obsèques.
Résoudre le dilemme lié à l’inflation galopante des services funéraires
Dans un tel contexte, la réalité s’expose crûment aux différents acteurs, tout comme elle met en valeur l’imbrication des enjeux à tous les échelons de la mécanique des contrats obsèques.
- Pour l’assureur, il devient nécessaire de repenser le modèle économique de ses garanties afin que le capital disponible au jour du décès soit adapté à la facture du prestataire.
- Du côté du professionnel, la préoccupation est sensible, pris en tenailles entre le fait d’être à la fois le diffuseur de la garantie obsèques et l’acteur de son dénouement. Forcément, cette situation le met face à la réalité de l’objectif attendu par l’assuré : faire en sorte que le capital disponible couvre les frais funéraires et que ses proches ne soient pas sollicités. Le professionnel devient alors le baromètre d’évaluation de l’efficacité du produit commercialisé, tout comme il recevra de plein fouet les réactions des proches de l’assuré à un écart entre le capital disponible et le montant de la facture.
- S’agissant des assurés et de leurs proches, leur position scelle et synthétise les préoccupations précédentes : souscrire à un support de prévoyance protecteur et sans risques de dérapage sur le plan financier. Ce qui rend inacceptable et incompréhensible l’éventuel tiers à charge à réclamer aux proches. À ce stade, il convient de rappeler que près de la moitié des contrats sinistrés affichent un tel déséquilibre qui risque de remettre en cause profondément le concept du contrat obsèques.
Les développements qui précèdent donnent un aperçu du caractère sensible de l’imbrication des enjeux entre les trois parties prenantes au contrat de prévoyance funéraire. Au cœur de ces enjeux : l’inflation des prestations funéraires.
Comprendre vraiment le mouvement inflationniste des prestations funéraires
Pour l’opinion publique - et même parfois pour les professionnels – il est difficile de comprendre l’écart flagrant entre l’indice de la consommation et l’indice des services funéraires. Cette incompréhension est d’autant plus acceptable que d’importantes interrogations entourent l’élaboration de l’indice INSEE Services funéraires.
Questionnés, les professionnels du funéraire s’interrogent toujours concernant la réalité de ce mouvement inflationniste, les prix de leurs prestations n’évoluant guère plus que l’indice général. Mais comment est calculé cet indice ? À partir d’indicateurs économiques de base de l’activité funéraire tels que le bois, la quincaillerie, l’énergie, le coût du travail et bien d’autres éléments pris en compte ? Ou alors, à partir d’une moyenne de factures de prestations funéraires ? Si tel était le cas, à partir de quel échantillon de factures ? Cet échantillon intègre-t-il des entreprises de différentes tailles ? Autant d’interrogations qui placent le prix de la prestation funéraire au cœur du modèle économique de la prévoyance funéraire.
Les dernières analyses publiées dans la presse spécialisée, y compris celle qui nous publie, confirment la sensibilité et le caractère stratégique de l’indicateur relatif aux prix dans le moteur de conception des garanties obsèques.
Voici venu le temps de l’évaluation et de la réaction collective
Les écarts entre le capital garanti et le capital couvrant le risque du décès suscitent une réelle prise de conscience chez les institutionnels et acteurs de la prévoyance. Une véritable course à la refonte des garanties diffusées est engagée, notamment sur le plan de la tarification des primes de souscription. Une forme d’inflation parallèle s’est installée, risquant de mettre en difficulté le développement de la prévoyance funéraire en général.
Ce risque ne doit pas être négligé face à l’augmentation du montant des frais funéraires pouvant être prélevés sur le compte du défunt, qui risque de détourner les familles de cette formule de protection.
Un risque à prendre très au sérieux, si demain un groupe bancaire décidait de créer un compte bancaire spécifiquement affecté aux obsèques et sur lequel le client pourrait consigner une somme pouvant aller au maximum prévu par l’arrêté du 3 décembre 2024 pris en application de l’art. L. 312-1-4 du Code monétaire et financier (5 910 €).
Combler le déficit de concertation avec les professionnels et les familles
Au moment où le toilettage des formules de protection est engagé, il est nécessaire d’engager une évaluation avec les partenaires naturels de ce type de produit : les professionnels et les familles. Ils constituent le levier permettant de donner du sens au concept de prévoyance, tant sur le plan de la forme que du contenu de ces garanties.
À l’opérateur funéraire la charge de donner une mesure de son engagement tarifaire modéré, à l’assureur la mission de faciliter l’accès aux formules proposées et aux familles le souci de conforter leur diffusion par une adhésion massive.
Dans le triptyque précité, il manque cruellement une courroie de transmission entre les acteurs permettant de capitaliser des expériences et de définir de nouvelles orientations de produits et services.
Si cette courroie avait existé, les assureurs auraient très vite compris que l’investissement sur le marketing du produit obsèques n’est pas si indispensable que cela. Du moins dans le contenu des prestations. Aucune statistique n’est publiée quant au taux de sollicitation des prestations d’assistance après-décès. D’expérience, je peux affirmer, sans risque d’être désavoué, que ce taux est disproportionné eu égard au montant de l’investissement consenti. Qui peut dire, avec objectivité, que la somme forfaitaire pour emprunter un taxi pour un proche en difficulté de mobilité est largement sollicitée ? Qui peut affirmer que les heures de ménage au domicile du défunt le sont également ? Ainsi de suite, sans compter la pléiade de prestations que l’assuré ne décrypte point.
Seule éclaircie dans ce foisonnement de prestations, la garantie de rapatriement en cas de décès à une certaine distance du domicile. Cette prestation est effective et réellement bien intégrée par les assurés. Et c’est cette prestation qu’il convient de consolider afin d’en faire le cœur de la garantie.
Le dialogue avec les professionnels aurait permis aux assureurs d’adapter leurs garanties à l’évolution des situations et circonstances du décès dans la société contemporaine. La fin de vie, les décès en milieu carcéral et bien d’autres situations telles que les nouvelles formes d’inhumation doivent constituer autant de sujets de concertation.
Des états généraux pour créer l’espace d’échanges et de concertations
Les premiers états généraux des protections obsèques organisés en 2010 ont apporté de réelles contributions à l’évolution de la prévoyance funéraire. C’est à cette occasion que la revalorisation des contrats sur la base du taux légal avait été rejetée et proposée d’être remplacée par une formule plus juste et objective. Cet espace réunissant des professionnels, des assureurs, des associations de familles et de consommateurs et des assureurs a constitué un temps fort qui devrait être reconduit.
De cette manifestation était ressorti le constat d’une plus grande complémentarité entre les différents acteurs. Leurs intérêts mutuels étant très imbriqués et solidaires.
Mais il est une autre préoccupation à prendre en considération face à l’inflation des prix des prestations funéraires et des primes de cotisations à des produits d’assurance obsèques : garantir l’accès des familles à la prestation funéraire quels que soient leurs revenus, et notamment les plus fragilisées par la conjoncture économique et les plus sensibilisées à l’idée de la prévoyance obsèques.
Travailler à la mise en place d’une nouvelle solidarité permettant l’accès aux services funéraires et à la protection obsèques constitue un nouveau défi. Il devrait pouvoir être pris en charge à travers la généralisation d’un tiers payant, de dimension nationale, sans tiers à charge, inspiré des réseaux de soins.
Plus qu’un chantier, cette orientation signerait une évolution considérable dans l’approche de la prévoyance partagée autour de ses trois piliers : l’assureur, le professionnel, la famille.
Méziane Bénarab
Résonance n° 220 - Octobre 2025
Résonance n° 220 - Octobre 2025
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