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L’action d’un tuteur s’arrête-t-elle au décès du majeur protégé, ou peut-il, en l’absence de toute personne en capacité d’organiser les obsèques, procéder aux funérailles du défunt ?

 

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Isabelle Prigent,
présidente de l’A.NA.PE.C.
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Le législateur répond à cette question par l’art. 418 du Code civil qui stipule que : "Sans préjudice de l’application des règles de la gestion d’affaires, le décès de la personne protégée met fin à la mission de la personne chargée de la protection."
Ainsi donc, le décès du majeur protégé met fin à la mission du mandataire.

Or, il peut arriver qu’une personne majeure sous tutelle décède sans que personne ne se présente pour organiser les obsèques, et que le tuteur se trouve dans l’obligation morale de s’y astreindre. Dans quel cadre juridique peut-il opérer ?
Certains actes accomplis après le décès, tels que l’organisation des obsèques, relèvent-ils de la responsabilité du mandataire à titre personnel ?

Le tribunal d’instance de Villejuif, le 25 novembre 2015, a tranché en faveur du principe de la gestion d’affaires.

Pour éclairer cette question, l’A.NA.PE.C. (Association Nationale des Personnels de Cimetière) souhaite vous présenter une affaire relatée par Me Thierry Rouzies – avocat au barreau de Paris spécialiste du droit des majeurs protégés – dans son blog en date du 4 mai 2017.

L’A.NA.PE.C et Résonance remercient Me Thierry Rouzies pour son aimable autorisation à publier ses propos.

Les faits étaient les suivants :

Mme M., majeure protégée sous tutelle, est décédée le 13 novembre 2012.
En l’absence de famille en capacité d’organiser les funérailles, sa tutrice s’est donc occupée des obsèques.

Après avoir vérifié le compte bancaire de celle-ci qui était au moment de son décès créditeur de 3 705 €, la tutrice a conclu un contrat auprès de la société X, pour un montant de 3 083,81 € TTC.

Le 18 décembre 2012, la tutrice de Mme M. a ensuite saisi un notaire pour s’occuper de la succession de la majeure protégée, conformément à l’article 1216 du Code de procédure civile. Il est apparu que la facture de la société X n’a pu été intégralement réglée et qu’un solde de 2 900,81 € lui restait dû.

Plutôt que d’en solliciter le versement auprès du notaire en charge de la succession, la société X en a réclamé le paiement directement à la tutrice, arguant d’une faute personnelle à son encontre devant le juge judiciaire. La société X a soutenu que le mandat de la tutrice avait pris fin le 13 novembre 2012, date du décès de Mme M., et qu’elle ne pouvait donc pas conclure, pour le compte de la majeure protégée, le devis signé pour l’organisation des obsèques.

La société X a également soutenu que la tutrice aurait dû obtenir une autorisation du juge des tutelles étendant son mandat pour lui permettre de signer le contrat litigieux avec la société X.

Devant le tribunal, nous avons développé la défense suivante avec la tutrice de Mme M. :

1 - L’intervention de la tutrice après le décès pour organiser les obsèques de Mme M., en l’absence d’héritiers ou de légataires envoyés en possession, constitue une gestion d’affaires au sens de l’art. 1375 du Code civil ;
La gestion d’affaires s’analyse traditionnellement comme "l’acte par lequel une personne, le gérant d’affaires, s’immisce dans les affaires d’une autre, le maître de l’affaire, encore nommé géré, sans avoir reçu mandat de celle-ci et pour lui rendre service". (F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, "Droit des obligations" : Dalloz, coll. Précis, 11e éd., 2013, n° 1031).
Ainsi, les deux conditions indispensables étaient bien réunies en l’espèce : l’intention de rendre service à autrui et l’utilité de la gestion.
2 - Si les articles 418 et 443 du Code civil, issus de la loi du 5 mars 2007, prévoient en effet que le décès du majeur protégé met fin à la mesure de protection, il convient de se reporter aux travaux parlementaires pour comprendre que le mandat se poursuit juste après le décès, spécifiquement pour organiser les obsèques, pour répondre à une réalité de terrain.
Ces rapports indiquent en effet que "l’obligation de clôturer la mesure de protection ne [fait]... pas obstacle à l’application des règles de la gestion d’affaires, la personne chargée de la protection étant autorisée à gérer les affaires courantes". (Rapport au nom de la Commission des lois du Sénat, H. de Richemont, session ord. 2006-2007, 7 févr. 2007, n° 212, p. 110.)
Une application stricto sensu de l’art. 418 du Code civil aurait des conséquences désastreuses et indignes si le mandataire n’organisait pas les obsèques du majeur décédé, en l’absence de famille comme c’est le cas en espèce. Il s’agit d’une obligation morale à la charge du mandataire, lequel prend un risque malgré tout de commettre une faute, sans percevoir de rémunération.

3 - Aucune faute ne peut être retenue contre la tutrice :
- les circonstances exceptionnelles (le décès de la majeure protégée) ont obligé la tutrice à agir dans le cadre de la gestion d’affaires (art. 1374 du Code civil) ;
- l’absence d’héritiers au moment du décès légitimait son intervention ;
- elle a pris soin de contrôler que le compte bancaire de Mme M. était bien créditeur au moment de signer le devis avec la société X, lequel affichait un solde de 3705,05 € au 30 novembre 2012, soit plus de 15 jours après le décès de Mme M. ;
- le montant du contrat est raisonnable s’agissant de funérailles à Paris, et correspond à une gestion avisée et prudente de la part de la tutrice ;
- elle a clôturé sa mission en informant le notaire désigné et une des proches identifiés de Mme M. ;
- la société X a reconnu de facto l’existence d’une gestion d’affaires, et en tire profit. Elle peut difficilement prétendre que les dispositions de l’art. 418 du Code civil imposent au mandataire de ne commettre aucun acte après le décès du majeur protégé, et se prévaloir ensuite d’un devis après le décès du majeur protégé…

Ce qu’a jugé le tribunal

Aucune faute de la tutrice qui agissait bien dans le cadre d’une gestion d’affaires.
Dans sa décision du 25 novembre 2015, le tribunal de Villejuif a accueilli favorablement et intégralement la défense qui lui était présentée, et a débouté la société X de sa demande.

Le tribunal relève l’absence de faute de la tutrice aux motifs :

- qu’il y avait urgence pour organiser les obsèques ;
- que le compte de Mme M. était bien créditeur d’un montant supérieur au moment de la signature du devis avec la société X ;
- que la tutrice avait nécessairement agi dans le cadre de la gestion d’affaires c’est-à-dire pour le compte de la majeure décédée, puisqu’il n’y avait aucun héritier connu ;
- que cette intervention de la tutrice a été conforme à la définition de la gestion d’affaires en ce qu’elle a été utile et dénuée de tout intérêt personnel pour le gestionnaire d’affaires.

Il faut saluer cette décision, conforme aux dispositions légales applicables, qui renforce la protection des mandataires professionnels en autorisant une gestion post-mortem des majeurs protégés, lorsque celle-ci est nécessaire et dénuée de tout avantage pour le mandataire.

Dans le n° 140 de Résonance (mai 2018), l’A.NA.PE.C revenait sur le cas d’une jeune femme mineure abandonnée par ses parents empêchée, en l’absence d’administrateur légal ou de tuteur, de pouvoir acquérir une concession funéraire pour y inhumer son enfant.
Cet article vient donc compléter ce dossier qui reste ouvert à de prochaines réflexions que l’A.NA.PE.C. ne manquera pas de publier chaque fois que ses adhérents viendront la solliciter.

Chaque jour, l’A.NA.PE.C. répond aux interrogations de ses adhérents sur des questions juridiques ou organisationnelles de gestion des cimetières. Merci pour la confiance que nous renouvellent les agents des cimetières ou leur collectivité. Merci à ceux et celles qui chaque mois viennent rejoindre le réseau de l’A.NA.PE.C.

Isabelle Prigent
Présidente de l’A.NA.PE.C.

Résonance n° 145 - Novembre 2018

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