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Dupuis Philippe 2015L’exhumation des restes inhumés à l’ossuaire est une question qui faisait l’objet d’une belle unanimité doctrinale, mais qui venait d’être troublée par la jurisprudence, et tout particulièrement par un arrêt du Conseil d’État du 21 novembre 2016. Or, un récent arrêt (cour d’appel d’A…, 1re chambre civile, 10 avril 2019 – n° 16/00662) vient prolonger le débat de la possibilité de l’exhumation de ces restes mortels inhumés à l’ossuaire, cette fois-ci devant le juge judiciaire.

 

Il s’agissait ici d’exhumations administratives intervenues dans le cadre d’une reprise des sépultures en terrains communs. Si l’arrêt n’est pas dépourvu d’intérêt d’ailleurs sous l’angle du formalisme de la reprise des terrains communs, c’est bien sous celui de la possibilité d’exhumation des restes inhumés à l’ossuaire qu’il a retenu notre attention.

L’ossuaire : définition

Actuellement, l’art. L. 2223-4 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), qui pose la définition de l’ossuaire, est rédigé comme suit : "Un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés. Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt. Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l’ossuaire." L’ossuaire est donc désormais un équipement communal obligatoire depuis le vote de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire.

L’ossuaire : la dernière sépulture ?

On le sait, pendant longtemps, la doctrine, unanimement, considérait qu’un tel retrait était impossible. Si la doctrine a pu parfois insister sur le fait que le régime juridique de l’ossuaire est décrit dans la partie relevant des concessions funéraires (cf. George Chaillot, "Le Droit des sépultures", éditions du Mausolée, p. 370), la position du gouvernement, et celle la plus courante en pratique, est que l’ossuaire a vocation à être la sépulture tant des restes issus des terrains communs, que de ceux trouvés dans les concessions funéraires, tant temporaires que perpétuelles (Rép. min n° 00131, JO S, 5 juillet 2012).
D’ailleurs, en l’espèce, il s’agissait bien de restes provenant de sépultures en terrains communs. Ces restes ont donc vocation à y être définitivement inhumés. En effet, l’art. L. 2223-4 du CGCT mentionne que cet emplacement est affecté à perpétuité. Le sens de cette phrase ne pouvait se comprendre selon nous qu’en conférant à l’ossuaire le statut de sépulture ultime. Il serait a priori illogique de considérer que c’est l’emplacement qui est affecté à perpétuité et que les restes réinhumés peuvent en sortir, car, quitte à raisonner par l’absurde : pourquoi vider un ossuaire si celui-ci ne peut être supprimé ?
De nombreuses communes, lorsqu’elles sont confrontées à l’absence de place disponible dans l’ossuaire et ont alors pour pratique de le vider, en procédant à la crémation des restes qui y étaient entreposés, devraient se montrer plus prudentes. Cette pratique n’est pas conforme à l’esprit des dispositions du CGCT et qui pourrait être constitutive d’une atteinte au respect dû aux morts, c’est-à-dire d’un délit réprimé par le Code pénal (art. 225-17). C’est d’ailleurs la position du gouvernement (rép. min. n° 01357 JO S, 9 août 2007 ; rép. min n° 00131, JO S, 5 juillet 2012). Le gouvernement précisant même qu’aucune exhumation n’en serait possible tant sur demande de la famille qu’à l’initiative de la commune, ce qui conforte cette analyse de faire de cet équipement le dernier lieu de repos des défunts.
Si cette question n’a toujours pas été néanmoins tranchée par le juge, une seconde interrogation semblait l’avoir été : celle de la possibilité, non pas de vider l’ossuaire, mais de faire droit à des demandes d’exhumations de restes déposés. En effet, et en tout cas pour ce qui relève des concessions funéraires, l’art. R. 2223-20 du CGCT dispose que : "(Le maire) fait procéder à l’exhumation des restes des personnes inhumées. Pour chaque concession, ces restes sont réunis dans un cercueil de dimensions appropriées", tandis que l’art. R. 2213-42 énonce lui en son quatrième alinéa que : "Lorsque le cercueil est trouvé détérioré, le corps est placé dans un autre cercueil ou dans une boîte à ossements."
En revanche, nous déduisons de ces mêmes dispositions que le dépôt en vrac des restes à l’ossuaire serait de nouveau constitutif d’une atteinte au respect dû aux morts (art. 225-17 du Code pénal). C’est aussi derechef la position du gouvernement (rép. min. n° 33616, JOAN Q 8 novembre 1999). Il est de plus désormais énoncé à l’art. L. 2223-4 du CGCT que : "Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein des ossuaires."
Ces restes mortels particuliers seront donc inhumés dans des boîtes à ossements séparées des autres, ce qui rendrait d’ailleurs une éventuelle restitution plus aisée dans ce cas, alors qu’il est possible que plusieurs corps de la même sépulture soient placés dans le même reliquaire, ce qui rend toute individualisation plus problématique.

L’ossuaire : la tentation de l’exhumation de restes individualisés

Cette possibilité d’exhumation avait déjà été soutenue par certains commentateurs (CAA Lyon, 19 mars 2015, n° 14LY00931, Mme B, commentaire Jeanne Mesmin d’Estienne, JCP A n° 48, 30 novembre 2015) à la lumière du considérant suivant : "Considérant que la commune de S-É… fait valoir qu’il n’était pas matériellement possible de réserver une suite favorable à la demande de Mme B ; qu’il ressort en effet des pièces du dossier et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté que, d’une part, les restes mortels de Mme F ont été inhumés dans l’ossuaire sans être individualisés et que, d’autre part, l’ossuaire a été fermé et remblayé en 1987 avec un remblaiement des ossements et en 1992, une dalle de béton a été coulée sur le site ; que Mme B n’a pas contesté ces éléments de fait ; que, dans ces conditions, le maire ne pouvait, que rejeter la demande de Mme B ; que, par suite, les autres moyens de la requête sont inopérants et ne peuvent qu’être écartés".
Le commentateur en déduit alors que seul l’impossibilité matérielle de restitution des ossements interdit de les rendre à la famille. Il n’en demeurait pas moins que le juge ne répondait aucunement à la question de la possibilité juridique de cette opération de restitution.
Le Conseil d’État eut l’occasion de se pencher sur cette même affaire (CE, 21 nov. 2016, n° 390298, B c/ Commune de S-É… ; JCP A 2016, act. 916) avec l’extrêmement intéressant commentaire de monsieur Emmanuel Salaun (Exhumation des restes placés dans l’ossuaire).
- Le juge se serait-il pris les pieds dans l’intensité de son contrôle juridictionnel ? ; JCP, A N n° 27, 10 juillet 2017, 2175). Il y relève tout particulièrement ce considérant :
"2. Considérant que la Cour Administrative d’Appel (CAA) de L… a jugé qu’en raison de l’impossibilité matérielle de procéder à l’exhumation des restes de Mme C..., le maire de S-É… ne pouvait que rejeter les demandes de Mme A... ; qu’elle en a déduit que l’ensemble des moyens dirigés par Mme A... contre les décisions en litige, qui tenaient à la régularité de ces décisions et à la régularité de la procédure de reprise suivie en 1976, devaient être regardés comme inopérants ; que, toutefois, le maire de S-É… ne pouvait opposer à Mme A... l’impossibilité matérielle d’accéder à sa demande sans procéder à une appréciation des faits de l’espèce ; qu’en déduisant de cette impossibilité matérielle, qui ne résultait pas d’un simple constat, que tous les moyens soulevés contre les décisions du maire, qui se trouvait selon elle en situation de compétence liée, devaient être regardés comme inopérants, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé."
Ainsi, le Conseil d’État invalide l’arrêt de la CAA parce qu’il reproche à la cour de ne pas avoir contrôlé les raisons pour lesquelles le maire ne pouvait matériellement accéder à la demande de la justiciable. Nécessairement, a contrario, c’était reconnaître que le maire, bien loin de pouvoir refuser uniquement parce qu’il était en compétence liée, devait apprécier la possibilité d’une exhumation.
Pour faire simple, le maire ne refuse pas l’exhumation parce qu’il est obligé de refuser, ce qui consacrerait l’idée jusque-là dominante du retrait impossible des restes inhumés dans l’ossuaire, mais bien que le maire devait expliquer les raisons pour lesquelles il était matériellement impossible, ou à tout le moins très difficile, de procéder à cette exhumation.
Ce raisonnement valide nécessairement que le Conseil d’État n’estimait pas qu’une telle exhumation est impossible. Ainsi, et en attendant la confirmation de cette position, il est important, en l’état actuel de la jurisprudence, qu’un maire qui refuse une demande d’exhumation prenne soin de motiver la raison de ce refus par des obstacles matériels précis.

Le refus de l’exhumation de l’ossuaire : un nouvel épisode

C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt de la cour d’appel d’A… Certes, le juge judiciaire n’est pas celui de la légalité d’une décision administrative. Néanmoins lorsque : "A-M M. demande à la cour de "condamner la commune d’O… L… à justifier de l’emplacement actuel" pour les autres défunts de sa famille sans préciser d’ailleurs le fondement juridique d’une telle demande : en tout état de cause, par ses écritures du 6 octobre 2016, l’intimée (la commune) y a satisfait, ceux-ci se trouvant à l’ossuaire communal après la procédure de reprise des sépultures en terrain commun. Mme M. demande au dispositif de ses conclusions d’ordonner le transfert de ces restes mortels au caveau familial de T…
Ainsi, pour des restes placés à l’ossuaire, le juge judiciaire affirme que : "Cette demande se heurte à l’art. L 2223-4 du CGCT selon lequel le terrain affecté à l’ossuaire l’est à perpétuité, empêchant de ce fait tout retrait des ossements s’y trouvant."

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes,
formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance n° 151 - Juin 2019

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