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Sépulture en terrain privé : comment assurer les droits de la famille en cas de mutation de l’immeuble ?
 
Dupuis Philippe 2015 1Réponse ministérielle n° 26780 : JOAN 18 août 2020, p. 5568

C’est à cette singulière et délicate question que le Gouvernement devait répondre, saisi, en ce sens, d’une question parlementaire ; le Gouvernement répond alors que : "La jurisprudence a admis en 1938 que la présence d’une sépulture est opposable à l’acquéreur par la connaissance à ce dernier de son existence et de l’accès que s’était réservé le vendeur. Cette connaissance peut résulter des conditions et réserves du cahier des charges de la vente.

Plus récemment, la Cour de cassation a admis que l’opposabilité de la présence de la sépulture à l’acquéreur du fonds pouvait résulter de la connaissance concrète des lieux qu’en avait ce dernier lors de la vente, démontrée en l’espèce par une attestation et l’aveu implicite contenu dans un courrier des acquéreurs (Cass, 3e civ, 1er mars 2006, pourvoi n° 05-11.327). L’opposabilité de la présence d’une sépulture, et le droit de passage accordé aux héritiers du défunt qui en résulte, sera nécessairement opposable à l’acquéreur si l’existence de celle-ci est mentionnée dans l’acte de vente.  

En pratique, il convient donc d’informer l’acquéreur de l’existence de la sépulture et du droit de passage lors de la vente du terrain. L’acte de vente pourra même utilement organiser les modalités d’accès à la propriété au profit de la famille du défunt, pour se recueillir et entretenir la sépulture".
Ce n’est malheureusement pas si simple, et il serait imprudent de considérer que c’est l’acte de vente qui organisera l’accès à la sépulture. Au contraire, même dans le silence de l’acte, nous ne discernons pas comment cette sépulture ne pourrait être protégée matériellement, tout comme le droit à honorer les défunts qui y reposent, même s’il est vrai que, dans cette hypothèse, il n’en irait pas de même de la vente de l’immeuble.

Une inhumation dérogatoire

L’art. L. 2223-9 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) précise que : "Toute personne peut être enterrée sur une propriété particulière pourvu que cette propriété soit hors de l’enceinte des villes et des bourgs et à la distance prescrite." Le sens de cette disposition est malaisé à appréhender, en effet, que signifient tant l’expression "hors de l’enceinte des villes et des bourgs" que celle de "distance prescrite".

Il semblerait que cette notion soit proche de celle de commune urbaine (sur ces notions, Patrick Pellas, "Le nouveau régime de localisation des cimetières : de la "relégation" à la "réinsertion", JCP, n° 39, 23 septembre 1987, I 3927). Une circulaire ancienne (Circ. n° 75-669, 29 décembre 1975 Mon. TP 19 juin 1978, p. 189, non reprise sur le site circulaires.gouv.fr) recommandait d’assimiler, pour cette définition, cette expression à "la superficie indiquée aux POS comme zone urbaine", à défaut d’un document d’urbanisme d’utiliser la notion de "périmètre d’agglomération" conformément à la jurisprudence Torret (CE 23 décembre 1887, Torret : Rec. CE p. 854), c’est-à-dire "les périmètres extérieurs des constructions groupées ou des enclos qu’ils joignent immédiatement".

Le ministre relevait alors la proximité de cette notion avec celle utilisée par le Code de la route où l’agglomération est "tout groupement d’immeubles bâtis, rapprochés, sinon contigus bordant l’un ou l’autre côté de la route en lui donnant l’aspect d’une rue". Quant à la notion de distance prescrite, le juge combine l’art. L. 2223-9 avec l’art. L 2223-1 du CGCT qui dispose que : "La création, l’agrandissement et la translation d’un cimetière sont décidés par le conseil municipal. Toutefois, dans les communes urbaines et à l’intérieur des périmètres d’agglomération, la création, l’agrandissement et la translation d’un cimetière à moins de 35 mètres des habitations sont autorisés par arrêté du représentant de l’État dans le département."

Il en tire alors la conclusion suivant laquelle cette distance prescrite est de 35 mètres. Il contrôlera, en se fondant sur cette distance, la décision du préfet d’autoriser une inhumation en terrain privé (CE 21 janvier 1987, M. Risterucci, req. n° 56133). Il convient de remarquer que cette inhumation est impossible dans certains lieux, puisque l’art. L. 2223-10 du CGCT énonce que : "Aucune inhumation ne peut avoir lieu dans les églises, temples, synagogues, hôpitaux, chapelles publiques, et généralement dans aucun des édifices clos et fermés où les citoyens se réunissent pour la célébration de leurs cultes, ni dans l’enceinte des villes et bourgs."

Alors que les inhumations dans les cimetières sont accordées par le maire, c’est le préfet qui est compétent pour octroyer le droit d’être inhumé en terrain privé. Il s’agira du préfet du département sur lequel la propriété est située (art. R. 2213-32 du CGCT). Une expertise hydrogéologique sera obligatoire. Néanmoins, cette expertise ne sera requise qu’à l’occasion d’une première inhumation, la doctrine administrative en dispensant les éventuelles inhumations ultérieures (circulaire du ministère de l’Intérieur n° 87-46 du 24 février 1987 ; reproduite dans G. d’Abbadie et C. Bouriot, précité, p. 854).

Elle précise d’ailleurs que : "L’autorisation d’inhumer en terrain privé sera exclusivement individuelle. Elle ne confère donc aucun droit d’inhumation dans le même terrain privé aux autres membres de la famille. Elle ne peut d’ailleurs pas être délivrée du vivant des intéressés, d’après une circulaire du ministre de l’intérieur du 5 avril 1976, qui précise que : "Les autorisations sollicitées ne peuvent être délivrées du vivant des intervenants. Il convient d’informer ceux-ci qu’il appartiendra, le moment venu, à leur exécuteur testamentaire ou à toute autre personne habilitée, de faire les démarches nécessaires auprès des services préfectoraux (citées par Georges Chaillot, in Le Droit des sépultures en France, éditions Pro Roc, p. 430).

Une inhumation provisoire

Par un arrêt du second degré (CA Bordeaux, 6e chambre civile, 28 février 2012, n° 11/03209, Alain L. c/ Renée L. veuve L., Annick L. épouse C. et Roselyne L. divorcée S.), le juge considéra qu’une inhumation en terrain privé est nécessairement une sépulture provisoire. Il y estime que : "Le raisonnement de la veuve, selon lequel un tombeau dans un cimetière public garantira mieux la pérennité du cercueil de son défunt mari qu’un emplacement dans un caveau en propriété privée, est bien fondé.

Son choix du cimetière de leur commune de résidence, où elle vit toujours, est cohérent, et rien ne permet de penser qu’il aurait été écarté par le défunt. Et le premier juge a exactement relevé que celle localisation ne gênait pas les enfants, notamment pas l’appelant qui habite en Gironde." Cette qualification de sépulture provisoire est importante car elle est l’un des principaux motifs pour le juge d’accorder une exhumation, lorsqu’il y a litige familial, comme il semble en être le cas.

Cette exhumation doit être demandée par le plus proche parent du défunt. Cette exigence est posée par l’art. R. 2213-40 du CGCT, qui énonce que : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande." Cette expression ne connaît qu’une proposition de définition dans l’Instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 (annexée au JO 28 sept. 1999) paragraphe 426-7, qui énonce que : "À titre indicatif et sous réserve de l’appréciation des tribunaux, en cas de conflit, l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plus proche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfants du défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs." 
Cette qualité s’administre au moyen d’une attestation sur l’honneur d’être le plus proche parent du défunt ou qu’aucun autre parent possédant cette qualité ne s’opposera à l’exhumation (voir CE 9 mai 2005, req. n° 262977). La commune, lorsqu’elle a demandé ces formalités, est alors protégée de tout conflit ultérieur quant à la qualité de la personne ayant sollicité l’exhumation. Elle n’a pas à vérifier la véracité de cette assertion.

En revanche, s’il y a conflit entre plusieurs personnes ayant un lien de parenté entre elles relativement à l’exhumation, le maire doit surseoir à celle-ci et demander au juge judiciaire de trancher ce différend. Il convient de remarquer qu’en l’espèce la cour a exactement rappelé cette procédure, et qu’elle reconnaît nécessairement à la veuve la qualité de plus proche parent du défunt. Si, traditionnellement, le juge répugne à accorder l’exhumation en cas de conflit familial, au motif que les divisions des vivants ne doivent pas troubler le repos des morts, il ne l’autorisera que dans deux hypothèses (CA Toulouse, 7 février 2000 : JCP G 2000, IV, n° 2374) :
- soit la sépulture est provisoire,
- soit la volonté du défunt n’a pas été respectée quant aux modalités de son inhumation.

C’est la raison pour laquelle la cour administrative d’appel prend soin de qualifier l’inhumation privée de nécessairement provisoire, à raison des vicissitudes possibles de l’évolution de la législation funéraire, ou de l’éventuelle mutation de l’immeuble abritant la tombe de M. L. Force est alors de constater que, si le plus proche parent du défunt ne le désire pas, aucune exhumation n’est alors possible.

Sépulture en terrain privé et destination ultérieure du terrain

Ces sépultures en terrain privé sont, d’après la jurisprudence, perpétuelles, inaliénables et incessibles. Lorsqu’elles sont fondées, les propriétaires du bien immobilier ne pourront en exhumer les corps, pas plus qu’ils ne pourront agir sur le monument funéraire (Cass. civ., 11 avril 1938, DH 1938, p. 321 ; CA Amiens, 28 octobre 1992, JCP éd. N., 1993, II, p. 383, note Hérail).

En cas de vente de l’immeuble, les héritiers de la personne inhumée dans un lieu privé bénéficieront alors d’une servitude de passage, même si le contrat de vente n’a rien prévu à ce sujet, servitude qui, étant un droit hors commerce, ne peut faire l’objet d’une prescription acquisitive par un acquéreur (CA Amiens, 28 octobre 1992, D. 1993, p. 370).

Enfin, le propriétaire, l’usufruitier ou le locataire d’un terrain sur lequel serait érigée une sépulture privée commettrait un délit d’atteinte au respect dû aux morts, réprimé par les articles 225-17 et 225-18 du Code pénal, s’il déplaçait ou portait atteinte à la sépulture. La Cour de cassation (Civ. 11 avril 1938, D.H. 1938.321), que le Gouvernement cite, prend soin d’ailleurs de préciser que : "Les tombeaux sont hors commerce et dès lors inaliénables et incessibles ; par suite ; la vente d‘un domaine sur lequel se trouve une sépulture n’emporte pas renonciation du demandeur à l’exercice de ses droits sur cette tombe", il nous paraît de cette rédaction que peu importe alors que l’accès à cette sépulture soit organisé par l’acte de vente. Il en va d’ailleurs de même de la voie d’accès privée reliant la tombe à la voirie publique et qui constitue l’accessoire indispensable à la desserte de l’emplacement (CA Amiens 28 octobre 1992, D. 1993.370).
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance n°164 - Octobre 2020

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