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Il est parfois plus facile et plus "digeste" de présenter un régime juridique sous la forme d’un petit cas pratique. C’est ce que nous proposons ci-après.


Énoncé du problème : comment son fondateur peut-il céder une concession funéraire ?

Un administré vient en mairie pour se renseigner au sujet d’une possible "vente" de sa concession funéraire. Il semblerait que personne ne soit inhumé dans le caveau. Cet administré a deux enfants, qui sont donc ses héritiers en ligne directe, et "l’acquéreur" potentiel (appelons-le ainsi) de la concession serait étranger à la famille du "vendeur".

Le maire vous demande alors de lui confirmer :
  • qu’aucune vente ne peut avoir lieu sur une concession s’agissant d’un bien hors du commerce,
  • mais aussi qu’aucune somme ne peut être versée même à titre de dédommagement global et forfaitaire pour le remboursement du prix de la concession et la reprise du caveau avec sa pierre tombale comme l’indique l’acquéreur.
Il souhaiterait également savoir, dans l’hypothèse où une donation de la concession serait envisagée avec dédommagement pour le caveau et le monument, si les héritiers doivent intervenir à l’acte de donation dans la mesure où ils ne sont, à ce stade, que des héritiers présomptifs et non titulaires de droit ?

Vous lui répondez alors :

En ce qui concerne la possibilité d’une vente d’une concession funéraire, du caveau et du monument. Les conditions dans lesquelles une concession funéraire peut faire l’objet d’une vente ou d’une donation relèvent uniquement de la jurisprudence et non de textes légaux ou réglementaires (R. Savatier, La transmission des sépultures : Defrénois 1928, art. 21707, p. 307-317). Par principe, un cimetière est affecté à l’usage du public, dès lors, il demeure compris parmi les dépendances du domaine public de la commune (CE, 18 juin 1935, Mougamadou Sadagne Toullah Marécar, dit Marécar : Rec. CE, p. 734 ; S. 1937, 3, p. 43, concl. R. Latournerie, note M. Waline ; RD publ. 1935, p. 590, concl. R. Latournerie et note G. J.).
Nonobstant le décret-loi du 17 juin 1938 qualifiant de contrats administratifs tous les contrats portant occupation du domaine public, le Conseil d’État continua pendant un certain temps à renvoyer à l’autorité judiciaire "seule compétente pour se prononcer tant sur l’interprétation que sur l’exécution des contrats de concession" (CE, 10 févr. 1950, Dame Vve Durand-Sachot : Rec. CE, p. 93 ; D. 1950, jurispr. p. 318, note L. Rolland).

Avant de finalement reconnaître le caractère administratif du contrat de concession funéraire (CE, 21 oct. 1955, Delle Méline : Rec. CE, p. 492 ; D. 1956, jurispr. p. 543, concl. Guionin). À la suite de cette période de flottement, le régime juridique des concessions funéraires repose sur une construction jurisprudentielle tant civile qu’administrative, avec parfois des prises de positions contradictoires entre les plus hautes juridictions.

Cela étant, il est certain que la concession funéraire est hors-commerce, au sens de l’art. 1162 du Code civil (Cass. req., 7 avr. 1857 : DP 1857, I, p. 311. - Cass. Civ. 11 avr. 1938 : DH 1938. 321. - CA Amiens 28 octobre 1992 : JCP éd. N 1993, II, p. 383 note J. Hérail. - Cass. 1re civ. 25 mars 1958 Py/Roger, Bull. 1958, n° 178). Ainsi, toute cession à titre onéreux est prohibée. Néanmoins, cette prohibition ne s’étend pas, à notre sens, aux monuments ou aux caveaux funéraires qui sont bien la propriété de ceux qui les ont achetés. Il nous semble donc possible de les céder onéreusement, en excluant alors toute référence à la concession, et surtout sous réserve de l’acceptation par la commune de cette opération (cf. infra).

En ce qui concerne la transmission de la concession

En effet, de son vivant, le concessionnaire (c’est-à-dire celui qui a fondé la sépulture) peut donner la concession (D. Dutrieux, La transmission des sépultures : JCP N 2000, p. 1655 ; voir également D. Dutrieux, Opérations funéraires : JurisClasseur Collectivités territoriales, Fascicule 717, § 173). Il convient de préciser que la donation ne peut intervenir au profit d’un étranger à la famille que si la concession n’a pas encore été utilisée (Cass. 1re civ., 23 oct. 1968, n° 63-12.193 : Bull. civ. 1968, I, n° 246 ; JCP N 1969, II, 15715, obs. R. Lindon ; Cass 1re civ. 6 mars 1973 : JCP N 1973, II, 17420 ; voir également, TA Lyon, 31 août 1973, Bryon et a. : Rec. CE, p. 807. ; TA Nice, 24 mars 1989, Fremont : RJTCA 1990, p. 63 ; Rép. min. n° 11263 : JO Sénat Q 27 juin 1991, p. 1329 ; Rép. min. n° 28641 : JOAN Q 5 août 1991, p. 3165). Au regard de ces conditions de fond, si la donation est possible, le formalisme de l’art. 931 du Code civil s’impose, un don manuel ou une donation indirecte étant en la matière inconcevable.

Outre un acte de donation établi devant notaire, un acte de substitution devra être conclu entre l’ancien concessionnaire, le maire et le nouveau concessionnaire (Cass. civ., 16 juill. 1928 : DP 1929, I, p. 157, obs. G. Monsarrat). Le maire, pour la doctrine administrative, ne peut refuser l’opération que pour des moyens tirés de l’ordre public (Rép. min. n° 47007 : JOAN Q 26 octobre 1992, p. 4920). Traditionnellement, on citera comme contraire à l’intérêt public que l’épouse et la maîtresse soient inhumées dans un même terrain (CA Paris, 2 janvier 1934, DH, 1934, p. 169). Néanmoins, cette position du Gouvernement n’est pas unanimement partagée.

En effet, le Conseil d’État, dans un arrêt Hérail (CE Sect., 11 octobre 1957, Hérail, AJDA 1957, p. 429, conclusions Kahn), a précisé qu’il était impossible au concessionnaire de céder les droits qu’il tient de ce contrat, tandis qu’au contraire le juge judiciaire, lui, le permet (Cass. 1re civ., 23 octobre 1968, préc. cit.). Or, ainsi que le rappelle dans son ouvrage Georges Chaillot (Le droit des sépultures en France, édition Pro roc, avril 2004, n° 597 et suivants), l’arrêt de 1968 rendu par la Cour de cassation le fut dans un contexte procédural particulier.
En effet, tout en reconnaissant que seul le juge administratif est compétent en ce qui concerne les conditions d’exécution d’un contrat administratif, la Cour de cassation invoque que le moyen fondé sur ce qu’elle serait incompétente n’a pas été soulevé devant le juge du fond, et donc par là même est irrecevable à ce stade de la procédure. La position du juge judiciaire sur ce point n’aurait pour G. Chaillot que l’effet relatif de la chose jugée. Ainsi, le maire pourrait peut-être trouver là des arguments pour refuser cette substitution, et il faudrait alors que le juge administratif dénoue le conflit.

Si des inhumations ont déjà été pratiquées dans la concession, seul un membre de la famille – même s’il n’est pas l’héritier du concessionnaire – peut recevoir la donation. En principe, une concession déjà utilisée, même si les corps ont été exhumés et qu’elle ne contient dès lors aucun corps, ne peut être donnée à un étranger à la famille (ce principe s’explique par le fait qu’un tombeau ne devient sépulture de famille que par la première inhumation qui y est faite ; R. Savatier, note ss Cass. 1re civ., 23 octobre 1968 : Defrénois 1969, art. 29275, p. 325).

Ainsi, les places ne peuvent être "données" que si la sépulture n’a reçu aucune inhumation, ce qui semble être votre cas d’espèce. Dans une telle hypothèse, la donation à un étranger ne requiert nullement le consentement des héritiers présomptifs. En effet, ces derniers n’ont aucun droit moral sur une concession vierge de tout corps et qui n’en n’a jamais contenu. Cette simple concession n’a alors pas encore revêtu la qualité de sépulture familiale…
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance n° 166 - Janvier 2021

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