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Cet arrêt est intéressant en ce qu’il s’agit des conditions d’application de la nouvelle obligation d’information des familles lors de la reprise des concessions échues.


En effet, c’est la même affaire que celle dans laquelle le Conseil d’État, saisi en tant que "filtre" des questions prioritaires de constitutionnalité, refusa de transmettre pour examen au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l’art. L. 2223-15 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dont il opéra à cette occasion une lecture infiniment plus protectrice des droits des familles sur les concessions échues que sa jurisprudence antérieure.

CAA de NANCY 23 novembre 2021, n° 19NC02091.

Les faits étaient les suivants : M. B... A... a souscrit, le 7 janvier 1997, une concession funéraire d’une durée de quinze ans dans le cimetière de la commune d’É… afin d’y fonder la sépulture de sa famille et d’accueillir celle de sa fille, décédée le 31 décembre 1996. Cette concession étant arrivée à échéance, le requérant n’a pas manifesté, en dépit des démarches entreprises par la commune, son intention de la renouveler dans les deux ans suivant la date d’expiration de la concession, ainsi que le prévoient les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’art. L. 2223-15 du CGCT.

Puis, après avoir constaté l’enlèvement de la tombe de sa fille, l’intéressé a été informé, par un courrier du maire du 26 juillet 2017, que la concession avait été reprise par la collectivité et qu’elle avait été attribuée le 25 janvier 2016 à une autre famille pour inhumation. Ce même courrier précise que, se devant de concéder un emplacement libre, la commune a retiré les bordures de la tombe et n’a retrouvé aucun reste de l’enfant.

La reprise pour non-renouvellement d’une concession funéraire

Il faut rappeler que l’art. L. 2223-15 du CGCT dispose que : "Les concessions sont accordées moyennant le versement d’un capital dont le montant est fixé par le conseil municipal. Les concessions temporaires, les concessions trentenaires et les concessions cinquantenaires sont renouvelables au prix du tarif en vigueur au moment du renouvellement.

À défaut du paiement de cette nouvelle redevance, le terrain concédé fait retour à la commune. Il ne peut cependant être repris par elle que deux années révolues après l’expiration de la période pour laquelle le terrain a été concédé. Dans l’intervalle de ces deux années, les concessionnaires ou leurs ayants cause peuvent user de leur droit de renouvellement".

Jusqu’à l’intervention de l’arrêt du Conseil d’État du 11 mars 2020 (Conseil d’État 11 mars 2020, n° 436693), à l’échéance, le terrain faisait retour à la commune sans aucune formalité, aucune publicité, et ce, quel que soit son état général à la fin de la durée de la concession (CE 26 juillet 1985, M. Lefèvre et autres : Juris-Data n° 1985-605744 ; Rec. CE, tables, p. 524 ; CE 20 janvier 1988, Mme Chemin-Leblond c/ Ville de Paris : Dr. adm. 1988, comm n° 128).

Pratiquement, les communes, alors que ce n’était en aucun cas une obligation, cherchaient à prendre contact avec le titulaire de la concession. Il convenait en revanche de remarquer que, si la commune décidait, en général par son règlement de cimetière, d’inventer une procédure spécifique, elle était obligée de la respecter sous peine de sanction (CAA Versailles 17 septembre 2008, n° 08VE00240).

Cette position ne peut plus se soutenir, puisque, depuis le 11 mars 2020, et pour reprendre la formulation du juge suprême administratif, il appartient au maire de rechercher par tout moyen utile d’informer les titulaires d’une concession ou leurs ayants droit de l’extinction de la concession et de leur droit à en demander le renouvellement dans les deux ans qui suivent.

En l’espèce, on remarquera alors que le juge d’appel ne fait pas de la notification de l’arrêté de reprise une condition obligatoire de validité de cette procédure : "Il ne résulte pas des dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’art. L. 2223-15 du CGCT que, en l’absence de notification d’un arrêté du maire prononçant la reprise des terrains affectés à la concession funéraire, la reprise litigieuse n’était pas devenue exécutoire de plein droit et que l’attribution de la concession de M. A... à une autre famille était en conséquence irrégulière, ni que la commune d’É… ne pouvait procéder à l’enlèvement et à la destruction de la pierre tombale disposée sur la sépulture de la fille du requérant, sans lui avoir adressé une mise en demeure préalable ou l’avoir avisé de son intention."

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Ce n’est donc pas la procédure de reprise en tant que telle qui va ici engager la responsabilité de la commune, mais un défaut d’information des concessionnaires survenant à cette occasion. En effet, le juge d‘appel va estimer que : "Il résulte, en revanche, des dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’art. L. 2223-15 du CGCT, qu’il appartenait au maire d’É… de chercher par tout moyen utile à informer M. A... ou ses ayants droit de l’extinction de leur concession funéraire et de leur droit à en demander le renouvellement dans les deux ans qui suivent ou, à défaut, de leur droit à reprendre, dans le même délai, les monuments ou emblèmes funéraires édifiés ou apposés par leurs soins sur le terrain en cause.

La commune d’É… fait valoir qu’elle a adressé au requérant, le 20 février 2012, un courrier l’informant de l’arrivée à échéance de la concession funéraire dont il bénéficiait et de la nécessité pour lui de le proroger, lequel est revenu aux services de la mairie avec la mention "destinataire non identifiable". Elle allègue, en outre, avoir déposé une pancarte d’information sur la concession et avoir transmis à plusieurs reprises à l’association musulmane à laquelle l’intéressé appartient la liste des concessions échues.

Toutefois, en se bornant à produire le courrier du 20 février 2012, la défenderesse n’établit pas avoir cherché par tout moyen utile à informer M. A... ou ses ayants droit de l’extinction de la concession funéraire et de leur droit à en demander le renouvellement dans les deux ans qui suivent ou, à défaut, de leur droit à reprendre, dans le même délai, les monuments ou emblèmes funéraires édifiés ou apposés par leurs soins sur le terrain en cause.

Dans ces conditions, la commune d’É… doit être regardée comme ayant manqué à son obligation d’information résultant des dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’art. L. 2223-15 du CGCT et des sixième et septième alinéas de l’art. 38 du Règlement général des cimetières de la commune d’É… du 3 août 2009."

Si nous reproduisons ce long passage, c’est à destination des communes, pour qu’elles puissent mesurer le niveau d’exigence du juge. Certes, un courrier fut envoyé, mais il semble que celui-ci n’était pas assez précis, puisqu’il n’indiquait pas la possibilité de reprise des ornements funéraires présents sur la concession ou la possibilité d’opérer un renouvellement.

Il semble également que l’affichage opéré sur la sépulture ainsi que l’information faite à une association musulmane dont le concessionnaire était membre n’aient pas été produits devant le juge. Il conviendra donc que les communes soient particulièrement rigoureuses dans l’établissement et la conservation des justificatifs démontrant leur volonté d’information des concessionnaires….

Reprise irrégulière : pas d’incorporation des ornements funéraires

Si, à l’occasion d’une reprise, la sépulture fait retour dans le patrimoine communal, il en va de même du caveau, de l’éventuel monument et des autres objets présents sur la concession. Implicitement, ils deviennent la propriété de la commune par application de la théorie de l’accession. Cette position est d’ailleurs celle de la doctrine administrative.

Les caveaux, monuments et autres objets demeurés sur la concession appartiennent alors à la commune, et celle-ci a une totale liberté pour les détruire, les utiliser, et les revendre (circulaire n° 93-28 du 28 janvier 1993, reprenant avis du Conseil d’État du 4 février 1992, n° 350721, EDCE 1992, p. 409). Encore faut-il que la reprise soit régulière et, en l’espèce, tirant la conséquence que la commune d’É… a été négligente.

Le juge estime en effet : "Qu’eu égard au manquement de la commune d’É… à son obligation d’information, le transfert dans son domaine privé de la stèle funéraire présente sur la sépulture de la fille de M. A... constitue également, dans les circonstances de l’espèce, une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti à l’art. 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales."

Oubli de mentionner l’identité des défunts des concessions reprise au registre : la commune est fautive !

Enfin, et c’est à notre sens le premier arrêt où ce point est évoqué, la commune est condamnée pour ne pas avoir respecté les dispositions de l’art. R. 2223-6 du CGCT selon lesquelles : "Les noms des personnes, même si aucun reste n’a été retrouvé, sont consignés dans un registre tenu à la disposition du public et peuvent être gravés sur un dispositif établi en matériaux durables dans le lieu spécialement affecté à cet effet ou au-dessus de l’ossuaire".

On oublie trop souvent cette obligation de disposer d’un registre où l’identité des personnes inhumées dans les concessions funéraires doit être portée, même si leurs restes ne sont pas retrouvés lors de l’opération d’exhumation.
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n°176 - Janvier 2022

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