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Une décision du Défenseur des droits rendue le 12 mai 2016 et quelque peu passée inaperçue rappelle que la chambre occupée par un défunt au sein d’un EHPAD était devenue son domicile. Par conséquent, la famille dispose du libre choix de transférer le corps en chambre funéraire ou de le maintenir dans sa chambre jusqu’à la mise en bière. Mais au-delà de ce droit, l’EHPAD et l’opérateur funéraire ont une obligation d’information envers la famille sur les différentes possibilités qui s’offrent à elle.


Les EHPAD ne sont pas des établissements de santé

Autrefois communément appelés "Maisons de retraite", les EHPAD (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ne sont pas des établissements de santé en dépit de leur caractère souvent fortement médicalisé eu égard à l’âge de leurs résidents. Cette différence de nature implique que les règles qui leur sont applicables diffèrent. Dans la pratique, il peut parfois être délicat de déterminer de prime abord à quelle catégorie appartient l’établissement.

En effet, il existe une multitude de catégories et de sous-catégories de structures qui peuvent parfois semer la confusion dans la détermination du régime juridique applicable : EHPAD publics, privés ou parfois semi-publics, établissements de soins de suite et de réadaptation (S.R.) ou encore Unités de soins de longue durée (USLD) dans lesquelles les personnes âgées peuvent être hébergées pendant de longs mois, dans des conditions qui ressemblent à celles d’un EHPAD mais sans pour autant relever de cette catégorie. S’ajoutent à ces catégories des établissements "mixtes" disposant de plusieurs services de natures différentes.

Soumis à agrément préfectoral, les EHPAD sont des établissements qui constituent une résidence pour personnes âgées dépendantes à caractère médico-social (et non médical, donc ne relevant pas du secteur de la santé).

À ce titre, l’EHPAD constitue pour ses résidents leur lieu de résidence à caractère principal, répondant ainsi à la définition du domicile prévue à l’art. 102 du Code civil qui dispose que "le domicile de tout Français […], est au lieu où il a son principal établissement".

Conséquences en matière funéraire

Dès lors que la chambre occupée par le défunt constituait son domicile, les règles relatives au transport de corps avant mise en bière et à l’admission en chambre funéraire trouveront à s’appliquer en conséquence.

Ainsi, à l’instar d’un décès survenu dans un domicile plus classique tel qu’un appartement ou une maison particulière, le transport du corps vers une chambre funéraire a un caractère facultatif. Dès lors, si la volonté du défunt était de séjourner dans sa chambre jusqu’à sa mise en bière, ou si la famille devait en faire la demande à l’EHPAD, celui-ci ne saurait en principe s’y opposer.

Les obstacles au maintien du corps dans la chambre du défunt

Il y a domicile et domicile. Il va de soi qu’une chambre d’EHPAD se situe dans un environnement immédiat partagé avec d’autres résidents et avec le personnel. Ainsi, et c’est heureux, l’art. R. 2213-8-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose que : "le transport avant mise en bière d’une personne décédée vers une chambre funéraire est subordonné […] à la demande écrite […] du directeur de l’établissement social ou médico-social, public ou privé (tel qu’un EHPAD, par exemple), sous la condition qu’il atteste par écrit qu’il lui a été impossible de joindre ou de retrouver dans un délai de dix heures à compter du décès l’une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles".
Ainsi, le souhait du défunt ou de la famille de maintenir le corps dans sa chambre ne saurait être présumé et doit s’inscrire dans le cadre d’une organisation réelle de ses obsèques convenue avec la famille. Si tel ne devait pas être le cas dans les 10 heures suivant le décès, le directeur de l’établissement peut procéder à l’évacuation du corps. Cette possibilité procède de toute évidence d’une volonté de préserver non seulement la dignité du défunt, mais également de protéger l’ordre public au sein de l’établissement.

Est-ce à dire que le maintien du corps constitue un droit absolu auquel l’EHPAD ne saurait s’opposer ? Assurément non. De toute évidence, il n’y aurait d’autre alternative à l’évacuation du corps (avant ou après mise en bière) à bref délai si, par exemple, il s’agissait d’une chambre partagée avec un autre résident. Il en irait de même, si le corps ne peut être conservé dans des conditions d’hygiène et de décence satisfaisantes ou encore si la manipulation du cercueil au sein de l’établissement pour réaliser la mise en bière et la levée du corps ne peut être opérée dans des conditions de sécurité satisfaisantes ou si elle est techniquement impossible (locaux exigus, par exemple), ou enfin, si l’état de dégradation du corps commande, pour être maintenu hors de son cercueil, de réaliser des soins de conservation et que ceux-ci ne peuvent être réalisés dans le respect des dispositions spécifiques aux soins de conservation à domicile (arrêté du 10 mai 2017).

S’agissant de la réalisation de la mise en bière et de la levée du corps, il est de même évident que l’opérateur funéraire devra se conformer aux prescriptions du directeur de l’établissement soucieux de préserver la jouissance paisible des locaux pour ses autres résidents. Ainsi, ce dernier pourra dans ce but légitime, restreindre le nombre de personnes admises en même temps au chevet du défunt, imposer des créneaux horaires à l’opérateur funéraire pour réaliser ces opérations ou encore imposer un chemin d’accès discret à la chambre du défunt.

Une obligation d’information qui incombe conjointement à l’EHPAD et à l’opérateur funéraire

Pour pouvoir envisager l’hypothèse d’un maintien du corps dans la chambre du défunt, encore faut-il que la famille ait été informée de cette possibilité et que le transport du corps vers une chambre funéraire ne soit pas présenté comme la seule alternative envisageable par le personnel de l’EHPAD ou par l’opérateur funéraire, bien que pour des raisons diverses, cette option soit largement préférée par ces derniers.

En effet, ainsi que le rappelle le Défenseur des droits, il découle de l’art. 1103 (anciennement 1134) du Code civil, l’obligation de contracter de bonne foi et de la jurisprudence de la Cour de cassation que celui qui détient une information qu’il sait pertinente, a l’obligation de la diffuser à son futur partenaire contractuel qui l’ignore légitimement.

Il en découle que l’EHPAD est "débiteur envers la famille de ses résidents d’une obligation précontractuelle d’information sur les différentes solutions possibles concernant la conservation des corps".

Dans l’affaire portée à la connaissance du Défenseur des droits, la fille d’une résidente défunte d’un EHPAD avait signé une demande de transport de corps vers une chambre funéraire à la demande de la direction de l’EHPAD "entraînant une facturation à son nom des frais de transport […] et de dépôt" sans que cette dernière ne l’ait préalablement informée des "différentes solutions envisageables ainsi que de leurs conséquences financières".

Et le Défenseur des droits de conclure : "à défaut de chambre mortuaire au sein de l’établissement et en l’absence d’accord de coopération avec un établissement de santé, l’établissement médico-social doit informer les familles qu’il peut, soit conserver le corps jusqu’à la mise en bière dans la chambre du défunt, soit procéder à son transfert vers une chambre funéraire, soit le transférer à son domicile ou au domicile d’un membre de sa famille, étant précisé que les frais relatifs aux deux dernières propositions sont à la charge de la famille".

Celui-ci rappelant enfin que "le corps du défunt peut reposer durant six jours au sein de l’établissement médico-social, considéré comme son domicile. Le transfert du corps du défunt hors de l’établissement ne peut donc pas être imposé à la famille".

À titre d’illustration en matière d’établissement de santé, le tribunal d’instance de Fontainebleau, dans un jugement rendu le 26 avril 2005, avait rappelé, au sujet d’une clinique, "qu’en tant que professionnel (il lui appartenait), d’informer les familles des diverses solutions possibles". En l’espèce, le tribunal avait condamné la clinique à rembourser les frais de séjour en chambre funéraire à la famille d’un défunt (alors même que cette dernière enregistrant moins de 200 décès par an n’était pas tenue de disposer d’une chambre mortuaire) pour manquement à son obligation d’information.

En effet, la clinique avait présenté comme seule alternative possible le transport du corps vers une chambre funéraire, sans indiquer la possibilité de transporter le corps vers le domicile du défunt ou de celui d’un membre de sa famille. Or dans ces deux dernières hypothèses, la famille n’aurait pas été contrainte de payer de frais de séjour. Le tribunal a donc considéré que la famille avait subi un préjudice matériel équivalent aux frais de séjour en chambre funéraire causé par le défaut d’information de la clinique. En outre, "compte tenu du contexte particulièrement douloureux dans lequel se situe ce litige" le tribunal a condamné la clinique à des dommages et intérêts pour réparer le préjudice moral subi par la famille.

Si dans ce type de litige les familles tendent à diriger leurs contentieux vers les établissements médico-sociaux ou de santé, rappelons que les opérateurs funéraires sont également débiteurs d’une obligation de conseil envers leurs clients en la matière et que de tels contentieux pourraient également être dirigés contre eux.

Rappelons enfin que l’obligation d’information sur les différentes possibilités offertes aux familles reposant sur les opérateurs funéraires est particulièrement vaste et vise tous les aspects de l’organisation des obsèques. Outre le maintien du corps au domicile, citons par exemple la possibilité d’inhumer le défunt gratuitement en terrain commun, que la famille dispose d'une concession ou non, ou encore les multiples possibilités que prévoit la législation funéraire en matière de destination des cendres. Eu égard aux conséquences financières pour les familles que peuvent emporter certains choix, il apparaît indiscutablement qu’un défaut d’information de la part de l’opérateur funéraire serait de nature à causer un préjudice aisément indemnisable dans un cadre contentieux.
 
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris

Résonance n° 181 - Juin 2022

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