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Le cimetière est un équipement public et, comme tel, ses parties publiques doivent être neutres également. La manifestation d’une religion dans les parties publiques est donc impossible. En revanche, puisque tout particulier peut installer un signe indicatif de sépulture, rien ne s’oppose à ce que celui-ci manifeste une religiosité. Le problème se pose également des signes religieux installés avant la séparation des Églises et de l’État. Enfin, l’existence de carrés confessionnels semble contradictoire avec cette assertion.


Le cimetière : un espace public laïque

La loi du 14 novembre 1881 a abrogé l’art. 15 du décret du 23 prairial an XII qui imposait aux communes de réserver dans les cimetières une surface proportionnelle aux effectifs des fidèles des différents cultes, et imposait alors aux familles de déclarer le culte du défunt. L’art. L. 2213-9 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) édicte ainsi qu’il n’est permis en aucun cas d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte des défunts (exception notable de l’Alsace et de la Moselle, art. 2542-10 du CGCT).

C’est l’affirmation de la neutralité des parties publiques du cimetière communal. Il découle donc de cette qualité publique l’obligation de neutralité posée déjà par la loi de 1881 qui interdisait d’établir désormais une séparation à raison de la différence des cultes. Il peut en pratique subsister des cimetières privés qui résultent par exemple du fait que le décret du 23 prairial an XII, qui pose le principe du caractère public des cimetières, ne concernait pas les personnes de confession juive. Ces cimetières confessionnels perdurent de nos jours, mais la jurisprudence interdit tant leur extension que toute nouvelle création (CE 13 mai 1964, Sieur Eberstarck, Rec. CE p. 288).

Dans le même esprit, la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État a interdit d’élever ou d’apposer tout signe ou emblème religieux sur les monuments publics, sous réserve, prévoyait l’art. 28 de la loi du 9 décembre, des symboles religieux antérieurs à cette loi et des terrains de sépulture dans les cimetières et monuments funéraires : "Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit."

Mais cette disposition admet toutefois des exceptions en ce qui concerne les "édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions", et maintient ainsi le droit des familles de donner à leurs sépultures un caractère religieux (CE, 21 janv. 1910, Gonot, Curé de Périgny-sur-Armançon : Rec. CE 1910, p. 49, concl. M. Saint-Paul), ainsi qu’aux monuments érigés en mémoire des défunts, puisque, selon le Conseil d’État, dans un arrêt Abbé Guerle du 4 juillet 1924 : "Il résulte de la distinction même faite par le législateur entre les terrains de sépultures dans les cimetières et les monuments funéraires que cette dernière expression s’applique à tous les monuments destinés à rappeler les souvenirs des morts, même s’ils ne recouvrent pas de sépultures et quel que soit le lieu où ils sont érigés" (CE, 4 juillet 1924, Abbé Guerle : Rec. CE 1924, p. 640 ; D. 1924, 3, p. 48, concl. R. Meyer).

Il est donc aussi permis la préservation de calvaires ou autres signes religieux placés dans les parties publiques du cimetière. En revanche, de nouvelles constructions de ces monuments sont interdites, ainsi que le rappelle opportunément le Conseil d’État.

Conseil d’État 28 juillet 2017, avis n° 408920 

1°) Une croix ornant le portail d’entrée d’un cimetière doit-elle, par principe, être regardée comme un signe ou emblème religieux dont l’installation est interdite depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, ou, au contraire, est-elle susceptible de revêtir une pluralité de significations de sorte qu’il appartient au juge de rechercher, dans chaque espèce, si cette croix constitue simplement un élément visant à signaler de manière traditionnelle la présence d’un cimetière ou si elle revêt le caractère d’un signe ou emblème religieux :
Le cadre juridique dans lequel cette question s’inscrit se trouve défini par les dispositions suivantes. Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l’art. 1er de la Constitution : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances". La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État crée, pour les personnes publiques, des obligations, en leur imposant notamment, d’une part, d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d’autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l’égard des cultes, en particulier en n’en reconnaissant ni n’en subventionnant aucun.

Ainsi, aux termes de l’art. 1er de cette loi : "La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public" et, aux termes de son art. 2 : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte." Pour la mise en œuvre de ces principes, l’art. 28 de cette même loi précise que : "Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions."

Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse. Toutefois, alors même qu’un cimetière est une dépendance du domaine public de la commune, la loi réserve notamment la possibilité d’apposer de tels signes ou emblèmes sur les terrains de sépulture, les monuments funéraires et les édifices servant au culte.

En outre, en prévoyant que l’interdiction qu’il a édictée ne s’appliquerait que pour l’avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existants à la date de l’entrée en vigueur de la loi, ainsi que la possibilité d’en assurer l’entretien, la restauration ou le remplacement. Indépendamment de ces règles, s’appliquent également les protections prévues par le Code du patrimoine au titre de la protection des monuments historiques.

Néanmoins, tant le fait que le concessionnaire y dispose d’un droit réel immobilier sur son emplacement que de la possibilité de placer sur chaque emplacement un signe distinctif de sépulture a abouti à ce que l’expression de la religiosité des défunts apparaisse au sein de cet espace public.

L’exception paradoxale du carré confessionnel 

Il est donc au regard de ce qui précède impossible au maire de prévoir dans le règlement du cimetière municipal des emplacements réservés pour telle ou telle confession religieuse. Il ne faut pas confondre ces regroupements de fait d’avec de vieilles pratiques d’emplacements concédés réservés aux congrégations religieuses, qui présentent deux difficultés spécifiques :  
La première difficulté concernera l’identité du titulaire de la concession qui ne peut en aucun cas être l’ordre religieux en tant que personne morale, puisqu’une telle personne ne peut être concessionnaire, le CGCT en son art. L. 2223-13 mentionnant "qu’il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs", ce qui indubitablement exclut les personnes morales.

Si ce problème peut être résolu facilement, un second beaucoup plus ardu se pose. Juridiquement, les exhumations et réductions de corps ne pourront y être sollicitées par les responsables ecclésiastiques qui ne peuvent remplir la condition posée par l’art. R. 2213-40 du CGCT d’être le plus proche parent du défunt. Sur ce point, la doctrine administrative vient distinguer selon la nature des vœux prononcés par le religieux ; cette position administrative n’est pas soutenable à raison de la séparation des Églises et de l’État. 

Ce carré confessionnel trouve son origine dans la doctrine administrative : le ministère de l’Intérieur, dans une circulaire n° 76-603 du 28 novembre 1976 réaffirmée dans la circulaire n° 91-30 du 14 février 1991 et, désormais, dans une circulaire du 19 février 2008, autorise les maires à favoriser non pas des zones dévolues spécialement à une confession, mais des regroupements de fait, à la double condition que leur accès soit libre et qu’il soit malgré tout possible à une personne d’une autre confession de s’y faire inhumer, la volonté d’être inhumé dans un tel emplacement devant avoir été manifestée par le défunt de son vivant ou, à défaut, par une personne ayant qualité à pourvoir à ses funérailles. 

Circulaire du 19 février 2008 NOR/INT/A/08/00038/C, §3.2

"Il convient de signaler que les associations cultuelles sont de plus en plus nombreuses à faire part du dilemme auquel sont confrontées les familles qui ont à choisir entre le renvoi du corps dans le pays d’origine, considéré comme trop onéreux par certaines d’entre elles, et l’inhumation du défunt en France, sachant que les règles propres à son culte (orientation des tombes, durée illimitée des sépultures, etc.) peuvent ne pas être satisfaites. Si le principe de laïcité des lieux publics, en particulier des cimetières, doit être clairement affirmé, il apparaît souhaitable, par souci d’intégration des familles issues de l’immigration, de favoriser l’inhumation de leurs proches sur le territoire français.
Le maire a en effet la possibilité de déterminer l’emplacement affecté à chaque tombe (CE, 21 janvier 1925, Vales), et donc de rassembler les sépultures de personnes de même confession, sous réserve que les principes de neutralité des parties publiques du cimetière et de liberté de choix de sépulture de la famille soient respectés. Tel est le sens des deux circulaires qui vous ont été préalablement adressées en 1975 et 1991, et sur lesquelles je souhaite à nouveau appeler votre attention, car le développement d’espaces confessionnels me paraît être la solution à privilégier pour résoudre les difficultés qui me sont le plus souvent signalées.

Pour répondre favorablement aux familles souhaitant que leurs défunts reposent auprès de coreligionnaires, je vous demande d’encourager les maires à favoriser, en fonction des demandes, l’existence d’espaces regroupant les défunts de même confession, en prenant soin de respecter le principe de neutralité des parties communes du cimetière, ainsi que le principe de liberté de croyance individuelle".

Le maire, ici, n’est soumis à aucune contrainte juridique de création de ces emplacements. Il lui appartient en pure opportunité de décider ou non s’il y a lieu de créer ces emplacements de fait dénommés usuellement "carrés confessionnels". Il paraît évident qu’il n’y aura aucune obligation d’aucune sorte et donc une personne adepte d’une confession disposant d’un carré confessionnel pourra évidemment se faire inhumer dans n’importe quelle autre partie du cimetière. Techniquement, le pouvoir du maire de décider de tels regroupements est issu de l’arrêt "Sieur Valès" (CE 28 janvier 1925, Rec. CE, p. 79), par lequel le maire se voit reconnaître le pouvoir de déterminer l’emplacement des concessions. 

Ainsi, le maire qui le souhaite peut utiliser l’opportunité offerte par la jurisprudence "Valès" pour octroyer des emplacements particuliers suivant que la famille réclame, au nom d’une religion, un emplacement séparé pour son défunt de ceux des autres cultes. Néanmoins, il ne saurait être question, pour le maire, d’apprécier la validité de la confession religieuse revendiquée pour permettre l’inhumation du défunt dans ce carré confessionnel. Le maire n’a pas à consulter quelque autorité religieuse que ce soit ; il se limite à accueillir le souhait d’une famille, s’il le désire. En aucun cas il n’est obligé de satisfaire de telles revendications.

On peut citer à ce propos un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 5 juillet 1993 (req. n° 922676), "Époux Darmon", où, justement, le maire refuse à tort l’inhumation d’un défunt dans le "carré juif" au motif que les autorités religieuses ne reconnaissaient pas l’appartenance du défunt à la confession israélite, car sa mère n’est pas juive.
 
TA Grenoble, 5 juillet 1993, Époux Darmon, JCP G, 1994, II, 22198, p. 33-35

"Considérant que le maire de Grenoble n’a pas dénié aux époux Darmon le droit d’obtenir une concession dans le cimetière communal pour l’inhumation de leur fils ; que pour refuser de l’attribuer dans le "carré juif" où les requérants la désiraient, le maire pouvait tenir compte de toutes considérations d’intérêt général et notamment de celles tirées des nécessités de l’ordre public, mais qu’il ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, écarter ladite demande en se fondant exclusivement sur la circonstance que des autorités religieuses déniaient l’appartenance de la personne décédée à la confession israélite ; que, par suite, les époux Darmon sont fondés à demander l’annulation de la décision attaquée."

De ces quelques remarques peuvent être tirées les observations suivantes :
- en aucun cas le règlement de cimetière ne se doit d’évoquer ce qui n’est qu’un pur fait, au risque de porter atteinte au principe de laïcité. Le carré confessionnel n’a pas à faire l’objet d’un chapitre dans le règlement du cimetière ;
- la zone utilisée pour le maire ne doit en aucun cas être distinguée matériellement du reste du cimetière (interdiction de clôture, plantation, etc.) ;
- les autorités religieuses n’ont aucun droit sur ces emplacements qui sont publics et ne doivent pas être sollicitées quant à leur gestion ;
- le maire ne peut se fonder sur une décision d’une autorité religieuse pour motiver un refus d’octroi de concession.
Si ces affirmations semblent éloignées d’une réalité où parfois la commune se dépouille en fait de ses pouvoirs sur le cimetière, au profit d’une obédience religieuse, il n’en reste pas moins que cette position est conforme à l’état du droit quant au principe de laïcité.
Ces carrés ont surtout pour effet de permettre, dans le cas par exemple des défunts de confession musulmane, une orientation des tombes conforme aux préceptes de cette religion. Il faudra néanmoins respecter la réglementation en matière d’hygiène et de salubrité, en prohibant par exemple l’inhumation sans cercueil (art. R. 363-15 du CGCT).
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 182 - Juillet 2022

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