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La forêt cinéraire est à la mode, que ce soit doctrinalement (Forêts cinéraires : exemple d’une carence de l’initiative publique, étude par Louise-Marie Nicolas, avocate au barreau de Paris, JCP A n° 23, 13 juin 2022, 2189) ou parlementairement (proposition de loi n° 641, enregistrée au Sénat le 31 mai 2002). Il importerait ainsi pour certains parlementaires de modifier le droit pour permettre la création de ces sites. Nous nous étions déjà penchés sur cette problématique à l’occasion du commentaire d’une réponse parlementaire récente (question écrite n° 21192, JO Sénat 4 mars 2021, Résonance n° 175 : Les forêts cinéraires en question ?). Nous y revenons en pensant qu’il n’est pas besoin de réformes pour la création de ces dispositifs et que le droit positif le permet déjà.


Les destinations des cendres

Il convient de rappeler le texte de l’art. L. 2223-18-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), qui dispose que : "À la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, les cendres sont en leur totalité :
– soit conservées dans l’urne cinéraire, qui peut être inhumée dans une sépulture ou déposée dans une case de columbarium ou scellée sur un monument funéraire à l’intérieur d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’art. L. 2223-40 ;
– soit dispersées dans un espace aménagé à cet effet d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’art. L. 2223-40 ;
– soit dispersées en pleine nature, sauf sur les voies publiques."

Rappelons également que l’urne peut être inhumée dans une propriété particulière pourvu que cette propriété soit "hors de l’enceinte des villes et des bourgs et à la distance prescrite" (CGCT, art. L. 2223-9).

Il s’agit des seules destinations possibles des cendres funéraires, puisque cette liste est limitative. Indubitablement, la forêt cinéraire manque dans cette énumération et c’est sans doute la raison qui justifierait l’ajout du terme dans plusieurs articles du CGCT ainsi que la création d’un nouvel art. L. 2223-4-1 du même Code dans une proposition de loi émanant de sénateurs (proposition précitée), selon lequel : "Art. L. 2223-4-1. – Les forêts cinéraires accueillent les cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation, qui sont inhumées dans des urnes biodégradables au pied d’arbres portant mention de l’identité des défunts. Nous doutons de l’utilité de cette modification potentielle".

La forêt cinéraire et la notion de "pleine nature"

Il existe de nombreuses forêts communales qui doivent pouvoir relever de la pleine nature. Néanmoins, il faut rappeler qu’il n’existe aucune définition de ce terme de "pleine nature" dans les textes légaux ou réglementaires. Nous ne savons donc pas ce qu’est juridiquement la "pleine nature". Nous ne disposons, pour le droit funéraire, que de la circulaire du 14 décembre 2009 (NOR : IOCB0915243C) qui tente de la définir : "Précision sur la notion de "pleine nature"

Il n’existe pas de définition juridique de cette notion. Dès lors, seule l’interprétation souveraine des tribunaux permettrait d’en préciser le contenu. Toutefois, il peut être utile de se référer à la notion d’espace naturel non aménagé, afin de déterminer si le lieu choisi pour la dispersion est conforme ou non à la législation. De ce fait, la notion de pleine nature apparaît peu compatible avec celle de propriété particulière, interdisant la dispersion des cendres dans un jardin privé. Ce principe peut néanmoins connaître des exceptions, notamment lorsque la dispersion est envisagée dans de grandes étendues accessibles au public mais appartenant à une personne privée (un champ, une prairie, une forêt…), sous réserve de l’accord préalable du propriétaire du terrain."

Nous ne pensons pas que cette notion de pleine nature puisse permettre d’appréhender la notion de forêt cinéraire, puisque que ceci nous semble incompatible avec la volonté communale (pour la commune qui l’envisagerait) de faire de cette forêt un espace aménagé spécifiquement pour les urnes funéraires alors que le propriétaire de l’espace où les cendres sont dispersées n’a jamais la volonté de le consacrer spécifiquement à cette fonction (déjà que parfois il n’est pas même informé de cette dispersion).

Dès lors, cette qualification de "pleine nature" étant écartée (nous partageons la position de maître Nicolas, cf. art. précité, tout particulièrement § 7), soit on considère qu’il s’agit d’un équivalent au jardin du souvenir, c’est-à-dire strictement d’un lieu de dispersion isolé, mais dans cette hypothèse il n’y aurait aucune possibilité d’inhumer des urnes ; soit on considère en tant que telle qu’elle constitue un site cinéraire isolé. Essayons d’envisager cette option…

La forêt cinéraire est un site cinéraire isolé

1 - Disperser les cendres dans la forêt cinéraire

L’expression "jardin du souvenir" a disparu des textes avec l’adoption du décret du 20 juillet 1998 relatif à la crémation. L’utilisation d’une expression plus neutre (CGCT, art. R. 2213-39 et R. 2223-6) ne fait que consacrer la disparité et, surtout, la possibilité des équipements mis en place par les communes et la variété des appellations qu’ils ont reçues (mer de galets, puits de dispersion, etc.). L’opération de dispersion est désormais régie par l’art. L. 2223-18-2 du CGCT. Il sera interdit, en toute logique, si ce lieu existe, de disperser les cendres à un autre endroit dans le cimetière ou dans le site cinéraire isolé.

Nous ne discernons pas d’obstacle dirimant à ce que cette dispersion dans un espace dédié de la forêt cinéraire s’accompagne de la plantation d’un végétal (arbre, arbuste) ou que soit fixé à un quelconque endroit un dispositif mentionnant leur identité. Il ne nous semble pas besoin de modifier la loi pour autoriser cette possibilité. En effet, si l’art. L. 2223-2 du CGCT mentionne que le site, destiné à l’accueil des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation, comprend un espace aménagé pour leur dispersion et doté d’un équipement mentionnant l’identité des défunts, aucune caractéristique n’est fixée à cet équipement.

On pourrait bien admettre un dispositif sur lequel les familles pourraient inscrire l’identité du défunt dispersé. Encore une fois en pratique, les communes ont une très grande marge de manœuvre dans le type d’équipement choisi puisque n’existe aucune réglementation spécifique et que tout le monde ignore en quoi consiste juridiquement cet équipement. Rappelons de surcroît que, celui-ci appartenant aux communes puisqu’il est l’accessoire du lieu de dispersion, celles-ci seraient libres de fixer un prix à l’utilisation de ce dispositif. Enfin, c’est le règlement du site cinéraire (aménagé sous forme de forêt) qui viendrait fixer les modalités de cette dispersion.

2 - Inhumer l’urne dans la forêt cinéraire

Liminairement, nous ne pensons pas, comme certains, que l’enfouissement d’une urne, même biodégradable, soit assimilable à une dispersion. D’ailleurs, si les mots ont un sens, il ne va pas de soi qu’enfouir une urne puisse s’apparenter à une dispersion. Néanmoins rappelons qu’aucune définition juridique de ce qu’est une dispersion n’existe dans le CGCT et qu’aucune disposition ne vient réglementer la procédure de dispersion. C’est la raison pour laquelle il appartient derechef à un règlement de site cinéraire ou de cimetière de venir encadrer cette opération.

On peine également à comprendre juridiquement pourquoi l’emploi d’une urne biodégradable transformerait de ce simple chef l’inhumation en dispersion au motif qu’aucune exhumation ne serait possible à l’avenir. On veut bien admettre que l’emploi d’une urne biodégradable soit plus en adéquation avec la philosophie du lieu, mais il faut rappeler que les cercueils et même les cercueils hermétiques sont biodégradables plus ou moins rapidement en fonction de la nature des sols. On pourrait également relever qu’un cercueil inhumé en pleine terre va se disloquer extrêmement rapidement sous le poids de la terre et qu’enfin, même placé dans un caveau, le temps fera son office et qu’il se délitera nécessairement.

Certes, les cendres disparaîtront plus aisément que les ossements de par leur faible encombrement et leur nature, mais, a priori, n’est-ce pas l’un des buts du cimetière et donc également celui du site cinéraire que d’opérer la consumation des restes mortels dans le respect de l’hygiène publique ? À l’assertion de notre propos, on relèvera que l’art. R 2213-25 CGCT énonce que : I.- À l’exception des cas prévus à l’art. R. 2213-26, le corps est placé dans un cercueil muni d’une cuvette d’étanchéité respectant des caractéristiques : […] 3° De biodégradabilité lorsqu’il est destiné à l’inhumation ou de combustibilité lorsqu’il est destiné à la crémation afin de protéger l’environnement et la santé. […] ; tandis que l’art. R 2213-27 dispose que : "Les cercueils hermétiques doivent être en matériau biodégradable." 

In fine, l’emploi d’une urne biodégradable permettrait de résoudre la problématique des reprises de concessions dans ces sites. Néanmoins, rien n’empêcherait une reprise d’une concession d’urnes pour non-renouvellement avec dépôt de l’urne à l’ossuaire dont d’ailleurs rien n’interdit qu’il soit situé dans un site cinéraire, et donc dans cette forêt cinéraire.

Dans cette seconde hypothèse, nous ne discernons pas comment on pourrait refuser dans une forêt cinéraire des inhumations d’urnes en pleine terre, en cavurnes même un (des) columbarium(s), d’ailleurs, pour ces deux derniers équipements, force est derechef de constater que nous ne disposons pas non plus de la moindre définition légale ou réglementaire dès lors que le CGCT dispose seulement en son art. L. 2223-2 […] : "Le site cinéraire destiné à l’accueil des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation comprend un espace aménagé pour leur dispersion et doté d’un équipement mentionnant l’identité des défunts, ainsi qu’un columbarium ou des espaces concédés pour l’inhumation des urnes." 

Tandis que l’on sait que les cendres sont :
– soit conservées dans l’urne cinéraire, qui peut être inhumée dans une sépulture ou déposée dans une case de columbarium ou scellée sur un monument funéraire à l’intérieur d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’art. L. 2223-40 ; (L. 2223-18-1 du CGCT)
– soit dispersées dans un espace aménagé à cet effet d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’art. L. 2223-40 du CGCT.

Il faut relever d’ailleurs que, parmi ces dispositifs funéraires servant de sépultures, le columbarium est le seul qui soit propriété communale, il est un ouvrage immobilier incorporé au domaine public communal qu’est le cimetière (CE, 28 juin 1935, "Marécar") et par là même un ouvrage public (CE 12 décembre 1986 : Rec. CE, p. 429 ; AJDA 1987 p. 283, obs. X. Prétot). Il est composé de cases où les familles déposent leurs urnes funéraires.

La jurisprudence décida d’y appliquer le régime juridique des concessions funéraires (TA Lille, 30 mars 1999, Tillieu c/ Cne Mons-en-Baroeul : LPA 2 juin 1999, p. 17, note Dutrieux, : "contrairement à ce que soutient le maire de M…, le contrat de concession d’un emplacement dans le columbarium municipal comporte pour son titulaire les mêmes droits que le contrat de concession d’un terrain dans le même cimetière"), alors même que le CGCT n’y faisait pas explicitement référence.

Cet équipement n’est pas obligatoire, si on lit littéralement le CGCT, or, en dépit du caractère facultatif des concessions funéraires, la plupart des communes en disposent, permettant alors l’inhumation de l’urne. Cet équipement serait alors facultatif pour la forêt cinéraire.

Ainsi, il conviendra d’opter en ce qui concerne la gestion de ces cases pour le droit applicable aux concessions funéraires. Rappelons qu’il n’existe qu’une impossibilité, celle d’attribuer des concessions perpétuelles, puisque c’est logiquement à la commune et non au titulaire de l’emplacement qu’échoit l’obligation d’entretenir l’ouvrage. Traditionnellement, on constate néanmoins une tendance à des occupations plus courtes que celles dévolues aux concessions "classiques" (sous réserve du respect des durées permises, évidemment).

On pourrait également trouver des caveaux d’urnes ou "cavurnes". Ces sépultures d’urnes sont des concessions aux dimensions réduites destinées à recevoir des urnes (elles sont généralement regroupées au sein du cimetière et est alors utilisée l’expression "jardin d’urnes"). Très souvent, ces sépultures sont déjà aménagées par la commune sous la forme de petits caveaux pré-aménagés dans lesquels seront introduites les urnes, et sur lesquels pourront être placés par les familles des monuments aux dimensions réduites. Il y a tout lieu de penser que le régime juridique de ces emplacements peut être aligné sur celui des concessions funéraires. Encore une fois, on pourra importer dans le règlement du site cinéraire la réglementation choisie pour eux dans le cimetière. Ainsi, on pourrait retrouver toutes les possibilités de sépulture dans cet équipement.

La forêt cinéraire ne peut être une propriété particulière et doit demeurer publique

La cour d’appel d’Aix-en-Provence avait considéré qu’il était impossible de créer un site cinéraire privé (CA Aix-en-Provence, 15 janv. 2002, n° 01/05822, Assoc. Site Cinéraire Intercommunal Alpes-Maritimes [SCIAM]), SCI Carimail c/ Cne Mougins : Collectivités-Intercommunalité 2002, comm. 140, note D. Dutrieux, le pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 15 janvier 2002 fut rejeté et la Cour de cassation confirma l’interdiction des sites cinéraires privés en pratiquant une lecture stricte de la notion de "propriété particulière" (Cass. 1re civ., 13 décembre 2005, n° 02-14.360).

L’art. L. 2223-40 du CGCT dispose quant à lui que : "Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale sont seuls compétents pour créer et gérer les crématoriums et les sites cinéraires. Les crématoriums et les sites cinéraires qui leur sont contigus peuvent être gérés directement ou par voie de gestion déléguée. Les sites cinéraires inclus dans le périmètre d’un cimetière ou qui ne sont pas contigus à un crématorium doivent être gérés directement".

Ainsi, s’il est possible de confier la gestion d’un site cinéraire contigu à un crématorium à une personne privée dans le cadre d’une délégation de service public, la gestion en régie demeurera la norme pour la forêt cinéraire isolée ; rappelons, mais ceci est une autre histoire, que, pour le juge de l’Union européenne, le monopole public en matière de conservation des urnes funéraires, qui interdit aux entreprises privées de se livrer à l’activité de garde d’urnes funéraires, est contraire au droit européen.

La cour ne discerne pas de problème relatif au respect de la mémoire des défunts et, enfin, ne retient pas de difficultés liées à l’immoralité de la marchandisation de restes mortels, puisque la personne publique s’y livre déjà (CJUE, 14 novembre 2018, aff. C-342/17, Memoria et Dall’Antonia). Ces quelques remarques n’ont d’autre ambition que de participer au débat autour de cet équipement dont il nous semble que les communes peuvent d’ores et déjà au travers des règles nationales et de la réglementation édictée localement (règlement du site) s’emparer si elles le désirent.
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance hors-série n° 14 - Août 2022

Instances fédérales nationales et internationales :

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