Votre panier

Panier vide
C'est par l'affirmative que, très récemment, le TA de Caen vient répondre à cette question en considérant qu'une concession particulière pouvait devenir une concession familiale dès lors que l'héritier de la concession devenait le nouveau titulaire de celle-ci ; si nous n’approuvons pas la solution, tentons de l’expliquer…


Tribunal administratif (TA) de Caen 14 mars 2023, n° 2101617

Les faits : le refus du scellement d'une urne funéraire

Mme F A a demandé au tribunal d’annuler la décision par laquelle le maire de Domfront-en-Poiraie a refusé d’autoriser le dépôt de l’urne funéraire contenant les cendres de son fils, D A, sur la concession funéraire dont elle bénéficie dans le cimetière de la commune déléguée de Rouellé. Cette concession perpétuelle avait été acquise par Mme E A afin d'y fonder sa sépulture. Elle y fut inhumée et, après son décès, son fils édifia sur l’emplacement un caveau familial de trois places sur la base d’un accord verbal d’un conseiller municipal.

Une nouvelle demande fut alors formulée pour le scellement d'une urne. Classiquement, le maire refuse alors ce scellement au motif que la concession funéraire était, c'est le sens de son refus, à notre avis, une concession particulière, le juge lui donne tort en opérant une lecture où il assimile au titulaire de la concession funéraire, un héritier de celui-ci. Il le fait en combinant les articles L. 2223-3 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) qui est, rappelons-le, l’article relatif au droit à inhumation, c'est-à-dire au droit à inhumation en terrain commun et non en concession avec l'art. R. 2213-31 du CGCT qui est uniquement un article confiant la police de l’inhumation au maire.

Il en tire alors l'étrange conséquence suivante qui nous semble complétement étrangère à ces deux textes : "Le maire d’une commune ne peut, sauf pour des motifs tirés de l’intérêt public, s’opposer à une inhumation dont l’autorisation lui est demandée par le titulaire d’une concession funéraire. Il lui appartient également, en l’absence de tels motifs, de se conformer aux volontés du titulaire pour ce qui concerne l’étendue du droit à l’inhumation dans la concession concernée".

En effet, pourquoi ne pas citer le texte relatif aux concessions plutôt que celui, indifférent à la résolution du litige, du droit à inhumation puisque ce n'est ce droit qui est ici mis en cause ? De surcroît, l’art. R. 2213-31 du CGCT est lui aussi décorrélé du droit à concession et ne fait que subordonner à autorisation administrative l'inhumation. Il implique, au contraire de ce qu'affirme le juge, de se prononcer sur la possibilité de l'inhumation au vu du régime juridique de la sépulture (terrain commun ou type de concession).

Une fois que ce raisonnement fait de l'héritier du concessionnaire le titulaire d’une concession qu’il n’a pas même fondée, il ne lui reste plus qu’à affirmer : "Pour rejeter la demande en litige, le maire de Domfront-en-Poiraie a fait valoir que la concession a été acquise par Mme E A pour sa seule sépulture et qu’elle lui était donc réservée. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu’au décès de Mme E A, fondatrice de la sépulture, son fils et héritier, M. B A, devenu en cette qualité titulaire de la concession, y a édifié un caveau familial comprenant trois places réservées à sa mère, qui y était déjà inhumée, à lui-même et à sa femme, Mme F A.

Eu égard à la transmission du droit réel immobilier que constitue la concession à l’héritier de Mme E A à son décès, puis au décès de M. B A à son fils, M. D A, et alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que celle-ci aurait exprimé la volonté de s’opposer à l’inhumation de son petit-fils dans la concession ni qu’elle aurait pris une disposition testamentaire en ce sens, le maire ne pouvait légalement, en l’absence de motifs tirés de l’intérêt public, refuser d’accorder à Mme F A l’autorisation de sceller sur la concession l’urne cinéraire de son fils D A, quelle qu’ait été la nature de la concession initiale.

Une assimilation contestable des droits de l'héritier à celui du fondateur

Rappelons que, pour la doctrine administrative, le titulaire de la concession demeure le régulateur du droit à inhumation dans la concession (Rép. min. n° 47006, JOAN Q 26 octobre 1992, p. 4919). Rappelons également que le juge élabora toute une typologie des concessions funéraires en prenant soin de bien distinguer entre les concessions individuelles, les collectives et enfin les familiales, qui d’ailleurs sont celles qui peuvent poser le plus de problèmes puisqu’à la différence des autres, l’acte de concession ne mentionne pas ceux qui pourront y être inhumés.

Ainsi, même s’il reste physiquement la place pour y inhumer d’autres personnes, il ne peut être inhumé dans ces concessions que ceux dont le nom est mentionné à l’acte. Dans ces concessions de famille, le juge part du principe que l’intention présumée du fondateur est l’inhumation des membres de sa famille (CE 7 février 1913, Mure, S. 1913, III, 81, note Hauriou), mais aussi de personnes liées à lui par des liens d’affection. Le concessionnaire peut expressément exclure de ce droit certaines personnes de sa famille (CAA Bordeaux 3 novembre 1997, M. Gilbert Lavé, req. n° 96BX01838). À sa mort, le statut de la concession est devenu définitif et ne peut changer.

Dans une concession, il est néanmoins possible pour le concessionnaire de changer le statut de sa concession par un avenant au contrat initial. À la mort du fondateur, c’est-à-dire du titulaire initial, la concession devient la plupart du temps (sauf disposition testamentaire expresse, puisque la concession funéraire est un bien anomal qui ne vient donc pas au partage) une propriété indivise entre les héritiers le plus souvent, et ce droit est indépendant de celui autorisant les membres de la famille à s’y faire inhumer. Aussi paradoxal que cela paraisse, il est ainsi possible d’hériter d’une concession, sans y avoir droit à l’inhumation.

Certes, la jurisprudence administrative est en la matière plus ondoyante que la jurisprudence judicaire ; et ce jugement n’est pas sans rappeler un arrêt de 2014 (CAA Bordeaux, 29 septembre 2014, req. n° 13BX02058) qui permet de mieux l’appréhender. Dans cette affaire, le maire de la commune de Camblanes-et-Meynac avait accordé une concession perpétuelle à M. T.

Le maire y avait plusieurs fois refusé l’inhumation de l’épouse, séparée de corps, de celui-ci, à la demande expresse du fondateur, obligeant alors la personne qui avait qualité pour pourvoir aux funérailles, en l’occurrence le fils de la défunte, au dépôt du corps au dépositoire communal, nous dit l’arrêt, c’est-à-dire au caveau provisoire. Néanmoins, une fois le décès du fondateur survenu, saisie derechef d’une demande, mais émanant cette fois du fils du fondateur, la commune accepte alors l’inhumation.

Postérieurement à cette opération, le fils décide de rechercher la responsabilité de la commune pour la faute qu’elle aurait commise en refusant plusieurs fois l’inhumation de sa mère. La cour conclut à l’absence de responsabilité de la commune, mais au prix d’une analyse, qui, à tout le moins, semble étonnante. En effet, si l’on peut comprendre le juge lorsqu’il énonce que le maire n’avait commis aucune faute : "Que, dès lors, c’est à bon droit que le maire de Camblanes-et-Meynac a, au décès de Mme B… C… et jusqu’au décès de M. A… C…, avait refusé l’inhumation de la mère du requérant dans le caveau de son époux".

Il est plus difficile de le suivre quand il affirme "que si cette inhumation a été autorisée deux ans plus tard, au décès de M. A… C…, cette autorisation a été accordée au vu de la demande du requérant qui héritait de la concession ; que, dans ces conditions, la commune de Camblanes-et-Meynac n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité". Ici, également le juge, implicitement assimile l’héritier au titulaire de la concession sans envisager que c’est plutôt sous l’angle de la volonté du fondateur (le titulaire initial) qu’il conviendrait de se placer.

Au-delà de la solution, logique quant à la responsabilité de la commune, la question est principalement de savoir, dans cet arrêt de la CAA de Bordeaux, si, connaissant l’opposition du fondateur de la concession, la mairie pouvait autoriser une telle inhumation, manifestement en contradiction d’avec la volonté du fondateur. Du fait qu’il n’existait apparemment aucun conflit familial, le maire a accepté cette inhumation.

D’un point de vue strictement administratif, il n’a donc pas commis de faute, surtout à partir du moment où l’opposition du fondateur n’était pas retranscrite dans le titre, mais l’était par des courriers adressés à la commune. Néanmoins, d’un point de vue judiciaire, à l’égal de notre jugement de Caen, la volonté du fondateur a été violée, même si ce cas est encore plus étonnant que celui donnant lieu à notre jugement.

En effet, il convient de relever que le juge judiciaire a déjà eu l’occasion de préciser que les droits à inhumation déterminés par le fondateur étaient en quelque sorte figés à son décès, par exemple : CA Paris 11 juin 1957, D 1957, p. 570. Ainsi, il a refusait que, lorsque des époux ont acquis ensemble une concession et que le titre précisait qu’un enfant né d’un premier lit avait droit à sépulture dans celle-ci, son inhumation ne pouvait dès lors plus être interdite par le cofondateur après la mort du mari (Paris, 24 février 1893, DP 1893, II, 353), le juge respectant scrupuleusement les vœux du fondateur : "L’attribution des places dans un caveau dépend uniquement de la volonté du concessionnaire qui peut, de son vivant, désigner les personnes dont il autorise l’inhumation dans la sépulture, les dispositions prises par lui ne pouvant être ultérieurement modifiées par ses héritiers" (Amiens 29 novembre 1960, Caron-Potentier/Potentier-Lambert, GP 1961, I, p. 124, cité par M.-T. Viel, "Droit funéraire et gestion des cimetières", Berger-Levrault, p. 321).

Le juge peut également se fonder sur les intentions présumées du fondateur, pour par exemple retenir que le fondateur voulait établir une sépulture pour la famille de son mari et non pour sa propre famille (Cour de cassation, 15 mars 1978, Rocca/Papadacci, Bull. civ. 1978, I, n° 111, p. 91). Ainsi, ce jugement pourrait se comprendre comme exprimant la divergence de jurisprudence entre les deux ordres de juridiction, l’un le juge administratif compétent pour le litige opposant l’administré à l’Administration, et l’autre le juge civil compétent en matière de litige familial, litige qui n’existe pas ici (ce que prend soin ici de relever le tribunal administratif de Caen).

Il nous semble néanmoins que l’assimilation abusive de la situation des héritiers requalifiés en titulaires sans tenir compte du fondateur de la concession prive de tout fondement le régime juridique de la concession funéraire et fait douter inutilement de la pérennité de ses choix en matière de sépulture tout en fragilisant la position des communes.
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 190 - Avril 2023

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations