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Voici une intéressante décision du juge administratif qui vaut principalement pour les conditions dans lesquelles on doit considérer que la crémation de restes est impossible.


CAA de PARIS 5 décembre 2023, n° 22PA02945

Les faits : une exhumation du terrain commun suivie d‘une crémation des restes

Mme A..., décédée à Paris le 13 février 2012, a été inhumée au terrain commun du cimetière de Thiais. Le 29 mars 2017, il a été procédé à l’exhumation de son corps, puis à sa crémation et à la dispersion de ses cendres. Par une lettre du 13 juin 2019, M. B..., fils de Mme A..., a adressé à la Ville de Paris un recours préalable tendant à la réparation du préjudice moral qu’il estime avoir subi du fait des fautes commises par la maire de Paris dans l’exercice de ses pouvoirs de police des funérailles et des cimetières. Le silence gardé sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Par un jugement du 25 avril 2022, dont la Ville de Paris relève appel, le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à la demande de M. B... en la condamnant à lui verser la somme de 5 000 € en réparation de son préjudice moral. Un appel est interjeté par la Ville de Paris. Il existait ici une double problématique.

Le terrain commun : une reprise peu formelle

Les familles n’ont aucun droit sur les terrains communs mis à leur disposition, le maire détermine ainsi l’emplacement qu’il juge le plus propice, inspiré uniquement du bon ordre dans le cimetière et du bon aménagement de celui-ci. Le juge administratif va accepter que les familles clôturent ces sépultures tout en permettant au maire, par le biais de ses pouvoirs de police, d’en réglementer les dimensions et positionnements dans l’intérêt de la circulation dans le cimetière.

Cette limitation s’exprimera, par exemple, par :
- l’impossibilité de retenir un emplacement à l’avance ;
- l’emplacement est attribué par le maire une fois le décès survenu ;
- l’impossibilité d’exiger l’inhumation de plusieurs cercueils au même emplacement, au même moment ou à des dates ultérieures ;
- l’impossibilité de se maintenir en place au-delà du délai de rotation du terrain. La famille du défunt ne dispose d’aucun droit pour imposer un délai plus long ou un maintien en place, même si elle propose un paiement. Ce dernier ne pourrait pas être institué par le conseil municipal, puisque le terrain général doit être mis gratuitement à la disposition de l’utilisateur (Trib. civil Dôle 14 février 1883, GP 1884, 1, 1351) ;
- l’impossibilité de réclamer l’utilisation de l’emplacement pour autrui ;
- l’impossibilité de transmission de droits à des tiers.

Néanmoins, ceci ne veut pas dire que ces sépultures ne sont pas protégées, et, dans un arrêt de la cour d’appel de Riom du 10 avril 2003 (CA Riom 10 avril 2003, RG 1133-2002), une commune est condamnée pour voie de fait commise dans un cimetière à l’occasion de la reprise de sépultures en terrain commun. La cour étend ainsi logiquement aux sépultures en terrain commun la protection qui jusqu’ici existait au profit des concessions funéraires (voir par exemple : TC 25 novembre 1963, commune de Saint-Just-Chaleyssin : Rec. CE, p. 793). Il sera également possible à la famille de demander la transformation du terrain commun en emplacement concédé à l’issue du délai de rotation.

I – Première problématique

La première problématique concernait donc le degré d’information en ce qui concerne une reprise du terrain commun. On le sait, le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) est muet sur ce point. Néanmoins, la jurisprudence impose un minimum (Cass. crim., 3 octobre 1862, Chapuy : Bull. crim. 1862, II, p. 908).

La reprise de ces sépultures sera décidée par une délibération du conseil municipal qui charge le maire de son exécution. Elle s’opère par un arrêté du maire affiché aux portes de la mairie et du cimetière, et notifié aux membres connus de la famille. Si on ne connaît personne, on se contentera de l’affichage.

Cet arrêté précise :
- la date de la reprise effective ;
- le délai laissé aux familles pour récupérer les objets déposés sur la sépulture. 

Un tribunal administratif est venu réitérer ce formalisme souple, résidant essentiellement en la publication d’un arrêté publié en mairie sans avoir à rechercher la famille du défunt, fort logiquement d’ailleurs, puisque celle-ci ne bénéficie d’aucun droit sur le terrain, à expiration du délai de rotation (TA Montreuil, 27 mai 2011, nº 1012029, Mmes Françoise et Juliana R). C’est donc fort logiquement que le juge affirma ici : "Il résulte de ces dispositions qu’à l’issue des 5 années non renouvelables prévues par les dispositions citées aux points 2 et 3, en dehors des concessions funéraires, le maire peut, une fois le corps exhumé, procéder à sa crémation en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt. Toutefois, aucune disposition législative ou règlementaire ne lui impose d’en informer au préalable la famille."

"Il s’ensuit que la Ville de Paris n’était pas tenue de porter à la connaissance de M. B... les conditions de prise en charge du corps de sa mère une fois exhumé, avant qu’il ne soit procédé à sa crémation. La mairie de Paris est donc fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont retenu la responsabilité de la Ville pour n’avoir pas fourni une telle information." La lecture de l’arrêt commenté permet de constater qu’il fut procédé à des modalités d’information (information des familles, publication au bulletin municipal avant la Toussaint, en mairie d’arrondissement et au cimetière). Le jugement est donc invalidé sur ce point : la Ville n’a pas commis de faute.

II - Une seconde question restait alors en suspens

Peut-on crématiser les restes en présence d’une stèle comportant un symbole religieux ?
Opiner à cette position reviendrait à accepter qu’il existe une opposition présumée à la crémation dans ce cas. Or nous savons que l’art. L. 2223-4 du CGCT depuis 2011 dispose que : "Un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés. Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt. Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l’ossuaire."

Ce n’est qu’entre 2008 et 2011 qu’existait le terme "présumée" au deuxième alinéa, qui était alors rédigé ainsi : "Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue, attestée ou présumée du défunt."

Il faut se rappeler la genèse de cette formulation polémique et désormais disparue qui était inextricablement liée au débat relatif à la confrontation de la religion du défunt avec la laïcité comme principe. Il se focalisait sur la possibilité de concevoir que, par nature, la supposée appartenance du défunt à un culte empêchait la crémation de ses restes, obligeait à en distinguer les restes au sein de l’ossuaire, voire à prévoir des ossuaires confessionnels. Le rapport Gosselin du 30 janvier 2008 (n° 664, art. 18) expliquait alors :

Art. 18 (art. L. 2223-4 du CGCT) – Droit pour toute personne à s’opposer à la crémation de ses restes
Cet article consacre le droit, pour toute personne qui le souhaite, à ce que ses restes ne fassent jamais l’objet d’une crémation, même après l’expiration de la durée d’inhumation ou la reprise de la concession par la commune. "C’est pourquoi la mission d’information du Sénat sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire a proposé de "garantir le droit, pour toute personne qui le souhaite, que ses restes ne donnent jamais lieu à crémation, ce qui implique la création de deux ossuaires".

En effet, de nombreuses personnes peuvent être opposées à la crémation, éventuellement en raison de leurs convictions religieuses car la crémation n’est pas admise par les religions juive et musulmane. Ce problème avait d’ailleurs été soulevé en 2003 par la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, qui avait jugé souhaitable "que le ministère de l’Intérieur invite au respect des convictions religieuses, notamment à l’occasion de l’expiration des concessions funéraires" et estimé que "la récupération des concessions doit se faire dans des conditions respectueuses des exigences confessionnelles, avec un aménagement des ossuaires adapté". 

"L’alinéa 3 maintient la possibilité pour le maire de faire procéder à la crémation des restes exhumés, mais la soumet à l’absence d’opposition "connue ou attestée" du défunt à la crémation. La famille de défunt pourra ainsi exiger que les restes soient inhumés dans l’ossuaire sans avoir été incinérés. Toutefois, on peut également concevoir que l’inhumation d’une personne dans un carré confessionnel juif ou musulman ou encore la présence de symboles de l’une de ces religions sur sa pierre tombale atteste tacitement de l’opposition du défunt à la crémation."

Ces dispositions ne furent pas modifiées au cours de la navette parlementaire, et ainsi, l’art. L. 22223-4 du CGCT ne fut pas modifié. En effet, lors du rapport de la commission des lois préalable à l’adoption du texte en seconde lecture par l’Assemblée nationale, voici la teneur de l’art. 18 :
"Art. 18 (art. L. 2223-4 du CGCT) – Droit pour toute personne de s’opposer à la crémation de ses restes. Le texte adopté par le Sénat en première lecture réécrivait l’art. L. 2223-4 du CGCT, afin de ne permettre au maire de faire procéder à la crémation des restes exhumés qu’en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt et d’exiger en conséquence que les restes des personnes ayant manifesté leur opposition à la crémation fussent distingués au sein de l’ossuaire.

Sur proposition de sa commission des lois et avec l’accord du Gouvernement, l’Assemblée nationale a précisé que le maire ne pourrait faire procéder à la crémation des restes exhumés en cas d’opposition "présumée" du défunt. Selon M  Philippe Gosselin, rapporteur : "On peut également concevoir que l’inhumation d’une personne dans un carré confessionnel juif ou musulman ou encore la présence de symboles de l’une de ces religions sur sa pierre tombale atteste tacitement de l’opposition du défunt à la crémation. Votre commission vous propose d’adopter l’art. 18 sans modification."

Si nous reproduisons ces extraits, c’est bien pour montrer que, dans l’esprit du législateur, il s’agissait bien de lier symbole religieux sur la sépulture et interdiction de crémation, à l’instar du problème posé au juge administratif en l’espèce. Ce terme "opposition présumée" signifiait bien que la religion supposée ou avérée du défunt empêchait la crémation de ses restes. On pouvait d’ailleurs avec malice arguer qu’un catholique décédé avant le concile Vatican II devait bénéficier de la même présomption. Ainsi, il ne demeure plus que l’opposition connue (il existe des traces de volonté de la personne décédée) ou des oppositions attestées (des oppositions se font jour à la crémation avant celle-ci), mais en aucun cas la commune ne doit présumer cette opposition en conjecturant sur la pieuseté du défunt.

C’est là tout l’intérêt de l’arrêt lorsque le juge affirme : "M. B... soutient que la présence d’une étoile de David sur le cercueil de sa mère faisait obstacle à ce qu’il soit procédé à la crémation du corps. Toutefois, cette circonstance n’était pas, à elle seule, de nature à établir que Mme A... y était opposée. Par suite, la Ville de Paris, en l’absence d’opposition connue ou attestée de la défunte, n’a pas méconnu les dispositions de l’art. L. 2223-4 du CGCT, citées au point 2, en procédant à la crémation de son corps et n’a donc commis aucune faute à ce titre."
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon - Chargé de cours à l’université de Valenciennes

 Résonance n° 199 - Janvier 2024

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