
Présentation de la problématique
En effet, si un crématorium (ce n’est qu’un exemple, ce serait aussi le cas pour une chambre funéraire) peut être géré par le biais d’une Délégation de Service Public (DSP), et si le délégataire va devoir le plus souvent édifier cet équipement, l’art. L. 2223-40 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose expressément que le crématorium (par là même son site cinéraire contigu s’il en existe un) est un bien de retour, c’est-à-dire un bien que le délégataire finance et réalise pour les nécessités du service public dont il a accepté l’exécution.
Pour les autres équipements gérés par un délégataire du service extérieur des pompes funèbres, il en ira à l’identique, même si pour eux il n’existe pas de qualification explicite de biens de retour dans le CGCT. Le bien va donc appartenir à l’Administration dès sa réalisation et son entrée en fonction (cf. infra). Les conséquences sont nombreuses.
Par exemple, le Tribunal des conflits a rappelé que la compétence du juge judiciaire ne pouvait être retenue pour un contrat passé entre 2 personnes privées quant à une occupation du domaine public, dont l’une était délégataire d’un service public (TC, 14 mai 2012, Gilles c/ SESE et Ville de Paris, n° 3896 ; AJDA 2012, note R. Grand, n° 19, 4 juin 2012, p. 1031).
La nature contractuelle du lien unissant l’exploitant au titulaire de la case ne peut donc que relever du juge administratif. D’ailleurs, c’est l’explication du régime juridique des columbariums contigus aux crématoriums, dont les contrats d’occupation des cases doivent être assimilés à ceux des concessions funéraires en dépit de la position erronée de l’Administration au travers de ses guides et circulaires.
La DSP et le bien de retour
L’art. L. 1121-3 du Code de la Commande Publique (CCP) nous explique que : "La DSP mentionnée à l’art. L. 1411-1 du CGCT est une concession de services ayant pour objet un service public et conclue par une collectivité territoriale, un établissement public local, un de leurs groupements, ou plusieurs de ces personnes morales." Ainsi, la DSP est le nom de la concession de service public pour les collectivités territoriales et leurs groupements. Enfin, ces mêmes dispositions prennent soin de préciser que : "Le concessionnaire peut être chargé de construire un ouvrage ou d’acquérir des biens nécessaires au service."
Dans un tel contrat de DSP, il existe alors un régime spécifique des biens immobiliers, qui doivent alors être distingués en plusieurs catégories (art. L. 3132-4 du CCP) :
- Les biens de retour, qui sont : "Les biens, meubles ou immeubles, qui résultent d’investissements du concessionnaire et sont nécessaires au fonctionnement du service public, sont les biens de retour. Dans le silence du contrat, ils sont et demeurent la propriété de la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition" ;
- Les biens de reprise, qui sont : "Les biens, meubles ou immeubles, qui ne sont pas remis au concessionnaire par l’autorité concédante de droit public et qui ne sont pas indispensables au fonctionnement du service public sont les biens de reprise. Ils sont la propriété du concessionnaire, sauf stipulation contraire prévue par le contrat de concession" ;
- Les biens propres, qui sont : "Les biens qui ne sont ni des biens de retour, ni des biens de reprise, sont des biens propres. Ils sont et demeurent la propriété du concessionnaire."
Il faut alors remarquer que, pour le juge, cette notion n’est pas soumise à la volonté des parties. Autrement dit, ce ne sont pas les parties qui décident librement de qualifier ainsi ces biens par le contrat. Le juge pourra toujours les requalifier dès lors que ces biens sont nécessaires au fonctionnement du service public (CE, ass., 21 décembre 2012, n° 342788, Cne Douai). Le juge estime même que sont englobés dans cette catégorie les biens qui ont été nécessaires au fonctionnement du service concédé à un moment quelconque de l’exécution de la convention (CE, 26 février 2016, n° 384424, Synd. mixte de chauffage urbain de la Défense).
L’origine de propriété des biens de retour
1 - Biens mis à disposition par la collectivité
Naturellement, il peut exister des cas d’affermage, c’est-à-dire le cas où le délégataire du service public se voit remettre pour l’exploitation de celui-ci, par l’Administration, les biens nécessaires. Ils seront restitués à celle-ci à la fin du contrat ; on devrait alors prévoir au contrat des clauses, afin de s’assurer qu’ils soient restitués en bon état. Ces biens ne cessent jamais d’appartenir à l’Administration et ils devraient même être soumis à redevance d’occupation. Par exemple, un crématorium géré en régie, ou issu d’une ancienne DSP arrivée à son terme, et confiée par un nouveau contrat à un nouvel exploitant, voire au même exploitant que celui qui s’était vu attribuer un premier contrat et qui a remporté l’appel d’offres pour une nouvelle DSP.
2 - Bien réalisés ou financés par le délégataire
Il peut tout d’abord s’agir de biens acquis par le concessionnaire antérieurement à la conclusion de la concession. Le juge accepte qu’il en soit ainsi dès lors que le contrat les affecte explicitement au fonctionnement du service public (CE, sect., 29 juin 2018, n° 402251, min. Intérieur c/ Communauté de cnes Vallée de l’Ubaye). À la fin du contrat, ils appartiendront néanmoins à la personne publique délégante.
a) Les biens de retour peuvent alors avoir été réalisés sur le terrain d’une personne publique
Dans cette hypothèse, le bien étant affecté au service public et aménagé pour le permettre, il appartient indubitablement au domaine public de la collectivité concédant. Ainsi, un crématorium construit par un délégataire sur un terrain public appartiendra au domaine public de la personne publique dès son entrée en fonction.
b) Les biens de retour peuvent avoir été réalisés sur le terrain d’une personne privée à l’occasion du contrat
C’est ce cas de figure qui doit particulièrement attirer l’attention. Le principe est bien qu’ils appartiennent dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique (Cne Douai, précité) sans attendre la fin du contrat de concession (CE, 28 nov. 1984, min. Budget c/ Sté des autoroutes du Sud de la France : Lebon T., p. 563). Pendant la durée de la convention de délégation, le délégataire bénéficie alors d’un droit exclusif de jouissance de ces biens (CE, 25 mai 1906, min. Commerce c/ Cie des Chemins de fer d’Orléans : S. 1908, III, p. 65, M. Hauriou).
Le contrat peut également prévoir que le concessionnaire disposera d’un droit de propriété sur l’ouvrage pendant la durée du contrat : "Sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de délégation, de ces ouvrages" (Cne Douai, précité). Néanmoins, à la fin de ce contrat, ils feront "retour" gratuitement à la collectivité. Ce terme de "retour" est ambigu, car le bien n’a jamais appartenu avant la fin du contrat à la personne publique. Si nous gardons notre exemple de crématorium, il s’agirait du cas où le délégataire a fait construire sur un terrain lui appartenant cette installation. Celle-ci fera retour à la personne publique dés le terme du contrat de DSP.
Biens de retour et fin du contrat
L’art. L. 3132-5 du CCP prend soin de préciser qu’en fin de contrat le bien de retour, dès lors qu’il a été amorti au cours de son exécution, fait retour gratuitement dans le patrimoine de la collectivité. Il ne saurait exister de droit à indemnité au profit du cocontractant privé. Par exemption, en cas de résiliation unilatérale du contrat avant son terme (il ne faut pas oublier que le droit à la résiliation unilatérale est un principe général du droit des contrats administratifs), l’art. L. 3136-10 du CCP pose les principes suivants.
Lorsque la personne publique concédante résilie avant son terme normal le contrat de concession de travaux ou le contrat concédant un service public, le concessionnaire a droit à l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour anticipé des biens, à titre gratuit, dans le patrimoine de la personne publique s’ils n’ont pas été totalement amortis, dans les conditions suivantes :
1° Lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, l’indemnité à laquelle peut prétendre le concessionnaire est égale à la valeur nette comptable des biens ;
2° Lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation supérieure à la durée du contrat, l’indemnité à laquelle peut prétendre le concessionnaire est égale à la valeur nette comptable des biens telle qu’elle résulterait de leur amortissement sur la durée du contrat. L’indemnité à la charge de la personne publique ne saurait excéder le montant calculé au titre des alinéas précédents.
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon - Chargé de cours à l’université de Lille
Résonance n° 210 - Décembre 2024
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