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BERTEAU Delphine 2024 1L’entrée en vigueur, le 26 avril 2023, de l’Accord franco-belge sur le transport de corps était porteur de promesses de simplification procédurale pour les familles des défunts transfrontaliers. Après un an et demi de pratique, le bilan s’avère mitigé. Si le laissez-passer mortuaire spécifique peut s’analyser comme une avancée, l’assouplissement de l’obligation d’utilisation d’un cercueil hermétique est appelé à ne produire que peu, voire pas d’effets.
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Garnesson Mathieu 1Adopté sur le fondement de l’art. 2 de l’Accord sur le transfert des corps des personnes décédées, signé à Strasbourg le 26 octobre 1973, l’Accord entre la France et la Belgique en matière de transfert de corps par voie terrestre de personnes décédées, signé à Paris le 9 mars 2020 vise à "simplifier les modalités de transferts de corps des personnes décédées par voie terrestre entre les deux États".

Cet Accord apporte essentiellement deux dérogations à l’Accord de Strasbourg : 

• D’une part, l’utilisation d’un laissez-passer mortuaire spécifique transfrontalier Belgique-France (intitulé LPM/BF) délivré sur la base de l’acte de décès et du certificat de non-contagiosité (point nº 3 de l’art. 2 de l’Accord de Paris) ; 
• D’autre part, la possibilité faite d’utiliser un cercueil simple, lorsqu’il est prévu que l’arrivée des corps des personnes décédées au lieu d’inhumation ou de crémation peut s’effectuer dans un délai de 72 heures (points nos 1 et 6 de l’art. 2 de l’Accord de Paris). 

I - Des dérogations fondées sur des considérations tant juridiques que pratiques
 
a) La première série de considérations concerne la conformité de ces instruments de droit international au droit de l’Union européenne, et, particulièrement, le principe de liberté de circulation et de séjour consacré dans les traités européens et la Charte européenne des droits fondamentaux. 

D’une part, en 2002, plusieurs députés européens ont porté les difficultés des barrières administratives au transport de défunts entre États membres de l’Union à la Commission européenne (questions écrites nos E-0073/02, E-0087/02, E-210-02, E-334/02, E-0679/02, E-0923/02, E-0935/02, E-1122/02 et E-1133/02). 

Le Parlement européen a également adopté une résolution du 4 décembre 2003, sur l’adoption de mesures concernant le rapatriement de la dépouille des personnes décédées (2003/2032(INI)) (d’ailleurs visée par l’Accord de Paris).

Aux termes de cette résolution, le Parlement européen : "rappelle que la liberté de circulation et de séjour est un droit fondamental dans l’Union européenne" (point 1.) et "estime que le rapatriement de la dépouille sans frais et démarches administratives excessifs en cas de décès d’un ressortissant communautaire dans un pays autre que celui où doit avoir lieu soit l’inhumation, soit l’incinération, peut être considéré comme un corollaire de ce droit dont dispose chaque citoyen européen de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres" (point 2.).
 
Du reste, le Parlement met en doute la conformité de l’Accord de Strasbourg au regard de cette liberté fondamentale (point 3.) et invite la Commission européenne à vérifier "la compatibilité de cet instrument de droit international avec le droit communautaire, et à prendre, le cas échéant, les mesures nécessaires pour assurer le respect de ce dernier" (point. 4.). 

Consultée à ce sujet, la Commission a rappelé que la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne réglait la question et ne nécessitait pas davantage d’action, comme elle l’avait fait dans ses réponses aux questions écrites susmentionnées.
 
b) La seconde série de considérations concerne des questions d’ordre public. En effet, l’obligation du cercueil hermétique dans le cadre d’un transport international est justifiée sur des considérations de salubrité publique (point 26 du rapport explicatif de l’Accord de Strasbourg). 

Réciproquement, l’assouplissement que constitue l’Accord de Paris est pris sur le fondement de l’art. 2 de l’Accord de Strasbourg, prévoyant que de tels assouplissements sont justifiés "lorsque le transport dans des régions frontalières peut, de ce fait, être effectué plus rapidement et sans risques pour la santé publique" (point 13 du même rapport explicatif).
 
Il est aisément explicable : l’innovation technologique – véhicules de transports funéraires motorisés et réfrigérés, développement d’un réseau de chambres funéraires, soins de conservation, etc. – a permis la maîtrise des risques sanitaires liés à la présence des défunts, parmi les vivants. 

II - Des dérogations dépourvues d’utilité opérationnelle 

Les stipulations du point nº 6 de l’art. 2 de l’Accord de Paris, qui permettent un transport en cercueil simple lorsque les obsèques peuvent être organisées dans un délai de 72 heures du décès à l’inhumation ou à la crémation ne présentent aucune utilité opérationnelle et, en conséquence, ne réalisent aucun des objectifs qu’elles poursuivent, ce qui s’avère source de difficultés pour les opérateurs funéraires et les familles qu’ils accompagnent. 

a) En effet, ce délai est trop court. Il existe peu - ou plus - de situations où les demandes d’une famille permettent à l’opérateur funéraire de réaliser les obsèques complètes en 72 heures.
 
Les raisons en sont connues : elles ont conduit à l’adoption du décret nº  2024-790 du 10 juillet 2024 portant mesures de simplification administrative dans le domaine funéraire, dont la notice indique qu’il vise à "remédier à l’augmentation croissante des demandes de dérogation à ces délais (de 6 jours), déposées auprès des préfectures, fondées tant sur des causes conjoncturelles, comme des épisodes de surmortalité constatés à certaines périodes, que sur des causes structurelles, telles que l’accroissements des demandes de crémation auxquelles les crématoriums ne peuvent pas toujours faire face".

Alors que ces raisons, et l’absence de problématiques liées à la salubrité publique, ont abouti à l’extension des délais pendant lesquels un défunt peut rester en cercueil simple dans la législation nationale, cette logique ne s’est pas appliquée dans le cadre intracommunautaire, pourtant mû par l’esprit de liberté de circulation. 

Une fenêtre d’interprétation existait, dès lors que l’Accord de Paris ne désigne pas le point de départ du délai de 72 heures. Une interprétation visant à faire courir ce délai à partir du départ du lieu de décès ou de dépôt du corps, tenu notamment par la commune belge de Mouscron, résolvait tous les problèmes.

Toutefois, le Service Public Fédéral de Belgique a harmonisé son interprétation de l’Accord, en décidant qu’il fallait entendre ses stipulations comme faisant partir le délai au moment du décès de la personne, comme ça a toujours été le cas en France et ailleurs en Belgique. 

b) Cette situation, qui neutralise complètement l’effet utile de cette stipulation renvoie les situations de transports funéraires transfrontaliers à la situation antérieure à l’Accord de Paris, avec les deux séries de difficultés que cela comporte : 
• Pour les familles, elles assument un surcoût supplémentaire lié à la nécessité d’utiliser un cercueil hermétique et, dans le cas d’une crémation, un transfert de cercueil ; 
• Pour l’opérateur funéraire, le transfert de cercueil, bien que rendu possible par la loi nº 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, n’est jamais une situation satisfaisante. Elle pose, eu égard à l’état du corps, des inconvénients en termes de sécurité et de santé des travailleurs. 

Cette différenciation, outre le fait qu’elle met des citoyens européens dans une situation inégale sans considérations de santé publique tenable, est difficilement compréhensible pour les familles. L’on ne saurait justifier le fondement sur lequel un transport funéraire est plus coûteux entre Mouscron et Tourcoing (3 km) qu’entre Marseille et Tourcoing (1 000 km), cependant que les vivants ne souffrent pas de ce traitement différencié. 

III - Des évolutions souhaitables  

Pour donner son plein effet aux objectifs portés à la fois par le Conseil de l’Europe et par le Parlement européen d’une meilleure prise en charge des obsèques transfrontalières, vues comme le corollaire de la liberté de circulation des personnes au sein de l’espace intracommunautaire, plusieurs solutions sont envisageables. 

a) Une première solution reviendrait à modifier l’Accord de Paris. Une telle modification est la solution la plus efficace, mais de loin la plus contraignante. Elle suppose un travail entre le Gouvernement français, le Gouvernement belge et celui des composantes fédérées.

La modification pourrait être réalisée alternativement de deux manières :
- La première serait de permettre le transport avant mise en bière dans un délai de 48 heures, comme c’est aujourd’hui le cas en France. Pour ambitieuse qu’elle puisse paraître, elle ne pose en réalité pas de difficultés pratiques dans le cas d’une situation transfrontalière. Elle paraît peu réaliste, compte tenu du fait qu’elle n’existe nulle part ailleurs. 
- La seconde serait de permettre le transport en cercueil simple dans un délai de 72 heures dans des conditions plus souples. D’une part, le point d’arrivée pourrait être modifié, pour lui préférer l’arrivée sur le territoire de l’autre État membre, plutôt que le lieu de destination finale (lieu d’inhumation ou de crémation). D’autre part, le point de départ pourrait être modifié, pour lui préférer le départ du lieu de dépôt, plutôt que le moment du décès. 

b) Une deuxième solution consisterait à revenir sur l’interprétation de l’Accord de Paris. Il s’agirait de se fonder à nouveau sur l’indétermination du point de départ du délai de 72 heures pour décider qu’il peut s’agir du départ du lieu de dépôt du corps, ce qui permettrait de résoudre les problèmes susmentionnés. Cette solution bénéficie de l’absence d’inconvénient pratique qu’elle a démontré, lorsque cette interprétation était convenue par certaines communes belges. Elle permet, en outre, de s’épargner un travail diplomatique de longue haleine. 

c) Une troisième solution serait de permettre explicitement l’utilisation des housses hermétiques. Les housses hermétiques permettent de résoudre les problèmes susmentionnés, dès lors qu’il est possible de les crématiser. Les principes de liberté de circulation des marchandises et de reconnaissance mutuelle devraient normalement permettre l’utilisation de ces housses, même lorsqu’elles ne sont pas agréées par l’État membre dans lequel elles sont utilisées.

Mais ces principes se heurtent encore souvent, dans la pratique, à des refus de la part d’autorités publiques. Une doctrine administrative partagée par la France et la Belgique sur ce sujet, serait une véritable avancée, permettant de lisser un irritant identifié en attendant une solution mieux assise juridiquement. 
 
Service juridique de la FNF

Résonance n° 210 - Décembre 2024

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