
Conseil constitutionnel, 31 octobre 2024, n° 2024-1110 QPC
Crémation des restes repris des terrains communs : obligation d’information des tiers
Nous avions déjà commenté l’arrêt de la CAA (CAA de Paris 5 décembre 2023, n° 22PA02945) et signalé la saisine du Conseil constitutionnel par le Conseil d’État par la voie de la Question Prioritaire de Constitutionnalité – QPC (CE 30 juillet 2024, n° 492642) dans de précédentes éditions de Résonance. En dépit de plusieurs (3) commentaires dans le précédent Résonance de novembre dernier, il nous est paru utile d’apporter un éclairage un peu différent sur cette décision, sans pour autant revenir sur ce qui a été déjà dit…
On le sait, le point commun des procédures de reprise, tant en terrain commun que dans le cas des concessions funéraires, était que, jusqu’à l’intervention de cette décision, le maire pouvait alors, selon son choix, soit faire réinhumer les restes mortels dans un ossuaire, ou bien faire procéder à leur crémation, sauf en cas d’opposition connue ou attestée à cette opération (art. L. 2223-4 du Code Général des Collectivités Territoriales – CGCT).
Désormais, le Conseil constitutionnel estime que :
"8. Toutefois, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne prévoient, dans le cas où le défunt est inhumé en terrain commun, d’obligation pour le maire d’informer les tiers susceptibles de faire connaître son opposition à la crémation.
9. En l’absence d’une telle obligation d’information, les dispositions contestées ne permettent pas de garantir que la volonté attestée ou connue du défunt est effectivement prise en compte avant qu’il soit procédé à la crémation de ses restes. Elles méconnaissent ainsi le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
10. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, ces dispositions doivent être déclarées contraires à la Constitution."
Il décide alors d’instaurer un régime transitoire de publicité, le temps que le Gouvernement, auquel il fixe une date butoir (le 31 décembre 2025), modifie cet article : "En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, le maire doit informer par tout moyen utile les tiers susceptibles de faire connaître la volonté du défunt du fait qu’il envisage de faire procéder à la crémation des restes exhumés à la suite de la reprise d’une sépulture en terrain commun."
Certes, le Conseil ne fait qu’évoquer le terrain commun, mais est-il déraisonnable de penser que cette même obligation d’information s’imposera au cas des concessions reprises ?
Crémation des restes repris des concessions funéraires : obligation d’information (bis)
Il faut relever deux points : Il est patent que l’art. L. 2223-4 du CGCT ne se trouve pas dans la sous-section "Concession", mais il se trouve dans la sous-section "Dispositions générales" de la section "Cmetière" du CGCT. Il a donc vocation à s’appliquer à ces deux modalités d’inhumation. De surcroît, on a du mal à concevoir que le "principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine", invoqué par le Conseil constitutionnel pour invalider ces dispositions, diffère en raison du mode de sépulture retenu.
Enfonçons le clou : il nous paraît impossible de soutenir que crématiser les restes repris d’un terrain commun sans en avertir les tiers constitue une atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, alors que la même reprise, dans le cadre d’une concession funéraire, sans organiser une publicité vis-à-vis des tiers, ne le soit pas.
Il nous semble donc que la portée de cette décision englobe également les concessions funéraires. Ainsi, les communes qui, souvent pour des raisons pratiques, empruntent la voie de la crémation doivent, nous en sommes persuadés, systématiquement organiser une publicité de ces reprises en invitant les tiers qui seraient ou se penseraient dépositaires de la volonté du défunt de ne pas être crématisé, à se manifester.
Évidemment, s’agissant de concessions funéraires, les familles, déjà destinataires de notifications dans le cadre de la procédure de reprise en état d’abandon ou dans le cas d’échéance des concessions, devront être averties spécifiquement en sus de cette information générale. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que, dans l’affaire objet de la QPC, le requérant est bien le fils de la défunte, c’est-à-dire pas un tiers au sens où on l’en entend usuellement.
Il appartiendra à chaque commune qui envisage des reprises au cours de l’année 2025 de revoir ses procédures et de modifier en conséquence, dans l’attente de la nouvelle mouture des dispositions de l’art. L. 2223-4 du CGCT attendue, ses processus, en donnant à la phrase du Conseil, selon laquelle : "Le maire doit informer par tout moyen utile les tiers susceptibles de faire connaître la volonté du défunt du fait qu’il envisage de faire procéder à la crémation des restes exhumés à la suite de la reprise d’une sépulture en terrain commun", tout son sens.
In fine, il se posera alors la lancinante question de la vérification de cette opposition par les services communaux, ou bien par le juge…
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon - Chargé de cours à l’université de Lille
Résonance n° 210 - Décembre 2024
Résonance n° 210 - Décembre 2024
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :