Il est toujours tentant pour une commune de vouloir réglementer l’esthétique dans l’espace public ; le cimetière et ses équipements n’échappent pas à cette tentation récurrente des collectivités. Voici donc un utile rappel de cette impossibilité par le juge administratif.
Tribunal administratif de Versailles, 23 mai 2025, n° 2205359
Le requérant voulait poser sur un caveau d’urne (souvent dénommé par le néologisme de "cavurne") une plaque de fermeture différente des autres cavurnes du cimetière communal. Le maire rejeta implicitement (par son silence gardé) cette demande. Le requérant fait annuler ce refus.
Certes, on peut comprendre le souci de la recherche d’une certaine harmonie en uniformisant l’aspect visuel des sépultures, mais il ne faut pas oublier que l’esthétique n’est pas un but de police.
L’esthétique n’est pas un but de police administrative générale
L’art. L. 2212-2 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) confie au maire la police administrative générale, c’est-à-dire la police de la sécurité, de la salubrité, de la tranquillité publiques, ainsi que de l’ordre public. L’art. L. 2213-9 CGCT évoque quant à lui, en matière funéraire, une police spéciale conférée au maire afin de faire respecter dans le cimetière l’hygiène, la décence, la neutralité.
Le maire, à travers le règlement du cimetière, fera donc respecter ces différentes prescriptions. Notons que, par l’arrêt Cauchoix, le juge administratif a procédé à une extension des pouvoirs de police du cimetière du maire au détriment de la compétence du conseil municipal en matière de gestion de cette parcelle du domaine public (CE, 20 février 1946, Cauchoix, Rec. CE, p. 53).
Le maire dispose ainsi d’un pouvoir de police sur le cimetière. Ce pouvoir se verra (ou non) matérialisé par la rédaction d’un règlement de cimetière qui délimitera les droits et les devoirs de chacun dans ce lieu. Juridiquement, ce règlement sera un arrêté de police soumis au contrôle du juge administratif. Or, qui dit mesures de police administrative dit nécessairement contrôle du juge administratif.
Ce contrôle est guidé traditionnellement par certains principes, dont le premier est que les pouvoirs de police doivent poursuivre des buts de police. Cela signifie que le règlement ou les décisions du maire doivent intervenir seulement pour faire respecter des prescriptions touchant aux pouvoirs conférés par le CGCT. Autrement exprimé, toute mesure ne peut être prescrite que si la sécurité, la salubrité, la tranquillité ou le bon ordre sont concernés en matière funéraire. Indubitablement, l’esthétique ne fait pas partie de cette liste de buts de police. Il est donc impossible que le maire la réglemente dans le cimetière.
La liberté reconnue au concessionnaire en matière d’aménagement et de construction
Cette impossibilité de prescrire des mesures d’ordre esthétique s’accompagne en parallèle des très larges prérogatives que le juge a conférées aux concessionnaires de sépultures. L’art. L. 2223-12 du CGCT reconnaît au titulaire d’une concession funéraire le droit de construire des monuments et des caveaux. Il est aussi possible d’installer une clôture autour d’une concession (CE 1er juillet 1925, Bernon : Rec. CE, p. 627), voire d’y effectuer des plantations (CE 23 décembre 1921, Auvray-Rocher : Rec. CE, p. 1092).
Dans cette hypothèse, le maire pourra néanmoins interdire certaines essences ou en limiter la hauteur (CE 7 janvier 1953, de Saint-Mathurin : Rec. CE, p. 3) à la condition que ces interdictions soient motivées par les buts poursuivis par ses pouvoirs de police. Donc, enfonçons le clou : depuis longtemps, le juge interdit de faire de l’esthétique le fondement d’une décision du maire pour ce qui relève du cimetière (CE 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de Haute-Garonne).
Cette solution est d’ailleurs étendue aux contrats portant occupation des cases de columbarium (TA Lille 30 mars 1999, Mme Tillieu c/ Commune de Mons-en-Barœul : LPA 2 juin 1999, note Dutrieux). L’absolu du droit de construction s’impose si bien qu’il est possible de faire construire un caveau dans une zone où les inhumations se font en pleine terre (CE 8 novembre 1993, Établissements Sentilles c/ Commune de Sère-Rustaing : Rec. CE, tables, p. 657).
Néanmoins, et sans aller jusqu’à reconnaître un pouvoir esthétique sur les constructions, la loi du 19 novembre 2008 est venue créer un nouvel art. L. 2213-12-1 du CGCT, qui dispose que : "Le maire peut fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses." Si cet article se trouve dans la partie générale que le CGCT a consacrée au cimetière, et qu’ainsi on pourra objecter qu’il ne concerne que les monuments érigés sur des terrains communs, ce serait méconnaître que le juge a toujours appliqué les mesures relevant de cette partie du Code aux concessions funéraires. Il convient de noter que ce nouvel article consacre (paradoxalement) législativement la possibilité de construction sur les emplacements en terrain commun.
C’est au nom de ce double principe du refus d’utiliser les pouvoirs de police pour des préoccupations esthétiques et de la liberté reconnue au concessionnaire en matière de construction que le juge peut alors logiquement affirmer en l’espèce : 3. À l’exception des dispositions de l’art. L. 2223-12-1 du CGCT qui autorisent le maire à limiter les dimensions des monuments érigés sur les fosses, il ne résulte ni des dispositions précitées, ni d’aucune autre disposition législative ou réglementaire, que le maire dispose du pouvoir de police de l’esthétique des cimetières l’autorisant à réglementer les monuments ou ornements que peuvent faire placer sur les cavurnes les personnes qui sollicitent l’octroi d’une concession ou en sont déjà titulaires, sous réserve du maintien du bon ordre et de la décence de ces lieux.
Dans ces conditions, en rejetant la demande de la requérante tendant à l’octroi d’une concession d’un cavurne non soumis à l’obligation d’installer une plaque funéraire identique à celles ornant les cavurnes du cimetière communal, le maire de G… a excédé ses pouvoirs de police des cimetières et a, par suite, méconnu les dispositions des articles L. 2223-12 et L. 2223-13 du CGCT."
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Lille
Résonance n° 216 - Juin 2025
Résonance n° 216 - Juin 2025
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