La décennie 2000 a constitué le début de la montée en puissance de la crémation en France. Historiquement le fait de militants engagés, la société civile s’est progressivement approprié ce mode de sépulture, réintroduit en France en 1889 avec la mise en service du crématorium du Père-Lachaise, après que le législateur a institué en 1887 la liberté des funérailles.
Le recours massif à la crémation dans la décennie 2000 a conduit le législateur en 2008 à réformer le régime juridique applicable aux cendres, en procédant à un quasi-alignement de la nature d’une urne sur celle d’un cercueil et, par conséquent, de son régime juridique. Il est cependant à souligner une différence notable entre urnes et cercueils : les cendres sont par nature inertes sur le plan biologique. Les urnes bénéficient donc, dans certaines situations, d’une légère souplesse, ces dernières n’exigeant pas la même rigueur sur le terrain de la salubrité publique.
La loi du 19 décembre 2008 : l’instauration d’une nature juridique commune aux corps et aux cendres
Dans un chapitre III intitulé "Du statut et de la destination des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation", la loi du 19 décembre 2008 a créé et modifié diverses dispositions :
- Création d’un art. 16-1-1 dans le Code civil dont l’alinéa 2 dispose que "les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence".
- Modification de l’alinéa 2 de l’art. 225-17 du Code pénal avec l’ajout des urnes cinéraires : "La violation ou la profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux, de sépultures, d’urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende."
- Création de l’art. L. 2223-18-2 dans le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) interdisant la division des cendres, jusqu’alors couramment pratiquée, par l’emploi de l’expression "en leur totalité", introduisant la liste limitative des destinations possibles qui peuvent être données aux cendres.
Par la suite, le décret du 28 janvier 2011 et de multiples réponses ministérielles ont rappelé que les dispositions applicables aux inhumations et aux exhumations de cercueils s’appliquaient de façon identique aux urnes, de même s’agissant du scellement et du descellement d’une urne, qui relèvent respectivement du droit des inhumations et du droit des exhumations.
Ainsi, l’inhumation d’une urne doit être autorisée par le maire (art. R. 2213-39 du CGCT). De même, l’exhumation d’une urne doit être demandée au maire par le plus proche parent du défunt (art. R. 2223-23-3 et R. 2213-40).
Cette identité de nature et de régime juridiques caractérisant les cercueils et les urnes trouve néanmoins sa limite dans le fait que les exigences de protection de la salubrité publique ne sont pas les mêmes. Ainsi, quelques exceptions sont à relever.
Les exceptions cinéraires
• Le transport de l’urne
Ainsi que le rappelle la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) : "Pour le transport de l’urne à l’intérieur du territoire métropolitain, les dispositions du CGCT n’imposent pas de formalité obligatoire. Dès lors que l’urne est remise à la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, et en l’absence de risques sanitaires particuliers, il n’y a pas lieu d’imposer l’utilisation d’un véhicule funéraire pour le transport", et "le transport peut avoir lieu sans recours aux opérateurs funéraires".
Cependant, "quel que soit le mode d’acheminement choisi (voie routière, maritime, aérienne ou ferroviaire), les cendres – et donc l’urne dans le cas présent – doivent être traitées avec respect, dignité et décence (art. 16-1-1 du Code civil)".
• Responsabilité exclusive de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles quant à la destination des cendres
Contrairement au cercueil, l’absence de risque sanitaire permet qu’il n’existe aucun mécanisme juridique de nature à contrôler le respect effectif des règles relatives à la destination des cendres. Ainsi que le rappelle la DGCL dans son guide de recommandation relatif aux urnes funéraires et aux sites cinéraires : "Le gestionnaire du crématorium ou le ministre du culte, voire l’opérateur funéraire, n’est pas responsable de la destination effective des cendres dès lors qu’il les a remises à la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles."
Ce transfert de responsabilité ne sera cependant pleinement effectif qu’à la condition que soit transmise, au préalable, une parfaite information à la famille des règles relatives à la destination des cendres.
• Dispersion des cendres en pleine nature par la famille du défunt
Soumise à aucune formalité préalable mais à une simple déclaration auprès du maire de la commune de naissance (art. L. 2223-18-3 du CGCT), la dispersion des cendres en pleine nature "ne nécessite pas l’intervention d’un opérateur funéraire, la famille pouvant procéder à cette dispersion" (QE n° 05054, JO Sénat, 30/03/2023, p. 2189).
• Impossibilité d’exiger un renouvellement anticipé de concession pour une inhumation
Une circulaire du ministre de l’Intérieur datée du 1er mai 1928, mais dont l’opposabilité juridique est incertaine, préconise de conditionner l’inhumation d’un corps lorsque la forclusion de la concession a vocation à intervenir dans un délai inférieur à 5 ans à compter de l’inhumation, à un renouvellement anticipé de la concession.
En effet, dans l’hypothèse où la concession ne sera pas renouvelée, la collectivité gestionnaire du cimetière ne pourra pas reprendre immédiatement la concession forclose eu égard aux dispositions de l’art. R. 2213-42 du CGCT : "Lorsque le cercueil est trouvé en bon état de conservation au moment de l’exhumation, il ne peut être ouvert que s’il s’est écoulé 5 ans depuis le décès."
Cette possibilité offerte aux gestionnaires de cimetière, quoique appliquée de façon très inégale selon les collectivités, a été rappelée dans une réponse ministérielle datée du 7 février 2017 (QE n° 99572, JO Sénat, p. 1002).
Mais cette règle a-t-elle vocation à s’appliquer s’agissant de l’inhumation d’une urne ? La question est régulièrement posée, et force est de constater que de nombreux gestionnaires de cimetières y ont recours en pareilles circonstances, faisant ainsi une application absolue du principe d’égalité de nature et de régime juridiques des urnes et des cercueils.
Or, de toute évidence, une certaine souplesse dans l’application de ce principe s’impose. En effet, rappelons que la circulaire en cause a été prise en 1928 et que son opposabilité juridique est relativement discutable. En outre, à cette époque, il n’existait que 6 crématoriums en France, la crémation demeurait très marginale et les sites cinéraires anecdotiques.
Enfin, la réglementation funéraire n’impose aucun délai pour exhumer les urnes, de sorte qu’une urne inhumée moins de 5 ans avant la forclusion de la concession pourra parfaitement être exhumée dans le cadre de la reprise de la concession dès le lendemain de la forclusion. Il apparaît donc qu’imposer un renouvellement anticipé de la concession en pareilles circonstances serait illégal.
• La pratique d’une exhumation d’urne à toute heure
L’alinéa 1er de l’art. R. 2213-42 du CGCT dispose que : "Les exhumations sont réalisées soit en dehors des heures d’ouverture du cimetière au public, soit durant ces heures d’ouverture, dans une partie du cimetière fermée au public."
Aux termes de l’art. R. 2223-23-3, al. 1, du CGCT : "L’autorisation de retirer une urne d’une concession d’un site cinéraire est accordée par le maire dans les conditions définies à l’art. R. 2213-40." Ainsi, en principe, l’ensemble des dispositions des articles R. 2213-40 et suivants, relatives aux exhumations, trouveront à s’appliquer aux urnes. En outre, le retrait d’une urne d’une case de columbarium est assimilé à une exhumation (QE n° 2707, JO Sénat, 9 janvier 2020), de même qu’un déscellement d’urne.
Il est néanmoins permis de se demander si les dispositions de l’alinéa 1er de l’art. R. 2213-42 visées ci-dessus auront également vocation à s’appliquer aux urnes. En effet, l’on comprend que ce texte a pour vocation de préserver la salubrité, la tranquillité publiques et la décence, s’agissant de l’exhumation d’un cercueil, dont on ne peut en tout état de cause présumer de son état, ni de l’état du corps avant de procéder à l’exhumation.
Or tel n’est pas le cas s’agissant d’une exhumation d’urne, en particulier lorsque celle-ci a été scellée, inhumée "au sec" dans un caveau ou dans une case de columbarium. À cet égard, il apparaît que cet impératif horaire mériterait d’être assoupli dans cette hypothèse.
Me Xavier Anonin
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris
Résonance n° 216 - Juin 2025
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