Voici une intéressante jurisprudence où le refus de l’exhumation est fondé sur l’impossibilité d’identification des ossements dans la sépulture. In fine, c’est aussi (même si nous ne le traiterons pas) un questionnement relatif aux modalités de la réduction de corps…
Cour administrative d’appel, Lyon, 3 juillet 2025, n° 24LY00090
Les faits : une demande d’exhumation de corps préalablement réduits
Le requérant a demandé l’autorisation d’exhumer la dépouille de son père, inhumé depuis 1986 au cimetière de Loyasse à Lyon. Par décision du 10 juin 2021, le maire de Lyon lui a opposé un refus aux motifs que les réunions successives de corps réalisées au sein du caveau faisaient matériellement obstacle à l’identification de ces restes funèbres et que la demande n’avait pas reçu l’accord des coindivisaires de la concession funéraire, requise dès lors qu’elle induisait l’exhumation des restes de tiers.
Il n’existe pas ici de litige quant à la qualité nécessaire dont doit disposer le requérant pour demander l’exhumation de son père. En effet, l’art. R. 2213-40 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose que : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte […]. / L’autorisation d’exhumer un corps est délivrée par le maire de la commune où doit avoir lieu l’exhumation […] ; à peine peut-on retenir que le règlement de cimetière de la ville de Lyon exigeait l’accord de tous les coindivisaires de la concession pour procéder à cette exhumation, ce qui peut se contester du point de vue de la stricte rédaction des dispositions réglementaires du Code.
Néanmoins, on peut penser que dès lors que les restes de différents défunts furent mélangés dans le même cercueil à l’occasion d’une réduction de corps, l’exhumation de ce cercueil concerne l’intégralité de ces restes et devrait donc recueillir l’assentiment de chaque plus proche parent de chacun de ces défunts réunis.
En outre, le juge tient à préciser que l’irrégularité potentielle (ces faits sont invoqués mais on ne sait comment cette opération eut lieu) des conditions de réunion des corps ne saurait "dispenser le juge d’appliquer les conditions légales auxquelles est subordonnée l’autorisation d’exhumation, laquelle ne peut être accordée lorsque l’exhumation exige la mise en œuvre de moyens déraisonnables".
Un refus d’exhumation fondé sur l’impossibilité d’identification des restes du défunt
C’est ici toute l’originalité de la solution de cet arrêt : le juge énonce que : "Il ressort des pièces du dossier, notamment de la capture d’écran extraite du logiciel utilisé par la ville de Lyon pour la gestion des cimetières, que la dépouille de A... C... a été réunie à celle de Jacqueline C... afin de libérer des emplacements dans le caveau pour de nouvelles inhumations.
Il s’ensuit que le recueil des restes mortels de A... C... nécessiterait une identification de chaque ossement au moyen d’analyses génétiques et qu’une telle opération ne peut être matériellement réalisée par des moyens raisonnables, alors, en outre, que l’accord des coindivisaires de la concession C..., requis par l’art. 43 du règlement municipal des cimetières pour toute exhumation, n’a pas été produit à l’appui de la demande".
Par le passé, des solutions annonçant ce raisonnement ont pu déjà être relevées. Par exemple, on sait que le juge administratif semble favorable à la possibilité d’exhumation individuelle de restes déposés à l’ossuaire dès lors que ceci est matériellement possible, ce qui implique également une identification précise des restes (CAA Lyon, 19 mars 2015, n° 14LY00931, Mme B, commentaire Jeanne Mesmin d’Estienne, JCP A n° 48, 30 novembre 2015).
Force est de constater que le Conseil d’État semble valider cette possibilité (CE, 21 novembre 2016, n° 390298, B c/commune de Saint-Étienne ; JCP A 2016, act. 916 ; cf également : Emmanuel Salaun, "Exhumation des restes placés dans l’ossuaire. - Le juge se serait-il pris les pieds dans l’intensité de son contrôle juridictionnel ?" (JCP, A n° 27, 10 juillet 2017, 2175).
Il ressort de la lecture de ces arrêts que, si l’ossuaire est en principe la dernière sépulture, le juge n’exclut pas par principe la restitution de restes individualisés déposés à l’ossuaire et que le seul moyen pour le maire de la refuser serait l’impossibilité matérielle d’identification de ces restes. Ainsi, à l’égal de notre solution présente, c’était reconnaître que le maire doit apprécier la possibilité d’une exhumation même lorsqu’elle est demandée par le plus proche parent.
On relèvera également un jugement (tribunal administratif de Grenoble, 23 décembre 2021, n° 1705472-2100977) où c’est la restitution d’ossements supposément être ceux du chevalier de Bayard déposés aux archives départementales qui fut refusée à la famille au motif de l’impossibilité de leur identification (il s’agissait en effet de 165 ossements épars).
On peut alors penser, à l’instar du juge, qu’il n’est pas raisonnable de diligenter des expertises génétiques onéreuses pour savoir à quel défunt chaque ossement correspond. La seule solution possible est annoncée par le juge lorsqu’il mentionne à plusieurs reprises qu’il manque l’accord de tous les coindivisaires de la concession. Néanmoins, l’utilisation de cette expression nous semble erronée, il eût mieux fallu évoquer l’accord des plus proches parents de chaque défunt dont le corps a été réuni avec ceux du père du requérant.
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon - Chargé de cours à l’université de Lille
Résonance n° 218 - Août 2025
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