Quelle qu’en soit la cause, les circonstances rendent parfois nécessaire de procéder au transfert des cendres d’un défunt d’une urne vers une autre. Bien que peu fréquente en pratique, les opérateurs funéraires et les gestionnaires de crématoriums sont régulièrement confrontés à cette demande des familles. Cette opération peut en effet être rendue nécessaire en cas de déplacement de l’urne, lorsque celle-ci a été dégradée par un long séjour dans une sépulture. Prévue par aucun texte, cette opération n’est donc pas encadrée. Elle n’est cependant pas interdite au titre d’un principe fondamental découlant de l’art. 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel "tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché". Dès lors, quelles sont les règles à respecter ?
Les raisons de changer d’urne sont nombreuses : choix tardif de la famille, découverte des volontés du défunt après ses obsèques, taille de l’urne trop grande au regard des dimensions de la case de columbarium, urne dégradée par l’effet du temps en cas de déplacement de celle-ci après une longue période d’inhumation ou encore, transfert des cendres vers un dispositif adapté afin de procéder à leur dispersion…
En n’étant prévue par aucun texte, cette opération n’est pas par principe interdite ; et en l’absence de texte spécial, il conviendra de faire application des règles générales qui, en la matière, sont les limites posées par le principe de respect de la dignité de la personne humaine après la mort découlant de l’art. 16-1-1 du Code civil.
Une absence d’interdiction de principe
L’art. 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que "Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas". Il en découle le principe à valeur constitutionnelle que "tout ce qui n’est pas interdit est autorisé".
Ainsi, s’agissant de l’opération de changement d’urne de cendres issues de crémation, il en découle qu’en l’absence d’interdiction, celle-ci n’est pas interdite. En revanche, la principale difficulté, en l’absence de texte spécial, réside dans la manière dont il conviendra d’y procéder.
Ce principe de non-interdiction, bien qu’évoqué dans le seul cas d’un descellement d’urne, est d’ailleurs explicitement rappelé par la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) dans son "Guide de recommandations relatif aux urnes funéraires et aux sites cinéraires" : "Le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) n’indique pas précisément si, à l’occasion d’une exhumation ou d'un descellement d’urne, le transfert des cendres d’une urne dans une autre urne est autorisé. Il est possible de transférer les cendres du défunt d’une urne dans une autre urne s’il s’agit d’offrir de meilleures garanties de leur conservation, ou de les disperser".
Principe également rappelé dans une réponse ministérielle n° 12389 du 9 janvier 2020 (JO Sénat, 9 janvier 2020, page 168).
Le respect de la dignité du défunt, un principe incontournable
Ce principe a été consacré par la loi du 19 décembre 2008 en créant un art. 16-1-1 dans le Code civil aux termes duquel : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence".
De plus, cette même loi a ajouté les "urnes cinéraires" à la liste des objets funéraires susceptibles de faire l’objet d’une profanation pénalement réprimée (art. 225-17 du Code pénal).
Et le guide de la DGCL précité poursuit : "En tout état de cause, les cendres - et donc l’urne qui les contient - doivent être traitées avec respect, dignité et décence en application de l’art. 16-1-1 du Code civil". Dès lors, il conviendra de prendre les précautions nécessaires pour que l’opération soit faite avec toute la décence que requiert le respect de la personne décédée.
Transfert de cendres : quelques précautions pratiques incontournables
On ne peut que regretter l’absence de texte précisant les modalités pratiques à respecter pour le transfert de cendres. En effet, les dispositions de l’art. 16-1-1 du Code civil auxquelles il conviendra de se reporter ont un caractère très général et leur portée très subjective ne permet pas de présumer la position qu’adopteraient les tribunaux en cas de contentieux.
En outre, tant le guide de la DGCL que la réponse ministérielle précitée considèrent uniquement le cas d’un changement d’urne à l’occasion d’un descellement. Néanmoins, on peut raisonnablement considérer comme de "bonnes pratiques" au sens de l’art. 16-1-1 du Code civil les quelques recommandations suivantes :


- Qualité pour demander le changement d’urne
Ainsi que le rappelle la réponse ministérielle, "le fait de transvaser des cendres d’une urne à une autre n’est pas encadré par la réglementation et ne peut être qualifié juridiquement ni d’exhumation, ni de réinhumation". De fait, l’opération se situe en quelque sorte à mi-chemin entre l’organisation d’obsèques et l’exhumation. Or, dans le premier cas, en l’absence de volontés écrites du défunt, les décisions ont vocation à être prises par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, et dans le second cas, par le plus proche parent.
Saisi d’une demande de changement d’urne, l’opérateur funéraire ou le gestionnaire de crématorium aura à analyser la situation. Ainsi, on peut raisonnablement considérer que si l’urne se situe dans un lieu, par essence provisoire (dépôt temporaire au crématorium, par exemple), la situation commandera de recueillir la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.
À l’inverse, si l’urne se situe dans un lieu à caractère "définitif" (case de columbarium ou sépulture, par exemple), alors le changement d’urne sera une opération accessoire à une opération d’exhumation (ndlr : la sortie de case de columbarium et le descellement sont assimilés à une exhumation). La situation commandera alors que la demande de changement d’urne émane du plus proche parent, demandeur à l’exhumation.
Précisons en outre qu’un changement d’urne peut également être ordonné par le maire dans l’hypothèse où une urne scellée sur une sépulture présenterait des dégradations importantes de nature à ne plus "offrir les meilleures garanties de leur conservation".
- La demande de changement d’urne
Bien qu’elle ne soit prévue par aucun texte, un opérateur funéraire ou un gestionnaire de crématorium ne saurait prendre l’initiative de procéder à un changement d’urne sans y avoir été mandaté.
Ainsi, il apparaît qu’une telle demande écrite devra être faite à l’opérateur funéraire ou au gestionnaire du crématorium par la personne ayant qualité pour la demander (personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ou plus proche parent selon les circonstances). Celle-ci justifiant de son identité et de sa qualité.
- Les conditions de réalisation de l’opération
Au préalable, il conviendra de s’assurer de l’identité du défunt. À cette fin, il s’agira de s’assurer de la concordance entre la plaque d’identité de l’urne et le certificat de crémation.
La plus élémentaire règle de décence conduit à considérer que l’opération devra être réalisée à l’abri des regards dans un espace dédié à cet effet. À ce titre, il nous apparaît que les crématoriums sont les équipements les plus adaptés pour réaliser cette opération, en ce que ces derniers sont équipés, dans leurs parties techniques, d’un espace dédié et équipé en conséquence. De plus, le personnel susceptible de réaliser l’opération est spécialement formé et habitué à la manipulation des cendres.
- La traçabilité de l’opération
La manipulation de cendres et la réouverture d’une urne ne sont pas une opération neutre, en particulier sur le plan symbolique et émotionnel pour les proches du défunt. De plus, l’opération n’étant pas réglementée, il conviendra de prendre toutes les précautions afférentes à la traçabilité de l’opération. Ainsi, le gestionnaire du crématorium ayant procédé à un changement d’urne serait avisé de conserver "la trace" de l’opération en la consignant dans un registre et en conservant pendant plusieurs années la demande de la famille, les justificatifs d’identité et de qualité du demandeur et une copie du certificat de crémation.
En outre, il devra être apposé sur la nouvelle urne une plaque munie des mentions obligatoires prévues à l’art. L. 2223-18-1 al. 1 du CGCT : "les cendres […] sont recueillies dans une urne cinéraire munie extérieurement d’une plaque portant l’identité du défunt et le nom du crématorium".
Enfin, il peut être utile de s’interroger sur l’évocation de cette opération dans le règlement intérieur du crématorium en concertation avec le maire, autorité de police en matière de funérailles sur sa commune, et avec l’autorité délégante dans le cadre d’une Délégation de Service Public (DSP).
- Avertissement
Rappelons que l’opération de changement d’urne n’est prévue par aucun texte. S’il découle du droit commun et de la doctrine administrative que celle-ci n’est pas interdite, les modalités exposées ci-dessus ne sont qu’une application subjective proposée qui n’engage que leur auteur, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux.
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Me Xavier Anonin
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris
Résonance n° 218 - Août 2025
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