Aux termes de l’art. R. 211-3-3 du Code de l’organisation judiciaire, "le tribunal judiciaire connaît des contestations sur les conditions des funérailles". En principe saisi sur le fondement de l’art. 1061-1 du Code de procédure civile, le tribunal judiciaire a habituellement à connaître des litiges opposant des proches du défunt entre eux. Cependant, et par exception, l’opérateur funéraire chargé par le défunt de son vivant de l’organisation de ses obsèques dans le cadre d’un contrat de prévoyance peut également se voir assigné devant le tribunal. C’est ce qu’illustre une récente ordonnance rendue par la cour d’appel de Rennes le 20 août 2025 (n° RG 25/04732).
Le cadre du litige
Dans cette affaire, un défunt avait conclu un contrat obsèques avec un opérateur funéraire en 2018. Ainsi que la cour le relevait : "Dans ce contrat, il est indiqué une possibilité de choix pour le mode de sépulture entre la crémation et l’inhumation, et c’est la crémation qui a été cochée, avec l’ajout de la mention d’une "crémation au crématorium de (X), suivie de l’inhumation de l’urne au cimetière ancien de (Y)." De plus, un récapitulatif des volontés du défunt indiquait : "Mode de sépulture : crémation".
Pourtant, 2 enfants d’un cousin du défunt ont saisi le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire aux fins de faire écarter les stipulations de la convention obsèques en ce qu’elle prévoyait une crémation.
Ils avançaient les arguments selon lesquels, par un écrit rédigé et signé de la main du défunt en 2009, celui-ci aurait évoqué "une inhumation, obligatoirement effectuée dans le caveau familial à (Z) après un service religieux". De plus, ainsi que l’indique la cour : "Ils ajoutent qu’ils suspectent que la convention obsèques a été signée par (le défunt) alors qu’il était sous l’influence de personnes, dont l’identité n’est pas connue. Ils font enfin valoir que la crémation ne respecte pas, selon eux, l’intégrité du corps."
Le droit applicable
Dans sa motivation, la cour évoque l’art. 3 de la loi du 15 novembre 1887, aux termes duquel : "Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sépulture. Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l’exécution de ses dispositions.
Sa volonté exprimée dans un testament ou dans une déclaration faite en forme testamentaire, soit par-devant notaire, soit sous signature privée, a la même force qu’une disposition testamentaire relative aux biens, elle est soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation."
Elle se livre ensuite à une interprétation très pertinente du texte, en rappelant que "cette disposition, qui prévoit la liberté de chacun de déterminer les conditions de ses funérailles par testament ou par déclaration faite en la forme testamentaire, implique que, même en l’absence d’un tel document, les volontés exprimées par le défunt doivent être respectées".
Enfin, elle ajoute que "ce n’est que lorsque le défunt n’a pas exprimé d’intention à ce sujet qu’il revient au juge de déterminer la personne la mieux qualifiée pour transmettre ses intentions". Et tel n’était pas le cas en l’espèce, puisque le défunt avait justement exprimé ses volontés dans le cadre d’un contrat de prévoyance obsèques, ces volontés constituant des dispositions testamentaires au sens de la loi du 15 novembre 1887.
Le raisonnement appliqué par la cour
Ainsi que l’indique la cour, celle-ci "fait siens" les motifs retenus par les premiers juges (TJ Saint-Nazaire, 19 août 2025, n° RG 25/01995), selon lesquels :
- Le défunt, qui était âgé de 88 ans au moment de la conclusion de la convention obsèques, ne faisait l’objet d’aucune mesure de protection, et rien ne démontre que celui-ci ne disposait pas de ses pleines capacités intellectuelles ;
- Le contrat indiquait clairement et sans ambiguïté le choix du défunt portant sur la crémation ;
- Les diverses allégations et opinions exprimées par les demandeurs, ainsi que la désignation de tiers à l’identité inconnue qui auraient influencé le défunt dans son choix de la crémation, prétendument contre sa volonté, "procèdent d’un moyen dépourvu de tout commencement de preuve" et "une simple suspicion exprimée à cet égard à l’audience et nullement circonstanciée n’est pas de nature à permettre de retenir que le consentement […] était vicié" ;
- "S’agissant du courrier signé par (le défunt) le 12 mars 2009, celui-ci manifeste effectivement et sans ambiguïté une volonté de celui-ci d’être inhumé. Cependant, le contrat obsèques qu’il a souscrit 9 ans plus tard manifeste non moins clairement une volonté d’être incinéré et c’est la dernière volonté exprimée par le défunt qui compte."
La solution retenue par la cour
De façon assez attendue, la cour a confirmé le jugement entrepris, considérant que "la volonté (du défunt) d’être incinéré est dépourvue de toute ambiguïté".
Commentaire
Si sur le fond cette décision est assez classique en ce que les juges ont recherché les volontés exprimées du défunt et, en l’absence de preuve de volonté contraire, confirmé celle-ci, cette affaire se situe dans un cas très particulier, celui de l’exécution d’un contrat obsèques.
Rappelons en effet qu’en matière de prévoyance obsèques en prestations, l’opérateur funéraire qui s’est vu confier l’exécution des obsèques du souscripteur devient "exécuteur testamentaire" au sens de l’art. 1025 du Code civil, et de ce fait chargé de "veiller ou procéder à l’exécution de ses volontés."
Il en découle que, dans l’hypothèse où les proches du défunt viendraient à contester les volontés de ce dernier, ceux-ci auraient vocation à assigner l’opérateur funéraire devant le juge civil.
Si, dans cette affaire portée devant la cour d’appel de Rennes, la famille du défunt était manifestement de mauvaise foi, ou à tout le moins ne présentait pas d’arguments et de preuves solides en faveur de leur prétention d’écarter les volontés exprimées dans le contrat, l’hypothèse de volontés postérieures à la souscription du contrat exprimées par le défunt demeure possible.
En pareil cas, l’opérateur funéraire n’est assurément pas compétent pour trancher entre ces volontés contradictoires. La seule voie à envisager demeure en effet la voie judiciaire, qu’elle soit initiée par les proches du défunt ou par l’opérateur funéraire.
Et, bien qu’il s’agisse d’un contentieux au sens juridique du terme, celui-ci peut parfaitement être envisagé de façon cordiale et loyale par les parties qui, loin de s’opposer dans une logique guerrière, peuvent décider d’un commun accord d’engager ce contentieux de façon constructive dans l’unique but de faire trancher une ambiguïté objective par la seule autorité compétente que constitue le juge.
Texte intégral de la décision : https://www.courdecassation.fr/en/decision/68a705c1fd86bff40ae598f9
Xavier Anonin
Docteur en droit - Avocat au Barreau de Paris
Résonance n° 219 - Septembre 2025
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