Un récent arrêt rendu par la cour d’appel de Riom nous rappelle utilement la nature des droits conférés par une concession funéraire…
Cour d’appel de Riom, 9 septembre 2025, n° 23/01143
Résumé des faits
Le 2 mars 2021, l’usagère d’un cimetière avait fait l’acquisition d’avance d’une concession trentenaire pour elle-même et son conjoint. Mais, dès le 4 novembre 2021, elle constatait qu’un défunt y avait été inhumé par erreur par une entreprise de pompes funèbres, avant que la situation ne soit régularisée quelques mois plus tard, le 7 février 2022, par le déplacement du défunt dans une autre concession.
Mais, le 14 juin 2022, la concessionnaire assignait la commune gestionnaire du cimetière devant le tribunal judiciaire afin d’obtenir de cette dernière diverses sommes résultant de l’occupation provisoire malheureuse de sa concession, considérant que cette dernière était constitutive d’une emprise irrégulière.
Qu’est-ce qu’une emprise irrégulière ?
L’emprise irrégulière se caractérise par une atteinte à un droit immobilier émanant d’une personne publique sans que cette atteinte ait pour effet d’éteindre le droit de propriété. Conséquence de l’arrêt du Tribunal des conflits "Panizzon", rendu le 9 décembre 2023, le contentieux de l’emprise immobilière, y compris celui relatif à l’indemnisation de ses conséquences dommageables, relève désormais du juge administratif.
Et en bonne logique, la commune avait soulevé, devant le juge de la mise en état, une exception d’incompétence matérielle du tribunal. Cependant, et de façon étonnante, cette exception sera rejetée par le juge, et l’affaire évoquée au fond devant la juridiction civile.
Les demandes formulées par la concessionnaire
Considérant avoir été temporairement victime d’une emprise irrégulière, la concessionnaire demandait au tribunal de condamner la commune à lui rembourser le prorata du prix de sa concession correspondant à la durée de l’occupation irrégulière, soit la maigre somme de 2,34 €, ainsi qu’à lui verser une somme de 10 000 € au titre de la réparation de son préjudice.
Cependant, le tribunal ne fera pas droit à ses demandes, et c’est dans ce contexte qu’elle interjettera appel devant la cour d’appel de Riom.
L’arrêt confirmatif de la cour d’appel
Dans sa motivation, la cour rappelle les conditions juridiques de l’emprise irrégulière pour relever l’absence de cette dernière en l’espèce. Cette absence d’emprise irrégulière se caractérisant par le fait que l’occupation temporaire de la concession par un tiers à cette dernière n’a pas eu pour effet d’éteindre son droit d’usage :
"La concessionnaire ne peut elle-même revendiquer aucun droit de propriété immobilière sur la concession litigieuse […] dans la mesure où elle n’est titulaire sur cet emplacement de cimetière communal que d’un droit d’usage pendant une période temporaire de 30 ans à des seules fins d’inhumation pour elle-même et ses ayants droit.
L’inhumation par erreur d’une personne défunte dans un emplacement de concession de cimetière communal qui ne lui était en réalité pas destiné constitue certes une situation temporaire d’occupation illicite et le cas échéant dommageable, mais n’a pas pour autant pour effet d’éteindre le droit d’usage immobilier de la personne titulaire de cette concession, cette dernière conservant la possibilité d’exercer tous recours utiles en cas de comportements ou d’agissements de la part du concédant qu’elle estimerait dommageables et contraires à son droit de concession, non pas en allégation d’emprise immobilière mais en allégation d’atteinte à ce droit d’usage résultant de cette prise de concession."
L’emprise irrégulière étant écartée, la cour indique néanmoins que la responsabilité de la commune pourrait être engagée sur le terrain de la responsabilité civile générale découlant de l’article 1240 du Code civil, aux termes duquel : "Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." Mais de façon pour le moins étonnante, la cour considérera que la commune n’avait commis aucune faute en ce que l’inhumation par erreur d’un tiers dans la concession avait été effectuée par une entreprise de pompes funèbres et que, ce faisant, la concessionnaire aurait dû diriger son action contre cette dernière.
Ainsi, en confirmant le jugement de première instance, la cour d’appel de Riom rejetait l’ensemble des demandes d’indemnisations de la concessionnaire.
Quelques remarques et critiques
En premier lieu, on ne peut que s’étonner de la saisine du juge civil d’une demande d’indemnisation portant sur les conséquences dommageables d’une emprise irrégulière, eu égard à la jurisprudence récente qui attribue désormais la compétence au juge administratif. Si ce moyen d’incompétence du juge judiciaire avait, semble-t-il, bien été soulevé par la commune devant le juge de la mise en état, celui-ci avait été rejeté.
Ce faisant, et puisque la concessionnaire avait décidé de mener son action devant le juge civil, on ne peut que s’étonner de l’absence d’assignation contre l’opérateur funéraire ayant réalisé l’inhumation litigieuse. En assignant la commune et les pompes funèbres, la concessionnaire aurait sans doute augmenté ses chances de voir l’une ou l’autre condamnée, ou bien les deux "in solidum".
Plus étonnant encore, la cour d’appel retient dans sa décision que la commune n’aurait commis aucune faute, et suggère que seules les pompes funèbres seraient responsables de l’inhumation litigieuse qui a brièvement constitué une "occupation illicite". De toute évidence la cour a omis de considérer l’obligation de surveillance du maire sur le cimetière et sur les opérations qui s’y déroulent. Rappelons en effet qu’au titre de l’art. L. 2213-8 du Code Général des Collectivités Territoriales : "Le maire assure la police des funérailles et des cimetières."
Ainsi, en rendant possible l’inhumation d’un corps dans une concession qui ne lui était pas destinée par le non-exercice de ses pouvoirs de police (en l’espèce par son absence de surveillance de l’opération), le maire a commis une faute, de nature à engager la responsabilité de la commune.
Cette dernière ne pourra cependant être engagée et aboutir au versement de dommages et intérêts qu’à la condition que la faute commise ait causé un préjudice dans le chef de celui qui demande réparation.
Or en l’espèce, on peut a minima présumer de l’existence d’un préjudice moral subi par les concessionnaires, constitué par l’inhumation d’un étranger à la concession. Préjudice certes limité, mais qui aurait raisonnablement dû être indemnisé.
Texte intégral : https://www.courdecassation.fr/decision/68c107522c4c0c4e691e3f3c
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris
Résonance n° 220 - Octobre 2025
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