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Question : je viens de lire dans Reson@nce parution n°46, l’article sur la nouvelle loi funéraire Sueur II. Il y est fait  mention  que désormais les cendres humaines ont acquis le statut de "restes mortels", quittant ainsi le statut de bien, donc de "chose ou d'objet"... Malgré cela, une question importante reste posée : quels sont les services habilités à mener l'enquête lorsqu'il y a violation de sépulture avec enlèvement d'urne cinéraire ?

 

Depuis le mois de mars 2008, ma famille et moi-même sommes confrontés à cette situation.
Notre fille aînée est décédée en février 2006 d'un accident de la route. Elle reposait dans la chapelle familiale jusqu'au jour de son enlèvement.
Cette affaire est actuellement traitée comme un délit classique...  (vols ou assimilés). PS 

Réponse : Afin d’agir contre le vol d’une urne cinéraire dans un cimetière, il faut d’abord définir si le plaignant est bien lésé car lui seul a capacité à porter plainte devant le tribunal. Cette question du vol nous amène au problème de la possession d’une urne cinéraire, qui est traitée par le code civil, lequel vient d’être modifié par la loi Sueur récente. Ceci nous conduira à distinguer l’avant et l’après la loi Sueur car le tribunal appliquera les sanctions prévues par la loi à l’époque du vol.
Qui dit vol dit perte, et dans ce cas on peut s’interroger sur le rôle de l’assurance en ce domaine.
Enfin la plainte pour vol à la police ou à la gendarmerie va entraîner une enquête. Est-il possible d’accélérer la procédure ? Il est également nécessaire d’évoquer le projet de suppression du juge d’instruction qui va modifier ces règles.

1 - Possession de l’urne et classement des cendres humaines


La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, désormais intégrée dans la Constitution, consacre la liberté de la personne, alors que les biens peuvent être l’objet de possession (acquisition par achat, héritage, mariage, etc.).
Le code civil se divise en deux parties : les personnes et les biens. L’article 16-1 du code civil (CC) prescrivait, avant la loi Sueur, que le corps humain et ses éléments ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial, contrairement à tous les biens. L’article 16-2 de ce code civil permettait au juge de faire cesser toute atteinte illicite au corps humain.
C’est donc sur la base de cet article 16-2 du CC qu’ont été portés devant les tribunaux tous les contentieux liés aux restes humains et aux urnes cinéraires. Comme ces articles ne visaient que le corps humain du vivant de la personne, le tribunal de grande instance de Lille avait jugé, le 5 décembre 1996, que la dépouille mortelle d’un individu faisait l’objet d’un droit de copropriété familiale, inviolable et sacré : cette dépouille mortelle était un bien, d’une nature particulière puisque sa place est réservée au cimetière ou à l’inhumation en propriété privée, sur autorisation spéciale du préfet.

Ce même tribunal de grande instance de Lille a jugé, le 23 septembre 1997, qu’une urne familiale était un objet de copropriété familiale. Le mot propriété caractérisait donc le cadavre et les cendres humaines en tant que bien qu’une personne pouvait posséder, avant la loi Sueur du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire.

Une évolution des mentalités était en cours puisque l’État français avait restitué à l’Afrique du Sud, par la loi n° 2002-323 du 6 mars 2002, les restes mortels de Saartjie Baartman, plus connue sous le nom de Vénus Hottentote, et dont les restes mortels appartenaient auparavant au muséum national d’histoire naturelle.

Désormais, la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire a complété l’article 16-1 du CC par un article 16-1-1 précisant que le respect du corps ne cesse pas avec la mort et que les restes des personnes décédées, y compris les cendres humaines, doivent être traités avec respect, dignité et décence. Ce nouvel article fait donc entrer les restes mortels et les cendres humaines dans le cadre de la personne, certes défunte, et les exclut ainsi de la catégorie des biens.

 

2 - Sanctions applicables au vol d’une urne cinéraire


Dans cette logique des cendres humaines classées juridiquement en restes mortels d’une personne, l’article 16-2 du CC est complété par la loi Sueur afin que le juge puisse faire cesser toute atteinte illicite à ces restes mortels. Les sanctions que le juge peut appliquer, depuis le 23 décembre 2008, date d’entrée en vigueur de la loi, sont données par l’article 225-17 du code pénal : un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende pour toute atteinte à l’intégrité du cadavre, autant pour la violation de sépulture ou d’urne cinéraire.

Une fois l’urne volée, elle peut être ouverte ou jetée et il y aurait alors violation de l’urne cinéraire. Mais cette sanction de l’article 225-17 du code pénal ne s’applique que pour une violation de l’urne cinéraire commise après le 23 décembre 2008.

Avant le 23 décembre 2008, le vol d’une urne cinéraire n’était pas soumis à ces peines et relevait de l’article 311-3 du code pénal, c’est-à-dire que les sanctions étaient de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende pour un vol simple (sans violence, ni en bande organisée, ni en faisant appel à des mineurs, etc.). Ces circonstances aggravantes du vol durcissaient les sanctions et sont prévues aux articles 311-4 et suivants jusqu’à l’article 311-11 du code pénal.

Les restes mortels et les cendres humaines ayant désormais le statut de personne et non de bien, il est nécessaire, au plan juridique, de distinguer l’enlèvement qui s’applique aux personnes et le vol qui s’applique aux biens. Par conséquent, on portera plainte pour vol d’une urne cinéraire avant le 23 décembre 2008 et plainte pour enlèvement après le 23 décembre 2008.

Après le 23 décembre 2008, la soustraction d’une urne cinéraire relèverait, sous réserve de l’avis des tribunaux compétents, de l’article 224-1 du code pénal qui punit de 20 ans de réclusion criminelle le fait d’enlever ou de détenir une personne. Bien entendu, le juge adaptera cette peine maximale aux restes mortels d’une personne, car il est moins grave de retenir contre son gré une urne cinéraire qu’une personne vivante.

3 - Action de la Justice


Que la plainte pour vol anciennement, et pour enlèvement désormais, ait été déposée devant le juge ou devant la police, l’aboutissement de la plainte, c’est-à-dire la mise en cause du suspect et peut-être la récupération de l’urne cinéraire, va dépendre des moyens mis en œuvre et avant tout des preuves matérielles du vol.

Les enquêteurs seront les mêmes avant et après le 23 décembre 2008, de même que les moyens mis en oeuvre : police nationale dans une grande ville et gendarmerie à la campagne. Les preuves seront elles aussi identiques : la porte de la chapelle a-t-elle été forcée ? Existe-t-il des empreintes digitales ?

Le projet de suppression du juge d’instruction aura des conséquences sur la réalisation de l’enquête. En effet, le juge d’instruction doit mener son enquête à charge et à décharge, c’est-à-dire qu’il recherche à la fois les preuves de la culpabilité et de l’innocence d’une personne. Le projet actuel prévoit que le procureur de la République mènera son enquête seulement à charge, comme aux USA : ce sera donc aux avocats de la défense de mener leur enquête démontrant l’innocence de l’inculpé. Pour cela, ils feront appel à des enquêteurs de terrain qui sont les actuelles agences de détectives privés.

Bien entendu, ce projet peut être modifié et il est donc nécessaire de ne pas en tenir compte. Cependant, il est déjà possible de faire appel à ces agences privées, sous réserve de disposer de moyens financiers et de s’assurer de la compétence de l’agence sollicitée car il n’existe pas actuellement de contrôle de leurs activités.

De plus, les détectives privés ne sont pas reconnus comme officiers ministériels ou auxiliaires de justice, c’est-à-dire que le témoignage d’un détective ne fait pas foi jusqu’à preuve contraire. Or les huissiers de justice disposent de ce pouvoir : les huissiers de justice font des constats qui sont reconnus par les tribunaux et les compagnies d’assurances. Ils doivent donc attester toutes les actions du détective privé.

4 - Contenu de l’enquête


Supposons que la police n’ait pas eu le temps ou les moyens de relever les empreintes digitales sur la porte de la chapelle dans laquelle s’est produit le vol. Le plaignant peut faire relever des empreintes par un détective sous contrôle d’un huissier pour prouver que ces empreintes proviennent bien de la chapelle en cause. De même, il peut faire rechercher des traces d’ADN.
Ces empreintes seront transmises au juge d’instruction pour suite à donner. En effet, l’article 706-54 du code de procédure pénale permet au seul officier de police judiciaire, agissant de lui-même ou sur demande du procureur ou du juge, de comparer une empreinte digitale ou génétique à celles conservées dans le fichier national.

Il existe peu de chances qu’un voleur d’urne cinéraire figure sur ce fichier national qui recense les personnes ayant commis des viols, des crimes ou du trafic de stupéfiants, du proxénétisme, du terrorisme, des crimes relatifs aux armes de guerre ou du blanchiment d’argent provenant des infractions précédentes.

Tout au plus peut-on voir dans ce vol d’urne cinéraire les actes d’une personne plus ou moins intellectuellement irresponsable. En effet, la valeur matérielle de l’urne cinéraire en tant que contenant est faible, ce qui exclut les actes d’un gang spécialisé en matériel funéraire. La piste la plus importante à rechercher est la malveillance envers le propriétaire de la chapelle car cette urne cinéraire possède une très grande valeur sentimentale à ses yeux.

Il faut donc rechercher parmi les personnes mal intentionnées ayant connaissance de la présence de cette urne cinéraire à cet endroit. En conséquence, les traces digitales ou génétiques retrouvées doivent être confrontées aux personnes supposées malveillantes pour le plaignant, seul le juge pouvant effectuer cette confrontation.

En revanche, étant donné le peu de valeur monétaire de l’urne, il est improbable que le voleur l’ait conservée. Par conséquent, l’absence de preuve rend infructueuse la recherche, sauf traces conséquentes laissées sur la chapelle.

5 - Assurance couvrant l’urne cinéraire


Dès l’instant où il y a vol d’un objet, on pense à l’assurance. L’assurance est-elle applicable à une urne cinéraire ?

L’assurance multirisques habitation couvre le logement de l’assuré et ses dépendances, c’est-à-dire les constructions attenantes, qui ne peuvent être détachées sans être détériorées, ou un abri de jardin par exemple situé sur le terrain de l’habitation. À la rigueur, un garage ou un box est couvert quand il est situé sur la commune de l’habitation ou sur une commune voisine.
La chapelle située dans le cimetière ne fait donc pas partie des dépendances classiques d’un contrat multirisques habitation, mais il est possible de le prévoir par une disposition spécifique du contrat passé avec la société d’assurances.

Des contraintes sont liées à la garantie vol : ainsi la dépendance ne doit pas être fermée par un cadenas, mais par une serrure. De plus, le vol doit être signalé à la société d’assurances dans les deux jours ou les 24 heures de sa découverte, avec copie de la plainte pour vol déposée au commissariat.

Cette déclaration de vol de bien (toujours dans le cas de vol avant le 23 décembre 2008) doit être accompagnée des pièces utiles pour évaluer les pertes, telles qu’un état estimatif, une facture d’achat. Il est nécessaire également de prouver l’existence du bien, par une photographie ou une autorisation d’inhumation.

L’assureur peut exiger que l’urne cinéraire ne soit pas exposée à la vue dans la chapelle ou scellée sur un monument mais inhumée sous la pierre tombale, ce qui réduit fortement les risques de vol.

Enfin, l’assurance peut couvrir la valeur sentimentale du bien par un avenant déclarant la valeur attribuée à l’urne cinéraire en lieu et place de la valeur d’achat de l’urne.

À compter du 23 décembre 2008, l’urne cinéraire se rattache à la personne et l’assurance de l’urne cinéraire devient une assurance de personne : de même qu’une actrice de cinéma assure ses jambes ou sa poitrine, il devient possible d’assurer une urne cinéraire. Là encore, l’assureur demandera quelle valeur est attribuée à l’urne et quels sont les moyens de protection contre son enlèvement.

6 - Conclusion


L’assurance d’une urne cinéraire est possible mais le remboursement pécuniaire en cas de vol ne remplace pas sa présence et les sentiments qui lui sont liés.

Même si le vol d’une urne cinéraire affecte profondément une famille, sa faible valeur commerciale rend pratiquement impossible sa récupération. Aussi convient-il de prendre toutes dispositions pour éviter ce vol. La première disposition consiste à ne pas la laisser en vue, soit dans une chapelle, soit scellée sur un monument, afin d’éviter tout acte de vandalisme.

 

Claude Bouriot

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations