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"Le défaut le plus répandu de notre type de formation et d’éducation : personne n’apprend, personne n’aspire, personne n’enseigne… à supporter la solitude." Nietzsche

Bonnaud Benjamin fmt

Benjamin Bonnaud,
thanatopracteur et formateur
en thanatopraxie.

 

 

Depuis quelques années, la thanatopraxie fait de plus en plus d’émules, en raison d’une médiatisation soudaine, que ce soit au travers d’émissions télévisées, de séries, ou d’articles de presse, particulièrement en période de Toussaint pour ces derniers. Cette médiatisation draine un certain nombre d’impétrants aux profils divers, pour beaucoup extérieurs au milieu funéraire, et il réside un certain nombre d’idées reçues persistantes sur le métier de thanatopracteur que j’ai listées et auxquelles je vais tenter d’apporter un éclairage. Il est toujours dommage de voir de jeunes aspirants plein d’entrain découragés par la réalité du terrain.

Le terme "embaumeur" fait rêver. Pourtant, nous n’en sommes pas. Ce mot est dérivé du latin "in balsamum", c’est-à-dire "dans les baumes". Il définit parfaitement le travail qui se pratiquait dans l’Égypte antique et auprès de nos rois et grandes figures historiques, mais le travail que nous faisons est celui de thanatopracteur, qui est un néologisme apparu dans la seconde moitié du XXe siècle et qui est formé de deux mots d’origine grecque : θάνατος (thanatos – qui se traduit par mort, et non pas forcément spécifiquement comme le nom du dieu de la mort, comme on le pense souvent improprement) et πραξις (praxis – l’action). Nous agissons donc sur la mort, afin d’en effacer les stigmates, offrons une conservation temporaire le temps des obsèques, et c’est tout. Il n’est pas question de conserver ad vitam æternam le corps, ce procédé étant, de toute façon, interdit en France. Les corps doivent, dans le souci de permettre la reprise des concessions échues non renouvelées, pouvoir être réduits dans la mesure du possible.

L’une des principales motivations serait qu’il y aurait beaucoup de travail dans ce métier, puisque, c’est bien connu, personne ne veut le faire. Si, il y a quelques années, j’étais assez catégorique sur ce point-là, et je n’hésitais pas, effectivement, à avertir les candidats d’une certaine saturation du secteur, je suis aujourd’hui plus pondéré, car, il existe des secteurs où les entreprises peinent à recruter des salariés. Ce sont les secteurs ruraux. Mais bizarrement, ces secteurs n’attirent pas. C’est peut-être une fausse impression, mais je trouve que l’exode qui existait il y a quelques décennies pour trouver du travail tend à disparaître, et aujourd’hui, il faudrait en trouver dès le départ au coin de sa rue. Je peux comprendre que quelqu’un du Sud n’ait pas envie de quitter sa région pour venir au nord de la Loire, cela dit, il est tout de même connu depuis pas mal d’années que le Sud regorge de thanatopracteurs, et qu’il est difficile de s’y faire une place (je n’ai pas dit "impossible").

Du coup, faute d’emploi, certains jeunes diplômés s’installent directement à leur compte. Avec plus ou moins de chance selon les secteurs. Inutile de rappeler que, lorsqu’on a un convive de plus à table, les parts du gâteau diminuent ; la mort est une variable qui ne dépend absolument pas du nombre de praticiens présents sur un secteur, et un thanatopracteur de plus ne va pas faire varier le nombre des décès à la hausse.

Le salaire, également, fait fantasmer nombre d’aspirants. On peut lire sur Internet, sans aller chercher bien loin, qu’un thanatopracteur salarié gagnerait aux alentours de 4 000 €par mois. Certains patrons peuvent, effectivement, aspirer à des rémunérations de cet ordre-là, mais non sans avoir travaillé des années durant à forger leur clientèle. Le thanatopracteur salarié, lui, dépend de la convention collective des pompes funèbres, où il est généralement classé selon le barême suivant : niveau IV, échelon III avec CQP. Le salaire équivalent à cet échelon est d’environ 1 500 €brut. Bien que les rémunérations généralement constatées sur le terrain oscillent entre 1 700 et 2 500 €net, il est tout à fait possible de trouver des postes au salaire conventionnel. C’est malheureusement la conséquence de la surmédiatisation du métier, et l’attrait soudain qu’il a engendré il y a quelques années. Si auparavant les thanatopracteurs étaient rares, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et, comme le veut la loi du marché, quand il y a plus d’offre que de demande, les prix baissent. Le numerus clausus, mis en place il y a quelques années, a tenté d’enrayer ce phénomène.

Également, bien que cela soit plus marginal aujourd’hui, nombre d’aspirants sont persuadés que le thanatopracteur fait pleinement partie du milieu de la médecine légale. Je pense que la confusion vient de la profusion de séries américaines qui mettent en avant les coroners, métier qui n’a pas vraiment d’équivalent chez nous. Sauf que nous ne sommes pas cela. Nous sommes thanatopracteurs, forains pour la plupart d’entre nous, ou thanatopompes, pour ceux qui sont polyvalents. Il y a encore quelques années, les thanatopracteurs pouvaient, si le besoin était là, assister les médecins légistes. Mais cela est une pratique quasiment disparue, si ce n’est totalement. La seule tâche moins quotidienne qui peut être confiée à un thanatopracteur est la recherche de stimulateurs cardiaques et autres prothèses fonctionnant au moyen d’une pile lors d’exhumations ; tâche à haute responsabilité et à pénibilité certaine. Sauf changement de statut voulu par certains avec des arguments tout à fait recevables, pour l’heure, les thanatopracteurs ne sont pas considérés comme personnel médical. Nous sommes le maillon entre la sortie de l’hospitalier et l’entrée dans le funéraire. Mais, dans l’immédiat, la thanatopraxie, ce n’est pas du paramédical, c’est du funéraire.

Certaines séries télévisées – je pense à Six Feet Under – ont fait connaître la thanatopraxie comme étant aussi l’art de la restauration des visages et des corps, et pour cause, c’est une spécialité américaine, et certaines boutiques dédiées à cet art vendent des accessoires extraordinaires que nous, thanatopracteurs français, ne pouvions même pas imaginer comme pouvant exister (je vous invite à faire quelques recherches sur Internet). Je conviens tout à fait que nous sommes pleinement habilités – et formés pour la plupart d’entre nous – à faire des restaurations tégumentaires. Il est même clairement spécifié dans le décret 94-260 régissant la formation et le diplôme de thanatopracteur que doivent être prévues au cours de la formation au moins 20 heures de techniques de restauration. Cela n’est pourtant pas notre quotidien, et je me souviens d’un aspirant qui, il y a quelques années, m’avait dit que s’occuper que de personnes âgées ne l’intéressait pas, et qu’il ne voulait faire que de la restauration de visages. Il fut difficile de lui faire comprendre que le métier auquel il aspirait n’existait pas. Parce que l’essence même de la thanatopraxie, c’est d’atténuer les stigmates de la mort, et de faire passer le défunt de l’image de mort à l’image de paisible dormeur. La restauration tégumentaire est un art annexe, dont certains d’entre nous sont d’ailleurs d’excellents spécialistes, mais ce n’est pas le quotidien, et fort heureusement d’ailleurs, puisque les corps nécessitant de telles prestations sont toujours des personnes ayant eu une mort violente.

Il y a aussi quelque chose qui m’a toujours interpellé. Chaque année, il y a des candidats qui s’inquiètent du poids de certains défunts, mais qu’ils s’auto-rassurent en se disant qu’il existe des techniques pour mouvoir les corps, et donc qu’une frêle constitution physique n’est pas un obstacle. C’est à la fois vrai et faux. Une frêle constitution ne pose pas de problème particulier, puisqu’il n’y a pas forcément de rapport entre un petit gabarit et la force physique. J’ai eu il y a quelques mois une jeune fille d’un mètre quarante-cinq en stage d’observation qui a su démontrer une pugnacité comme j’en avais rarement vu et qui s’en sortait très bien. J’ai eu aussi pendant quelques semaines une petite jeune femme à peine plus grande qui n’avait absolument rien à envier à un homme pour la manutention. Le tout, c’est de prendre conscience de sa force physique, de la développer au besoin, et d’apprendre à travailler intelligemment. Parce que les fameuses techniques qui permettent de déplacer un corps nécessitent quand même d’user de la force de ses bras et de son dos.

Enfin, pour finir, il y a une légende tenace, mais heureusement dans des proportions assez infimes, c’est que la thanatopraxie regorge de gothiques, et qu’il est tout à fait convenable de venir travailler comme tel. J’imagine que cela doit venir d’une série télévisée – je n’ai pas la télévision, donc j’en reste au stade de la supposition - mais, qu’on se le dise, c’est un métier au contact des familles, où la sobriété est de rigueur. Bien sûr qu’il y a des gothiques qui sont thanatopracteurs, mais ils sont sobres dans le travail, et gothiques dans leur vie privée. C’est ainsi que cela fonctionne, comme dans l’ensemble des métiers. Les thanatopracteurs sont des gens normaux.

Loin de vouloir faire avorter des vocations, je souhaitais juste apporter quelques réponses aux clichés et fantasmes qui peuvent exister autour de notre beau métier, car, même s’il n’est pas comme on peut le rêver, cela reste un métier où chaque jour est totalement différent de la veille, et qui est tout de même plutôt fantastique. Et, pour finalement terminer par là où j’ai commencé en citant Nietzsche, c’est un métier solitaire. Celui qui veut pratiquer ce métier doit prendre conscience que chaque journée sera unique, certes, mais que chaque journée est une journée où on est principalement seul.

Chers aspirants, au plaisir de vous croiser un jour en stage d’observation ou de formation.

Benjamin Bonnaud
Thanatopracteur et formateur en thanatopraxie

Résonance n°127 - Février 2017

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