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Si la crémation est peu à peu rentrée dans les mœurs des Français, cela n’a pas toujours été le cas dans notre pays de tradition catholique. En effet, l’Église ne l’autorise que depuis le concile Vatican II. J’ai demandé quelques éclaircissements au père Franz de Boer, du diocèse de Cahors. Loin des formules alambiquées, entretien avec un prêtre qui a son franc-parler.

 

 

Franz De Boer fmt
Père Franz de Boer

Claire Sarazin : Peux-tu expliquer brièvement les raisons pour lesquelles l’Église rejetait la crémation avant Vatican II ?

Franz de Boer : J’avoue ne pas trop être un expert des positions d’avant Vatican II sur ce point, puisque je suis un enfant du Concile. Je n’ai connu que cette pratique, étant né en 1971. Je me doute qu’il s’agit d’une conception liée à une phrase du Credo – "Je crois à la résurrection de la chair" –, où Saint-Paul nous dit que les morts ressusciteront avec leur corps. Toutefois, j’ai l’impression que la "chair" dont le Credo nous parle n’est pas la "viande" mais plus un corps destiné à vivre dans une autre réalité. Un peu comme le Christ, lors de la transfiguration, où il n’est que lumière. Ou à la résurrection, quand celle qui l’aimait le confond avec un jardinier mais qui le reconnaît uniquement à sa manière de l’appeler. Si elle le confond avec un jardinier, c’est que le corps ressemble aux nôtres, mais il est impossible d’imaginer une femme amoureuse ne pas reconnaître celui qu’elle aime par-dessus tout, quand il est en face-à-face : il doit y avoir un changement radical.

Comme toute pensée ou compréhension, cela demande du temps de creuser les manières de se situer. Il a fallu donc des siècles pour changer nos manières de nous positionner face aux corps. L’histoire de l’Église plaide pour respecter la prudence de la part des ecclésiastiques. En effet, elle a connu 2 000 ans de déviations par rapport au Credo, et de nombreuses personnes qui niaient la résurrection : si on se fait incinérer par rejet de la résurrection, bien évidemment, on n’est plus en communion avec l’Église, puisque, sans résurrection, l’Église serait au mieux une ONG et au pire une secte… Par prudence, l’Église a préféré sauvegarder les corps des défunts au cas où la chair nouvelle serait faite à partir des restes de la "viande"… Aujourd’hui, avec l’apport des sciences, on n’en est plus là.

Par exemple, la science nous a appris que nous changions totalement de corps tous les dix ans par le renouvellement intégral des cellules, si bien qu’une personne de quatre-vingts ans qui décède aurait l’équivalent de huit corps… Imaginez si la résurrection de la chair consiste en ce que cette masse de chair ressuscite ! Non, il s’agit d’une création nouvelle.

CS : Dans le cas d’une crémation, y a-t-il un ordre particulier à respecter, par exemple, la cérémonie religieuse peut-elle voir lieu indifféremment avant ou après la crémation en présence de l’urne ?

FDB : Plutôt que de simples pratiques ou rites, il faut se situer au niveau du cœur, de ce qui se célèbre. Qu’est-ce qui est célébré en Église dans les obsèques, avec inhumation ou crémation ? Une naissance au ciel d’une personne qui, certes, n’est pas parfaite, mais qui a essayé d’aimer comme elle a pu, qui a vécu une histoire, une vie, qui a aimé des personnes, qui s’est passionnée pour plein de choses, qui a travaillé, a eu des projets, des enfants parfois… Bref, qui a déployé beaucoup de ses potentialités le temps qu’elle est restée parmi nous sur terre.

Pour cela, elle a utilisé son corps, son intelligence, sa volonté, sa liberté, son âme, son cœur, sa mémoire, etc. Cette vie terrestre est le socle de ce qui sera immortel dans l’au-delà : tout ce qui est invisible constitue l’essentiel de ce que nous sommes et qui compte pour nous : l’amour est invisible (on n’en voit que les effets), comme l’amitié, la joie, l’intelligence, ce qui nous fait vibrer intérieurement, etc. On ne peut pas couper une personne en tranches : d’un côté le corps, de l’autre l’intelligence, de l’autre son esprit… Ça n’a aucun sens : on est "un" et indivisible. Si la mort n’est qu’un "passage" vers une autre dimension, une autre réalité, cela signifie que nous devons nous baser sur la personne dans son entier, corps, âme, intelligence-esprit.

Dans ce sens, nous pouvons vivre la cérémonie religieuse dans deux directions :
Si c’est un simple hommage, on peut alors prier avant ou après la crémation. Car on prie bien pour les âmes du purgatoire, pour les défunts de toutes les époques, et nous n’avons pas leurs corps pour cela.
Ou alors on considère que la cérémonie est le moment où nous prenons notre défunt par le cœur, nous le mettons dans les bras du Père du ciel qui nous aime, et nous le lui confions en lui demandant de tout notre cœur qu’il soit heureux, pas parce qu’il le mérite mais parce que nous l’aimons… Alors, il faut qu’il y ait absolument le corps, que cela se passe avant la crémation. Ce n’est pas de la magie. Il faut partir de l’incarnation pour atteindre le spirituel. Nous ne sommes pas des purs esprits, et le corps est ce qui permet d’entrer en contact avec les autres et donc avec le "Tout-Autre".

Par contre, rien n’empêche, une fois une messe d’obsèques célébrée et la crémation effectuée dans la foulée, de prévoir à la fois un temps de prière au Jardin du Souvenir et une messe anniversaire par la suite.

CS : Le temps de la crémation peut-il ou doit-il devenir un temps de prière et de recueillement ?

FDB : La liberté de toute personne doit être respectée, et il n’y a aucun moment de la vie qui puisse être interdit de prière ! Alors, si la personne a demandé librement une crémation, de quel droit l’Église refuserait-elle de faire de la crémation un temps de prière ? Même mieux, prendre un temps de prière, un temps de partage, de souvenir, de lecture de textes en hommage, c’est très important pour pouvoir avancer dans son deuil. Il faut tout faire pour mettre en avant la présence des proches du défunt dans ces lieux nouveaux. Quant au recueillement, qu’on ait ou non la foi, il doit être tenu par respect pour le défunt. Une société où l’on ne respecterait plus nos défunts serait d’une barbarie sans nom.

CS : Qu’en est-il de la destination des cendres ? La loi interdit à présent aux familles de les conserver à leur domicile. La dispersion est-elle admise ?

FDB : Il y aurait beaucoup à dire… Les gens croient qu’ils sont propriétaires de leur corps, ce qui est faux. Essayez de vendre un de vos organes, et vous tombez sous le coup du pénal. Nous ne sommes pas propriétaires de notre corps, mais des gérants afin qu’il tienne le mieux et le plus longtemps possible.
Une fois décédé, le répandre n’importe où pose question, tout de même… D’ailleurs, la loi française ne l’autorise plus. Je rajouterai que, pour moi, entre le cercueil et le corps, par rapport au résultat de la crémation, il y a fatalement de la déperdition. Compris comme cela, l’urne n’est qu’un reste symbolique du corps, et le répandre quelque part ou le fixer sur un caveau pour avoir un lieu mémoire devient un choix qui a du sens. Vous voyez, il reste beaucoup de réflexions à faire sur cette pratique somme toute récente. Quant à l’interdiction de la garder dans les familles… Qui respecte sincèrement cette loi et qui contrôle qu’elle est respectée ?

CS : En dehors de la position officielle de l’Église, quelle est ta position personnelle par rapport à la crémation ?

FDB : Ma position est simple, si la personne se fait crématiser parce qu’elle refuse la résurrection, j’ai un souci dans ma foi et je n’ai pas à m’exprimer au sujet de cette personne, puisqu’elle n’est pas (ou plus) chrétienne de par sa volonté. Dans ce cas, mon avis compte peu. Mais si la personne ne se fait pas crématiser par rejet de la foi, cela ne me pose aucun souci. Les concessions sont chères, les personnes ne veulent pas gêner les membres de leur famille, beaucoup ont peur d’être enterrés vivants, d’autres n’aiment pas l’idée de pourrir ou de baigner dans un caveau plein d’eau… Ce sont des positions tout à fait respectables, et si on me confie l’âme d’une personne décédée, je n’ai aucun souci avec la crémation, à une condition : que j’aie pu célébrer une messe d’obsèques avant l’incinération !

Je préfère largement aller bénir une urne posée au Jardin du Souvenir que de revenir à une certaine pratique d’antan : les enterrements de 1re et de 2e classe…
Pour ma part, si quelqu’un me demande ce que je préfère pour lui – crémation ou inhumation – et que, pour lui, c’est égal, je lui conseillerai l’inhumation, car, dans ma foi, j’ai une préférence – et l’Église avec moi – pour la manière dont le Christ lui-même a été enseveli. Quant à moi, je n’ai pas les moyens financiers de m’offrir une concession, et ma famille non plus. Peut-être quelqu’un me fera-t-il la charité de me mettre en terre dignement. Sinon, à la grâce de Dieu !

CS : Eh bien voilà qui a le mérite d’être clair. Merci pour ces explications, Franz. Pour conclure, je te laisse le mot de la fin.

FDB : Gardons toujours l’espérance ! Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît toute chose ! Alors… devant sa promesse de nous donner le bonheur éternel – et Dieu n’est pas un menteur –, il nous faut remettre le débat inhumation-crémation à son juste niveau : celui des interrogations légitimes mais humaines de personnes qui essaient d’assumer le deuil et la mort comme elles le peuvent.

Claire Sarazin

Résonance hors-série #1 - Spécial Crémation - Août 2015 

 

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