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Le toucher du cadavre caractérise la véritable porte d’entrée qui mène aux spécialités professionnelles du funéraire.
C’est le pas décisif pour passer derrière le "rideau" en devenant membre actif d’une profession qui organise la sortie du monde des vivants.

[…]

Une tempête technique

Intervenir sur un cadavre relève toujours d’une découverte, de surprises, de particularités et de précautions particulières. Selon les circonstances, les difficultés sont différentes et variées.

- Dans la solitude du thanatopracteur

Il se retrouve généralement seul face au cadavre et c’est là que réside avant tout la particularité de sa spécialité. Il est celui qui est en responsabilité directe du résultat technique à obtenir sur l’évolution du cadavre. Le poids d’une telle situation est moralement très lourd du fait des attentes familiales d’une part et de l’entreprise commanditaire des soins d’autre part. Ce sandwich des exigences au cœur duquel se situe l’intervention du thanatopracteur ne gomme pas l’autre dimension, celle, directe, du contact avec le cadavre. Ce dernier délivre ses messages au praticien, notamment quand il doit fixer son choix sur la nature du fluide conservateur et dans l’observation de sa diffusion plus ou moins facile et bien répartie dans les tissus.

Quelque part, chaque soin est unique et demande une forme de dialogue entre le cadavre et le praticien. Cela, c’est la technique. Sur le plan psychologique, il y a plus subtil. L’intervention thanatopraxique confronte le praticien au sang mais aussi aux régions du corps qui soit présentent un danger bio, soit restent expressives en termes de personnalité du défunt. Le regard, donc les yeux, s’imposent par leur expression finale dont le professionnel peut garder un vif souvenir. Personnellement, je garde en mémoire l’expression horrible du visage de jeunes morts brûlés dans un accident d’auto. Je me rappelle aussi le regard étonné, surpris, d’un colonel qui est mort d’une balle entre les deux yeux (suicide). Ceci à titre d’exemples de souvenirs.

Le thanatopracteur intervient avec la particularité de la durée de son intervention sur le cadavre en l’abordant le plus souvent dans la solitude. Je n’irai pas plus loin dans la description de cette spécialité car les thanatopracteurs représentent la partie la plus loquace de la filière, tant par écrit papier que sur Internet. Je voulais simplement signaler cette particularité du face-à-face avec le cadavre dans ses moindres détails et dans la durée (une heure en moyenne) et souligner que la technique est impuissante, heureusement, pour gommer les aspects psychologiques que suscite le contact du praticien avec l’intimité du défunt. À n’en pas douter, cet aspect de la spécialité mériterait à lui seul un article…

- Le binôme de brancardiers

Les transports avant mise en bière doivent s’effectuer à deux pour assurer la sécurité des manipulations. Il va de soi que le contact avec le défunt est extrêmement sensible à ce stade car le cadavre est souvent souple et encore tiède, objet d’un habillage parfois précédé d’une toilette plus ou moins sommaire, selon les cas. Cette situation semble une sorte d’entre-deux, entre la vie et la mort concernant le défunt qui par définition était encore vivant quelques heures auparavant. Très naturellement, les professionnels qui interviennent à ce premier stade des funérailles ont tendance à se comporter comme des brancardiers au service des malades. C’est comme si le mort était encore là. On lui parle parfois, comme s’il pouvait encore entendre.

- Le binôme appelé aux réquisitions

C’est un cas très particulier car l’intervention sur convocation d’ordre public correspond à une multiplicité de circonstances. Le plus souvent, ce type d’intervention mène à confronter des situations très diverses qui peuvent être traumatisantes psychologiquement ou tout du moins, marquer pour toujours la mémoire du professionnel. Dans mon cas personnel, ma conscience est marquée par le relevé d’un enfant passé sous un camion à la sortie de l’école, d’une adolescente massacrée à coups de batte de baseball (affaire de drogue), d’un suicide sanguinolent dont les épanchements ont provoqué la rupture de la fermeture de la housse dans un escalier, ce qui m’a inondé de la tête aux pieds car je tenais le défunt à bras le corps, etc.

Je n’ai pas envie de vous exposer la longue liste de souvenirs assez glauques qui ont jalonné ma carrière mais je pense utile de souligner ce qui se passe dans toute intervention sur réquisition et comment s’articule généralement le déroulement de l’opération. Très concrètement, il faut qu’une personne du binôme dirige l’action. En général, c’est le plus expérimenté qui encadre celui qui l’est moins. Notez que la solidarité prévaut généralement dans ces circonstances.

Le préalable incontournable est la disposition des Équipement de Protection Individuelle (EPI) et consommables d’hygiène et de manipulation. Inutile d’insister sur ce point, c’est un autre sujet sauf à préciser que celui qui achète des housses dont la glissière ou les coutures résistent mal aux manipulations est assurément quelqu’un qui n’a aucune expérience directe des difficultés rencontrées sur le terrain. Gagner quelques euros sur le prix d’une housse au détriment de l’efficacité est une attitude absurde et irresponsable.

Cela étant précisé, la réalité du terrain est souvent celle-ci : vous constatez l’éloignement prudent, voire effrayé et dégouté des policiers (qui assistent malgré tout et ensuite à l’autopsie) et quand vous vous retournez pour appeler votre auxiliaire moins expérimenté, vous constatez parfois que vous restez seul face à la difficulté (l’exemplarité et l’autorité s’imposent alors). Le cadavre peut être en pleine putréfaction, restant pour autant et parfois lourd à manipuler, insaisissable et pourtant devant être mis en housse. Un grand sentiment de solitude vous envahit alors et néanmoins, l’embarquement en housse puis sur civière s’impose. Je vous laisse deviner les trésors d’imagination qu’il faut déployer dans de telles circonstances en appartement ou en sortie de plan d’eau etc. C’est un véritable métier.

Et le rapport avec le cadavre dans de telles circonstances ? Il faut s’attacher à rester humain même dans les situations les plus pénibles. Le cadavre, si défiguré ou pourri soit-il, doit rester destinataire du plus grand respect. J’ajouterai, de la plus grande et humaine sollicitude. Et d’ajouter, à titre personnel, que j’adresse une prière émue, solidaire et discrète pour le défunt que je dois emporter. C’est mon choix personnel et je ne m’en cache pas. À aucun moment le professionnel ne doit considérer le cadavre comme une réalité dégradée, fût-il en pleine décomposition.

Il faut s’efforcer, dans de telles circonstances, de rester sensible à la dignité d’une personne décédée dans des conditions à déterminer et donc souvent difficiles sur le plan humain. Ceci est précisé pour situer le véritable enjeu : celui de rester équilibré dans un cadre professionnel traumatisant par nature (ramasser un défunt en morceaux éparpillés n’est pas facile ni naturel). La compassion pour le défunt est le seul véritable bouclier psychologique qui soit efficace dans ce type d’intervention.

"Croquer"

Saisir un cadavre pour le déplacer sur une civière ou à l’intérieur d’un cercueil nécessite un peu de méthode et de coordination. Faut-il signaler au passage l’existence des palettes de glisse qui permettent de transférer d’une surface à l’autre le cadavre sans grands efforts et avec un minimum de personnel. Mais leur utilisation n’est possible qu’en intervention au sein d’un laboratoire post-mortem, d’un plan solide à l’autre et si possible alignés l’un et l’autre à la même hauteur (chariot élévateur, civière, plan de travail).

Retenons qu’une manipulation efficace du cadavre se prouve essentiellement en circonstances difficiles comme une intervention au domicile. Ceux qui maîtrisent bien le transfert d’un corps lourd depuis un lit à surface molle vers l’intérieur d’un cercueil placé plus haut que le lit savent intervenir dans toutes les autres circonstances plus favorables. La façon d’attraper un corps (a fortiori encore souple) placé dans un lit dont la surface s’enfonce peut donc servir de référence en la matière.

Le poids d’un cadavre va spécifiquement se faire sentir à hauteur des épaules et du bassin. Il faut trois personnes pour effectuer une manipulation correcte, pas deux ni quatre. Une soulève au niveau des épaules tout en empêchant la tête de pencher en arrière. Une autre saisit au niveau ventral, à mi-hauteur entre le nombril et le pubis. Une troisième saisit par les jambes en entourant la cuisse d’un bras et la jambe de l’autre. La répartition du poids la plus égalitaire possible entre les trois intervenants ne suffit pas, il est nécessaire de coordonner l’action en décomptant jusqu’à trois pour démarrer ensemble.

Précisions techniques :

- le manipulateur débutant doit être placé "aux pieds", chargé de la saisie des jambes car c’est l’endroit du moindre poids et du moindre risque. Une bonne intervention aux pieds doit chercher à soulager le poids supporté par celui qui soulève au niveau du ventre. C’est pour cela que la saisie au niveau de la cuisse doit être la plus ferme possible ;
- le débutant ou le mauvais manipulateur se synchronise généralement mal avec les deux autres collègues. Autre défaut, il attrape le mort "du bout des doigts" alors qu’un manipulateur expérimenté n’hésite pas à saisir à bras enveloppant le corps à soulever (comme on pratiquerait une saisie au rugby).

Hygiène physique

"Un croquemort ne devrait pas dire cela". Tant pis, c’est dit : la consommation de gants à usage unique n’était pas crédible à l’échelle de la filière en France jusqu’à l’épidémie de la Covid-19. Il faut croire que le risque sanitaire était insuffisamment pris en compte par les professionnels funéraires. Ces dernières années ont renversé la tendance. Pour autant, le niveau de connaissances sanitaires dans la filière est insuffisamment partagé par tous. Le contact avec le cadavre est soit exagérément craint ou à l’inverse insuffisamment.

Quelques concepts simples doivent être connus de tous :

- éviter le contact direct du cadavre ou de ses émanations avec l’intimité physique du professionnel (peau, cheveux, air respiré, mains, yeux). L’usage des EPI n’est pas un luxe ;
- connaître la localisation possible des germes dans et sur le cadavre. Ce dernier est une enveloppe temporaire pour les germes qu’il contient et qui cherchent à en sortir dès les premières heures après le décès. Le danger bio emprunte donc toutes les voies de sortie (bouche, nez, oreilles, orifices du bassin, blessures, abcès, urines et selles, sang, escarres) ;
- gérer les manipulations à risque au niveau de la tête (rejet de gaz ou de liquides porteurs de germes) et au niveau du bassin (saisir au ventre suffisamment haut et saisir aux cuisses suffisamment bas, en se méfiant des rejets du bassin) ;
- Adapter la tenue pour travailler. La blouse protectrice est indispensable. Le calot à usage unique et les lunettes devraient être systématiquement utilisés. Proscrire la cravate et le port de bijoux et/ou de montre dans un laboratoire post-mortem ;
- Accompagner les manipulations par des précautions protectrices : visage du défunt recouvert lors de la manipulation du cadavre, désinfection préalable des plaies et abcès et isolation des plaies à risque (spray antiseptique, pose de pansement, emballage ou couverture de la zone à risque par du film alimentaire transparent) ;
- Respect d’un protocole de désinfection à l’issue de toute opération en contact avec un cadavre ;
- Disposition permanente et reconnue par tous de matériel de secours adapté aux risques encourus.

Hygiène mentale

L’exercice d’un métier sensible comme celui des pompes funèbres nécessite une ambiance de travail teintée de solidarité et de responsabilité. Chacun doit pouvoir compter sur ses collègues. C’est le "b.a.-ba" du métier comme dans toute circonstance mettant à rude épreuve l’équilibre mental des individus. Dans la difficulté, la réponse du "nous" est toujours supérieure à la réponse du "je". C’est un concept simple à comprendre et à transmettre.

Le nouveau professionnel doit rapidement assimiler la nécessité de cohésion du groupe de travail mais là où réside la difficulté, c’est surtout dans l’esprit des anciens et de l’encadrement. En effet, ce sont ces derniers qui assument souvent les lacunes et difficultés inhérentes au travail en compagnie des nouveaux-venus dans le métier. Que ce soit en binôme ou en équipe, lorsqu’un porteur ou un brancardier assume mal son rôle, ce sont ses partenaires de travail qui en assument directement les difficultés supplémentaires. C’est pourquoi le respect des équipes de travail, rodées dans leur collaboration, est à privilégier dans l’organisation des plannings d’activité.

La symbiose et la solidarité amoindrissent le choc du contact avec le cadavre et confortent chaque membre de l’équipe d’intervention. D’où la nécessité pour un ancien ou un cadre de s’armer de patience et de bienveillance à l’égard des nouvelles recrues dans le métier, surtout dans des interventions de type réquisition de police (attention à ne pas surestimer la valeur de nos habitudes de travail. Il faut rester ouvert aux suggestions…). Autre notion qui est importante : le rythme de travail. Il ne faut pas précipiter les interventions avec un planning trop serré d’activité car la relation à la famille tout comme avec le défunt ne doit pas s'effectuer dans un empressement nuisible à la sérénité.

Précision importante : l’impression que le travail s’est bien fait et que les étapes des funérailles se sont bien déroulées est bien sûr essentielle pour la famille concernée mais aussi pour le personnel funéraire. Quand les conditions psychologiques présidant le travail sont dures, il est d’autant plus nécessaire pour les professionnels d’avoir accompli leur mission du mieux possible. C’est en partie au regard de cette exigence pour leur équilibre psychologique que toute réclamation familiale remettant en question la qualité de leur travail sape inévitablement la confiance que les professionnels éprouvent pour l’utilité de leur mission. Inévitablement, pour les professionnels funéraires essuyant une réclamation familiale, le travail de leur deuil au quotidien se complique considérablement et peut déboucher sur une démotivation, voire une démission.

Dernier écueil enfin : le constat d’une banalisation courante des rapports avec les cadavres en général dans l’espace technique des bâtiments funéraires. Il y a souvent paradoxe entre la sensibilité manifestée en cérémonie et l’indifférence "utilitaire" qui gouverne la conservation des cadavres en espaces techniques. Même s’il est compréhensible d’organiser le fonctionnement de tout établissement avec des objectifs rigoureux d’organisation interne, gardons constamment à l’esprit qu’un cadavre reste un défunt et qu’un défunt reste un "presque vivant". C’est à ce prix, teinté de respect et d’humanité, que le professionnel funéraire peut espérer pratiquer longtemps son métier sans en ressortir abimé intérieurement…
 
Olivier Gehin
Professionnel funéraire

Résonance n° 189 - Mars 2023

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations