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Le 3 juillet 2023, France 3 diffusait un documentaire intitulé "Canicule 2023, vingt ans déjà". L’occasion de revenir sur un événement devenu aujourd’hui emblématique de la prise de conscience du réchauffement climatique, qui démontrera l’impréparation de notre système de santé et qui marquera à jamais la mémoire des opérateurs funéraires qui ont su faire face à un afflux de décès jusque-là encore inédit en temps de paix. Si cet événement a constitué une réelle prise de conscience des pouvoirs publics sur les insuffisances du système de santé, force est de constater que le domaine funéraire n’a pas bénéficié des mêmes avancées, ainsi que n’a pas manqué de nous le rappeler la pandémie de la Covid-19.


Si les épisodes caniculaires n’étaient pas des phénomènes pleinement inconnus en 2003, ceux-ci demeuraient encore exceptionnels et souvent associés à l’insouciance du soleil des vacances. À cette époque, la célèbre canicule de 1976, survenue moins de trente ans auparavant, était encore dans les mémoires pour avoir vu l’instauration d’un "impôt sécheresse" exceptionnel, mais les 4 500 morts surnuméraires comptabilisés entre la fin juin et le début du mois de juillet étaient largement passés inaperçus. En 2003, les fortes températures ne sont pas encore considérées comme un facteur de risque sanitaire. Pas moins de quinze mille personnes le paieront de leur vie.

Un système de santé dépassé

C’est ainsi qu’au début du mois d’août 2003 l’effet de surprise est total. Si le SAMU de Paris enregistre un nombre d’appels étonnamment élevé pour la période, on s’interrogera sur la possibilité d’une épidémie, une éventuelle grippe estivale à côté de laquelle les autorités sanitaires seraient passées. Mais les services de secours et le corps médical seront rapidement rattrapés par l’évidence : les fortes chaleurs et les températures nocturnes inhabituellement élevées et qui s’inscriront dans la durée sont la cause du flux anormal de patients dans les services d’urgence et de la discrète augmentation des décès qui caractérise les premiers jours du mois d’août.

La canicule de 2003 se singularise de façon inédite par sa durée très longue (une quinzaine de jours), par des records de températures battus (à Paris, la température dépasse pour la première fois les 39 °, avec neuf jours consécutifs supérieurs à 35 °) et par des températures nocturnes élevées, en particulier en Île-de-France du fait de sa forte urbanisation.

La chaleur fatigue et, lorsqu’elle s’inscrit dans le temps, emporte de lourdes conséquences sur la santé, en particulier chez les personnes âgées qui ressentent peu la soif. Durant cette période estivale, beaucoup d’entre elles sont isolées dans leurs logements, et les EHPAD ne sont, à l’époque, que très peu équipés de ventilateurs et de climatisation, et l’on manque de perfusions dont l’approvisionnement est rendu difficile par la période de congés.

Le 5 août, soit près de cinq jours après le début de l’épisode caniculaire, la Direction générale de la santé (DGS) s’inquiète à peine de l’augmentation des températures, alors que les premiers morts de la canicule sont constatés en Espagne, et nombreux sont les citadins à constater une fréquence inhabituelle du passage des sirènes de véhicules de secours.

Le 6 août, les hôpitaux d’Île-de-France sont saturés. Il n’y a plus de lits disponibles et les patients s’entassent sur des brancards dans les couloirs des hôpitaux. On enregistre une augmentation inhabituelle des morts aux urgences et le SAMU est de plus en plus sollicité pour arrêts cardiaques.

Le 8 août, un communiqué de la DGS rappelle les recommandations liées aux fortes chaleurs et signale une pollution à l’ozone (se couvrir la tête, boire, éviter les efforts physiques, etc.), mais se garde de toute alerte alarmiste.

Le 9 août, le journal Le Parisien, en recoupant diverses sources, titre : "Canicule : quatorze morts en deux jours". On prend enfin conscience que quelque chose se passe, et, dès le 10 août, un important clivage apparaît entre le corps médical et les autorités de santé, qui, malgré tout, persisteront à considérer que la situation n’est pas alarmante par la voix de leur ministre, interviewé le 11 août au 20 h de TF1 en direct de son lieu de vacances.

Nous sommes pourtant au cœur de la crise. En effet, les statistiques de l’INSEE indiqueront, mais bien plus tard, que les nuits les plus meurtrières auront été celles des 10, 11 et 12 août.

Le 12 août, la prise de conscience des autorités de santé commence à émerger. L’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (APHP) libère des lits en reportant les opérations non urgentes, et l’on envisage de rappeler le personnel hospitalier en congés (Plan blanc).

Le 14 août, Le Parisien constate cette fois un surcroît de 2 000 morts en Île-de-France par rapport à 2002. Mais ce n’est finalement que le 15 août que le Gouvernement, dans l’impossibilité de recueillir des données statistiques fiables, tiendra une réunion interministérielle de crise caractérisée par l’extension du Plan blanc à l’ensemble du territoire national. Si la réaction du Gouvernent est forte, elle est hélas bien trop tardive. L’intensité de l’épisode caniculaire commence à décliner et la période la plus meurtrière est passée.

Des services funéraires débordés

Entre le 1er et le 20 août 2003, la surmortalité enregistrée avoisine les 15 000 morts en France. Un tiers des victimes habite en Île-de-France. À Paris, au cours des seules journées des 10, 11 et 12 août, la mortalité quotidienne passe de 38 décès à 700. Rapidement, les services funéraires se trouvent confrontés à l’insuffisance de leurs moyens. Les transports avant mise en bière ont lieu de façon continue jour et nuit, souvent dans des véhicules collectifs réfrigérés aménagés spécialement. Le personnel funéraire est épuisé.

Les 650 places de l’institut médico-légal de Paris, incluant sa "salle catastrophe", sont rapidement occupées, et celui-ci fermera subitement ses portes le 13 août. Afin de poursuivre l’accueil des corps, dans un état souvent très dégradé et peu présentable aux familles, des semi-remorques réfrigérés de transport alimentaire sont d’abord réquisitionnées par la préfecture, avant que ne soit réquisitionné un entrepôt entier au Marché de Rungis.

Les délais d’organisation d’obsèques s’allongent, jusqu’à 10 à 15 jours, et les délais de dérogation préfectorale sont augmentés.

Si une cellule de la mairie de Paris a permis de retrouver plus de 300 familles, Le Parisien publie le 31 août une liste de 63 personnes décédées non réclamées par leurs proches. Finalement, ce sont 57 défunts non réclamés qui seront inhumés le 3 septembre au cimetière parisien de Thiais, à l’occasion d’une cérémonie solennelle en présence du Président de la République.

Quelles leçons sur le plan sanitaire et social ?

La commission d’enquête parlementaire, dirigée par le député Claude Evin, qui s’ouvrira au lendemain de l’épisode caniculaire, mettra en évidence que certaines autorités publiques avaient sciemment refusé de communiquer, en particulier à la presse, sur la gravité de la situation sanitaire et le nombre de morts pour ne pas inquiéter la population.

La commission constatera, ainsi que le soulignera le ministre de la Santé lors de son audition, que "notre système de santé centralisé, cloisonné, est resté inopérant", dans un contexte de congés où la quasi-totalité des autorités et des chefs d’administration étaient en vacances.

De nombreux dispositifs seront mis en œuvre sur le plan sanitaire et social pour veiller sur les personnes âgées et équiper les maisons de retraite de salles climatisées. Sera également instaurée la journée de solidarité (historiquement le lundi de Pentecôte) pour financer la dépendance. Enfin, les alertes météorologiques intégreront progressivement le risque sanitaire.

Et en matière funéraire ?

À l’instar du personnel de santé, force est de constater que les acteurs funéraires n’ont pas non plus été entendus lorsque ceux-ci alertaient les autorités publiques de l’augmentation brutale du nombre de décès. La pandémie de la Covid-19 nous l’a rappelé, la principale difficulté résidait dans le fait que les statistiques quotidiennes du nombre de décès ne sont connues qu’après un délai de plusieurs semaines, nécessaire à l’enregistrement des certificats de décès sur support papier par les autorités sanitaires.

Conscient de cette difficulté, le Gouvernement prendra un décret le 27 juillet 2006 créant un art. R. 2213-1-1 au Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) afin d’instituer le certificat de décès électronique. Mais en février 2020, soit près de 14 ans après son institution, lorsque éclate la pandémie de la Covid-19, le certificat de décès électronique est encore loin d’être généralisé, se limitant encore aux hôpitaux et à quelques sous-régions dans lesquelles le dispositif a été instauré, souvent à titre expérimental. Et trois ans après, on ne peut que déplorer de maigres progrès.

Ainsi, vingt ans après la canicule de 2003 et trois ans après le début de la pandémie de la Covid-19, force est de conclure que nos autorités sanitaires seraient toujours en peine de connaître en temps réel avec précision une évolution brutale de la mortalité, rendant ainsi impossible la prise de mesures urgentes et utiles à la prise en charge d’une augmentation massive des décès.
 
Me Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris

Résonance n° 194 - Août 2023

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