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La question n’est pas nouvelle et embarrasse de plus en plus les communes à forte population musulmane désireuse d’inhumer leurs défunts selon les rites et prescriptions de leur religion. L’inflation des demandes spécifiques a été en outre accélérée ces deux dernières années par l’épidémie de la Covid-19 qui a eu pour effet d’interdire les rapatriements de dépouilles vers le pays d’origine des défunts, solution largement plébiscitée par les personnes les plus observantes des règles religieuses. Si la création de carrés confessionnels, sans réels fondements juridiques, a pu constituer une solution, celle-ci se heurte à l’absence de règles législatives, elles-mêmes freinées dans leur adoption par le sacrosaint principe de laïcité dont découle le principe de neutralité du cimetière.


La laïcité et le principe de neutralité du cimetière

La création de nos cimetières modernes au début du XIXe siècle répondait essentiellement à des préoccupations d’hygiène et de salubrité publiques. On interdit les inhumations au sein des édifices cultuels et à leurs abords, et on l’on déménage les cimetières à l’extérieur des bourgs et des villes. La question religieuse de ce début du XIXe siècle poursuit un objectif d’apaisement après les années troubles de la Révolution. Et la question n’est au fond pas difficile à régler dans une France en quasi-totalité catholique et où n’existe que de très petites communautés juives et protestantes.

Ainsi, l’art. 15 du décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) prévoyait que : "Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’inhumation particulier ; et dans le cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagera par des murs, haies ou fossés en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune et en proportionnant cet espace au nombre d’habitants de chaque culte."

L’avènement de la IIIe République dans le dernier quart du XIXe siècle, qui connaîtra une forte montée d’anticléricalisme, fera émerger le principe de laïcité caractérisé par la neutralité de l’État et des services publics. C’est ainsi que la loi du 14 novembre 1881, dite loi sur la neutralité des cimetières, abrogera expressément l’art. 15 du décret du 23 prairial an XII dans un article unique. Dans le même esprit, la loi du 15 novembre 1887 permettra à chacun de "régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner".

La loi du 28 décembre 1904 prévoira quant à elle que "le droit attribué aux fabriques et consistoires de faire seuls toutes les fournitures quelconques nécessaires pour les enterrements et pour la pompe et la décence des funérailles, en ce qui concerne le service extérieur, cessera d'exister à dater de la promulgation de la présente loi" (art. 1) et que "le service extérieur des pompes funèbres […], appartient aux communes, à titre de service public" (art. 2).

Enfin, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État disposera qu’"il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions" (art. 28).

Le développement de l’islam en France : relance du débat sur la laïcité

Si la présence de l’islam en France est encore très anecdotique au début du XXe siècle, le développement de l’Empire colonial, mais surtout son démantèlement à partir de la décennie 1960 et les vagues migratoires qui en découleront, érigera l’islam au rang de deuxième religion présente en France. Cependant, force est de constater que les pouvoirs publics n’en prendront pas la pleine mesure, et laisseront trop longtemps de côté la question de la conciliation entre pratique de l’islam et respect du principe de laïcité.

Des limites ont cependant été posées assez tôt dans les cimetières. En effet, dans une circulaire du 28 novembre 1975, le ministre de l’Intérieur recommande "d’accéder aux demandes particulières des familles de confession musulmane en ce qui concerne les prescriptions religieuses ou coutumières relatives aux funérailles et à l’inhumation de leurs défunts, sous réserve du respect de la réglementation en matière sanitaire et d’hygiène".

Les carrés confessionnels : une solution de fait

Les religions juive et musulmane tendent à imposer des règles spécifiques en matière d’inhumation conduisant ainsi à des demandes fortes de regroupement des sépultures, conduisant ainsi à la création de carrés confessionnels. Bien que créant une séparation, caractérisant ainsi un phénomène de communautarisation et une atteinte évidente au principe de laïcité, les pouvoirs publics, à travers plusieurs circulaires du ministre de l’Intérieur des 28 novembre 1975, 14 février 1991 et 19 février 2008, notamment, ont largement encouragé la création de carrés confessionnels.

Ainsi, par exemple à l’occasion de la circulaire de 1991, le ministre de l’Intérieur, après avoir rappelé le caractère illégal des carrés confessionnels indique que "la création de carrés confessionnels au sein des cimetières communaux, préconisée par la circulaire du 28 novembre 1975, paraît être seule de nature à répondre aux demandes particulières émanant des familles de confession musulmane en ce qui concerne l’inhumation de leurs défunts, dans le respect du droit existant".

Et le Conseil d’État d’indiquer dans son rapport public en 2004 : "L’institution de carrés confessionnels dans les cimetières n’est pas possible en droit. Toutefois, en pratique, les carrés confessionnels sont admis et même encouragés par les pouvoirs publics afin de répondre aux demandes des familles, de confession musulmane notamment, de voir se créer dans les cimetières des lieux d’inhumation réservés à leurs membres."

La création de ces carrés s’inscrit donc, en droit, dans une logique de "regroupements de fait" de sépultures, et non dans la réelle création de carrés confessionnels, solution déjà dégagée de façon ancienne par le Conseil d’État (CE, 21 janvier 1925, Vales), pour autant que "les principes de neutralité des parties publiques du cimetière et de liberté de choix de sépulture de la famille soient respectés".

Les "règles" applicables aux carrés confessionnels

En dépit de leur illégalité, il découle des diverses circulaires en la matière quelques règles auxquelles il conviendra que les maires se conforment s’agissant des carrés confessionnels des cimetières de leur commune.

En premier lieu, il est rappelé que les carrés confessionnels sont avant tout des espaces permettant l’orientation des sépultures, en particulier vers la Mecque, s’agissant des sépultures à caractère musulman. De toute évidence, afin d’optimiser l’espace restreint des cimetières, toutes les sépultures d’une division doivent être orientées dans le même sens. Ainsi, la création de carrés musulmans a un caractère pratico-pratique qui ne porte au fond que peu atteinte au principe de neutralité du cimetière, puisqu’il s’agit simplement de satisfaire à une demande d’orientation des tombes de la part de la communauté religieuse. Ce n’est finalement que la conséquence de ce regroupement qui, en un sens, pourrait porter atteinte à la neutralité du cimetière.

En second lieu, la demande d’inhumation dans un carré musulman doit émaner de la famille du défunt ou de ses proches, auxquels il ne peut en aucun cas être refusé une inhumation dans les autres parties du cimetière. De même, l’attribution d’un emplacement dans un carré confessionnel relève des seuls pouvoirs de police du maire et ne saurait être subordonnée à une quelconque autorisation d’une instance religieuse.

Les recommandations aux maires posées par la circulaire du 19 février 2008

En adoptant la loi du 19 décembre 2008, le législateur intervenait pour la première fois de façon importante depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 janvier 1993. Cependant, il n’abordera pas le sujet très épineux des carrés confessionnels, laissant le ministre de l’Intérieur s’en saisir par voie de circulaire en posant un certain nombre de principes et recommandations à l’attention des préfets :

Pour répondre favorablement aux familles souhaitant que leurs défunts reposent auprès de coreligionnaires, je vous demande d’encourager les maires à favoriser, en fonction des demandes, l'existence d'espaces regroupant les défunts de même confession, en prenant soin de respecter le principe de neutralité des parties communes du cimetière ainsi que le principe de liberté de croyance individuelle.

À cet effet, vous leur rappellerez les principes et les recommandations particulières suivantes :

• La décision d’aménager des espaces ou carrés confessionnels dans le cimetière communal ou d’accepter l’inhumation d’un défunt ne résidant pas dans la commune appartient au maire et à lui seul ; il s’agit d’un de ses pouvoirs propres et il ne vous appartient pas de vous substituer à lui pour prendre cette décision qui, si elle peut paraître souhaitable, ne présente toutefois qu’un caractère facultatif. Le maire a toute latitude pour apprécier l’opportunité de créer ou non un espace confessionnel.

• Le maire doit veiller à ce que les parties publiques du cimetière ne comportent aucun signe distinctif de nature confessionnelle. L’espace confessionnel ne doit pas être isolé des autres parties du cimetière par une séparation matérielle de quelque nature qu’elle soit, conformément à la loi du 14 novembre 1881.

• Toute personne ayant droit à une sépulture dans le cimetière de la commune, au sens de l’art. L. 2223-3 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), doit pouvoir s’y faire inhumer quelle que soit sa religion et sans contrainte. Dans la mesure où il existe un espace confessionnel, il revient à la famille ou, à défaut, à un proche de faire la demande expresse de l’inhumation du défunt dans cet espace, le maire n’ayant pas à décider, de sa propre initiative, le lieu de sépulture en fonction de la confession supposée du défunt, ni de vérifier la qualité confessionnelle du défunt auprès d’une autorité religieuse ou de toute autre personne susceptible de le renseigner sur l’appartenance religieuse du défunt. Il se limitera à enregistrer le vœu du défunt ou la demande de la famille ou de la personne habilitée à régler les funérailles.

Dans l’arrêt du 5 juillet 1993, affaire Darmon, le tribunal administratif de Grenoble a, ainsi, considéré que le maire ne pouvait se fonder exclusivement sur la circonstance que les autorités consistoriales déniaient l’appartenance à la confession israélite de la personne décédée, qui souhaitait se faire enterrer près de son défunt mari, pour refuser une concession funéraire dans le "carré juif" d’un cimetière communal.

• La famille du défunt décide librement de l’emplacement d’une éventuelle stèle sur la sépulture ou de l’aspect extérieur de celle-ci, en individualisant la sépulture par la pose de plaque funéraire, de signes ou emblèmes religieux, sous la seule réserve que le parti pris ne soit pas choquant pour les autres familles ayant une tombe dans le cimetière et susceptible de provoquer des troubles à l’ordre public.

• Il peut ainsi arriver qu’une personne ne partageant pas la confession d'un précédent défunt ait explicitement souhaité se faire enterrer aux côtés d’un proche, ou que sa famille ait estimé conforme aux vœux du défunt de l’inhumer au sein d’un espace confessionnel près d’un parent ou d'un proche ou dans un caveau familial inséré dans un espace confessionnel. Il pourra être indiqué au maire que, pour respecter le souhait du défunt ou des familles, il serait souhaitable de faire droit à la demande d'inhumation dans l'espace confessionnel en évitant de dénaturer cet espace.

Il convient de souligner toutefois qu’un accommodement raisonnable en la matière suppose de ne pas apposer sur la sépulture du défunt un signe ou emblème religieux qui dénaturerait l'espace et pourrait heurter certaines familles. L’art. R. 2223-8 du CGCT prévoit qu’aucune inscription ne peut être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funéraires sans avoir été préalablement soumise à l’approbation du maire. Celui-ci peut, en effet, s’opposer au projet d’inscription funéraire, sur le fondement de ses pouvoirs de police visant à assurer l’ordre public et la décence dans le cimetière.

• L’ensemble des règles et prescriptions en matière d’hygiène et de salubrité, notamment celles relatives à la conservation des corps et à leur mise en bière, doivent être strictement respectées ; l’inhumation directement en pleine terre et sans cercueil ne peut être acceptée (art. R. 2213-15 du CGCT).

• Lorsqu’une commune reprend, dans les conditions fixées par le CGCT, l’emplacement d’une sépulture en terrain commun ou celui d’une concession privée, les restes des corps exhumés doivent être déposés à l’ossuaire communal. Les communes dotées d’un espace confessionnel dans leur cimetière devront être invitées à créer, autant que faire se peut, un ossuaire réservé aux restes des défunts de même confession.


Le cas particulier de l’Alsace-Moselle

Dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de Moselle, la loi du 14 novembre 1881 ne trouve pas à s’appliquer. Ainsi, les dispositions de l’art. 15 du décret du 23 prairial an XII continuent de s’appliquer. Elles sont aujourd’hui codifiées à l’art. L. 2542-12 du CGCT : "Dans les communes où on professe plusieurs cultes, chaque culte a un lieu d'inhumation particulier. Lorsqu'il n'y a qu'un seul cimetière, on le partage par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu'il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune, et en proportionnant cet espace au nombre d'habitants de chaque culte."

Cependant, ainsi que le rappelle la circulaire de 2008 : "Selon la jurisprudence administrative, ces dispositions, visant à prévenir les troubles à l'ordre public dans les cimetières, ne présentent pas un caractère obligatoire. Il appartient au maire, chargé de la police municipale, de décider, en fonction de la situation locale, de l'organisation du cimetière communal, de l'instauration de cimetières confessionnels séparés ou de divisions confessionnelles au sein du cimetière. Dans les faits, de nombreux maires ont choisi, en accord avec les autorités religieuses, d'inter confessionnaliser les cimetières."

La circulaire poursuit : "Les divisions confessionnelles qui existent, conformément à l'art. L. 2542-12 du CGCT, ne s'appliquent qu'aux seuls cultes reconnus. Mais, en Alsace-Moselle, les maires peuvent également user des pouvoirs qu'ils détiennent en matière de police des funérailles et des cimetières et en particulier du pouvoir de fixer l'endroit affecté à chaque tombe, après avoir pris connaissance de l'intention précédemment exprimée par le défunt, ou manifestée par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. Ils peuvent ainsi mettre en place, si le besoin s'en fait sentir et si la situation locale le permet, des espaces confessionnels pour les cultes non reconnus, sous réserve que la neutralité du cimetière soit préservée dans les parties publiques et que cet espace ne soit pas isolé du cimetière communal."
 
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris

Résonance n° 182 - Juillet 2022

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