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TA Nîmes 13 octobre 2023, n° 2102579


Les faits : une demande d’inhumation en terrain privé

Par une demande du 23 juin 2021, la SCI Sénevé a demandé l’autorisation d’inhumer feu Maurice C à l’intérieur du lieu de culte établi sur sa propriété. Cette demande fut rejetée tant en raison de l’impossibilité de création de cimetières privés que des dispositions de l’art. L. 2223-9 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) qui régissent ce type d’inhumation dérogatoire.

La SCI demande donc au tribunal administratif (TA) l’annulation de ce refus. Même si ce jugement peut présenter un certain intérêt quant à la notion de cimetière privé, notre commentaire portera sur deux autres points : l’appréciation des lieux privés susceptibles d’accueillir une sépulture, et la compétence du préfet pour l’autoriser. Sur ce second point d’ailleurs, nous désapprouvons la solution dégagée par le juge.

L’inhumation en propriété particulière : que signifie l’expression "en dehors des villes et des bourgs" ?

Tout d’abord, il nous faut rappeler les termes mêmes de l’art. L. 2223-9 du CGCT : "Toute personne peut être enterrée sur une propriété particulière, pourvu que cette propriété soit hors de l’enceinte des villes et des bourgs et à la distance prescrite." Nous délaisserons le débat quant à la détermination de ce qui peut se définir comme une propriété particulière (cf. sur ce point : Cass. 1re civ. 13 décembre 2005, pourvoi n° 02-14.360) pour nous intéresser à la localisation de cette inhumation.

On sait que ces sépultures ne peuvent pas être implantées dans n’importe quelle propriété particulière. En effet, l’art. L. 2223-9 exige que cette propriété soit "hors de l’enceinte des villes et des bourgs". Le préfet du Gard, qui est en la matière l’autorité qui délivre l’autorisation d’inhumation (et non le maire de la commune du lieu d’inhumation), doit alors nécessairement estimer que cette condition est remplie avant d’accorder (ou non, nous le verrons plus tard) son autorisation.

Or, son refus est ici fondé sur le fait qu’il estime que Nîmes est une commune urbaine et que ce type d’inhumation y est impossible. On remarquera que, littéralement, l’art. L. 2223-9 du CGCT ne fait aucune référence à cette notion de commune urbaine. Néanmoins, on peut trouver un guide édité en 2017 par la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) :
"Pour la notion de "villes et bourgs", il est utile de se référer à celle de "communes urbaines" mentionnée aux articles L. 2223-1 et R. 2223-1 relatifs à la création et à l’agrandissement des cimetières. "L’enceinte des villes et bourgs" doit s’entendre comme le périmètre d’agglomération tel qu’évoqué dans l’art. L. 2223-1. Il s’agit du "périmètre extérieur des constructions groupées ou des enclos" (CE 23 décembre 1887, Torret : Rec. CE p. 854). Le juge administratif contrôle le respect de ces dispositions par le préfet à l’occasion du contentieux des autorisations d’inhumer en terrain privé (CE 21 janvier 1987,
M. Risterucci, req. n° 56133)."

Naturellement, ainsi que le rappelle le juge, ce guide n’a aucune valeur juridique, mais il est assez logique que l’Administration s’aligne sur ses positions. On remarquera, d’ailleurs, que cette position n’est que le dernier avatar d’une longue prise de positions administratives. En effet, une circulaire ancienne (circ. n° 75-669, 29 décembre 1975 Mon. TP 19 juin 1978, p. 189, non reprise sur le site circulaires.gouv.fr) recommandait déjà d’assimiler pour cette définition cette expression, à "la superficie indiquée au Plan Occupation des Sols  (POS) comme zone urbaine", à défaut d’un document d’urbanisme d’utiliser la notion de "périmètre d’agglomération" conformément à la jurisprudence Torret (CE 23 décembre 1887, Torret : Rec. CE p. 854), c’est-à-dire "les périmètres extérieurs des constructions groupées ou des enclos qu’ils joignent immédiatement".

Le ministre relevait alors même la proximité de cette notion avec celle utilisée par le Code de la route, où l’agglomération est "tout groupement d’immeubles bâtis, rapprochés, sinon contigus bordant l’un ou l’autre côté de la route en lui donnant l’aspect d’une rue".

Ainsi, c’est à notre sens l’invocation de cette exigibilité que la commune du lieu d’inhumation projetée ne soit pas une commune urbaine qui est sanctionnée, et non pas tant une erreur de l’administration rédactrice du guide. Il s’agit plutôt de la position préfectorale qui ne retint du guide que cette notion, en privilégiant cette notion au détriment de celle du périmètre aggloméré, car le juge relève "que la propriété de la SCI Sénevé, prévue pour l’inhumation de feu Maurice C, se situe route de Générac, en pleine campagne et à 6,5 km au sud-ouest du centre de la partie agglomérée de la ville de Nîmes et à 3,3 km de la commune de Caissargues.

Par conséquent, dès lors qu’elle ne se situe pas dans la partie agglomérée de la ville de Nîmes, elle doit être regardée comme se situant hors de l’enceinte des villes et bourgs au sens de l’art. L. 2223-9 précité du CGCT". D’une certaine façon, le texte de la DGCL, écarté péremptoirement et avec raison (sur sa normativité) par le juge, ne dit pas autre chose. En l’espèce, le refus du préfet repose sur un mauvais fondement.

Le juge relève également que les dispositions invoquées par la préfecture, à l’appui de son refus, à savoir les articles L. 2223-1 et R. 2223-1 du CGCT, ne concernent que la création et l’agrandissement de cimetière, ce qui n’est pas en cause ici. C’est oublier que, dans l’arrêt Risterucci (précité), le Conseil d’État rendit sa décision aux visas de ces mêmes dispositions (alors codifiées à l’art. L. 361-1 du Code des communes).

De même, c’est dans cet arrêt Risterucci que le juge définit ce que veut dire "la distance prescrite" de l’art. L. 2223-9 qui l’exige, mais sans la dénommer. Le juge y combine l’art. L. 2223-9 avec l’art. L. 2223-1 du CGCT qui dispose que : "La création, l’agrandissement et la translation d’un cimetière sont décidés par le conseil municipal. Toutefois, dans les communes urbaines et à l’intérieur des périmètres d’agglomération, la création, l’agrandissement et la translation d’un cimetière à moins de 35 mètres des habitations sont autorisés par arrêté du représentant de l’État dans le département."

Il en tire alors la conclusion suivant laquelle cette distance prescrite est de 35 mètres. Or, dans cet arrêt, le juge la fixe à 35 mètres en l’alignant sur le régime de la création de cimetière soumis à autorisation préfectorale, ce qui relève d’une certaine logique, puisque ces deux autorisations sont accordées par la même autorité. Rappelons d’ailleurs que cette distance prescrite doit nécessairement exister dès lors que l’art. L. 2223-10 du CGCT interdit expressément une inhumation dans l’enceinte des villes et des bourgs.

In fine, la décision de refus du préfet du Var est annulée, ce qui semble assez logique en raison de sa mauvaise motivation. Néanmoins, le juge ne s’arrête pas là, et enjoint à l’Administration de délivrer cette autorisation d’inhumation. Faut-il en considérer qu’ici le préfet est en situation de compétence liée et qu’à chaque fois qu’une personne veut se faire inhumer dans une propriété privée, dès lors qu’elle en remplit les conditions de localisation, ce vœu devra être exaucé ? À vrai dire, nous en doutons fort.

L’inhumation en terrain privé : une possibilité offerte à tous ?

Rappelons que ce pouvoir du préfet est totalement discrétionnaire et ne se justifie le plus souvent (en pratique) que par l’existence de traditions locales ou familiales. L’octroi d’une telle autorisation ne signifiera aucunement que l’autorité publique acceptera d’autres inhumations en ce lieu. Le refus d’inhumation en terrain privé a déjà pu, par exemple, être fondé sur les risques d’atteinte à l’ordre public. Ainsi, le Conseil d’État (CE, 12 mai 2004, Association du Vajra Triomphant, req. n° 253341) a refusé l’inhumation en terrain privé de Gilbert Haubourdin, alias le "Mandarom". L’autorisation d’inhumer en terrain privé sera exclusivement individuelle. Elle ne confère donc aucun droit d’inhumation dans le même terrain privé aux autres membres de la famille.

De prime abord, ce droit à la sépulture dans une propriété particulière découlerait d’une lecture littérale de l’art. L. 2223-9 du CGCT, puisque celui-ci indique que "toute personne peut être enterrée sur une propriété particulière". Il n’existerait donc aucune condition à remplir que de disposer d’une propriété particulière hors de l’enceinte des villes et des bourgs et à la distance prescrite. Il faut se souvenir que cet article du Code est issu du décret du 23 prairial an XII, et à cette époque, cette compétence relevait d’ailleurs du maire.

La jurisprudence lorsqu’elle en eut l’occasion, s’empara de ce dispositif pour le restreindre, en précisant que la règle était bien l’inhumation dans le cimetière public (Crim 14 avril 1838; Crim 11 juillet 1856, cités et commentés par Georges Chaillot, Le Droit des sépultures en France, Éditions Pro Roc, avril 2004, p. 428 et ss). Le juge judiciaire y affirme par exemple que : "L’art. 16 du décret impérial du 23 prairial an XII a conféré à ces administrations le droit d’interdire toute inhumation, ailleurs que dans le cimetière commun." Le Conseil d’État pris expressément la même position dans un avis du 17 septembre 1964 (n° 289-259, reproduit in "Code pratique des opérations funéraires", Guillaume d’Abadie et Claude Bourriot, Le Moniteur, 2e édition, p. 1004).

Ainsi, nous pensons que la compétence préfectorale n’est pas liée mais bien discrétionnaire, et que, saisi d’une telle demande, le préfet peut toujours la refuser en ayant soin, naturellement, de motiver ce refus, par exemple en relevant que le principe demeure bien l’inhumation dans le cimetière public. Il reviendra peut-être au juge d’appel de se prononcer sur ce point.
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 197 - Novembre 2023

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