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Voici un récent jugement de tribunal administratif qui, par-delà le cas d’espèce qu’il décrit, nous permet de rappeler quelques grandes règles du contentieux des usagers des ouvrages publics.


Tribunal administratif de Grenoble, 12 mars 2025, n° 2202275

Monsieur B entretenait la sépulture de son épouse située dans le cimetière des Rebattes lorsqu’il a chuté dans une sépulture vide. Cette chute est survenue alors qu’il prenait appui sur une plaque recouvrant une sépulture voisine de celle de son épouse, et, faisant a priori l’objet d’une procédure de reprise, celle-ci céda sous son poids.

Il demande donc l'indemnisation de nombreux préjudices, la somme de 104 798,11 € au titre de ses postes de préjudices temporaires et permanents, patrimoniaux et extrapatrimoniaux, et de ses frais d’assistance à expertise. La commune garde le silence, rejetant ainsi implicitement cette demande. C’est dans ce cadre qu’intervient ce jugement.

Le cimetière est un ouvrage public

Cette qualification résulte de la jurisprudence (CE, 12 décembre 1986, Consorts Ferry, Rec. CE, p. 429 ; AJDA 1987, p. 283, obs. X. Prétot), c’est-à-dire qu’il peut se définir comme "un bien immobilier ayant fait l’objet d’un minimum d’aménagement pour répondre à une affectation d’intérêt général et bénéficiant d’un régime juridique particulièrement protecteur".

Cette qualité d’ouvrage public concerne d’ailleurs l’ensemble des constructions immobilières édifiées dans un cimetière communal, ainsi que leurs accessoires, tels les arbres des parties communes du cimetière. La qualification d’ouvrage public s’applique aux équipements et installations dont l’existence ou l’aménagement s’avèrent nécessaires au fonctionnement du service public funéraire, et de ce fait affectés au cimetière.

Il en va ainsi des clôtures, dont l’édification est obligatoire (art. R. 2223-2 du Code Général des Collectivités Territoriales – CGCT), des locaux techniques, du dépôt de la benne à ordures, et évidemment des équipements funéraires spécifiques, tels le caveau provisoire s’il en existe un, mais aussi les chapelles (CE 28 février 1973, Commune de Lagos : Rec. Lebon, p. 180), les carrés militaires communaux.

À cela il faut ajouter, si l’on prend en considération la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, les ossuaires affectés à perpétuité par arrêté du maire aux fins d’accueillir les restes des corps exhumés ainsi que les cendres des restes de corps pour lesquels le maire a fait le choix de la crémation (art. L. 2223-4 du CGCT).

La qualification d’ouvrage public vaut également pour le site cinéraire et ses composantes (art. L. 2223-2 du CGCT). Ainsi, les espaces destinés à la dispersion des cendres, l’équipement mentionnant l’identité des défunts, le columbarium et l’espace où sont implantées les cavurnes doivent être considérés comme des ouvrages publics.

Le jugement est intéressant, puisqu’il nous permet de continuer l’énumération de ce qui relève de ce régime juridique. En, effet, selon le juge, la sépulture reprise est elle aussi partie de l’ouvrage public : "Le cimetière, tout comme la sépulture reprise par la commune, étant des ouvrages publics."

Un régime de responsabilité original : la responsabilité pour dommage accidentel de travaux publics

Or, l’existence d’un tel ouvrage a pour conséquence l’application d’un régime particulier de responsabilité de l’Administration à l’encontre d’éventuels dommages pouvant survenir à l’intérieur du cimetière, voire à ses abords immédiats. Il s’agit de la théorie des dommages occasionnels de travaux.

Cette responsabilité n’emprunte pas les mêmes mécanismes suivant que l’on est usager ou tiers à l’ouvrage public, ni même lorsqu’on est participant aux travaux publics. La responsabilité pour dommage accidentel de travaux publics obéit à un régime infiniment plus favorable pour celui qui tente d’engager la responsabilité de l’Administration en tant qu’usager de l’ouvrage.

En effet, dans cette hypothèse, la faute de celle-ci est présumée. Ceci revient à dire que ce n’est pas la prétendue victime qui doit prouver la faute, mais l’Administration qui doit démontrer qu’elle n’a pas commis d’erreur.

Ainsi, le régime de la responsabilité pour dommage de travaux publics est un régime de responsabilité pour faute de l’Administration, mais avec faute présumée de celle-ci. Ce n’est pas à la victime, usager de l’ouvrage, de démontrer l’existence d’une faute, mais à l’Administration de prouver qu’il n’y avait pas faute.

Il appartient ainsi à l’usager, victime d’un dommage survenu sur un ouvrage public, de rapporter la preuve, d’une part, de la réalité de son préjudice, et, d’autre part, de l’existence d’un lien de causalité direct entre l’ouvrage et le dommage.

La collectivité en charge de l’ouvrage public doit alors, pour s’exonérer de la responsabilité qui pèse ainsi sur elle, établir soit qu’elle a normalement entretenu l’ouvrage, soit que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.

C’est à ce concept que se rapporte le juge quand il affirme que : "Il résulte de l’instruction que M. B entretenait la sépulture de son épouse située dans le cimetière des Rebattes lorsqu’il a chuté dans une sépulture vide. Le cimetière, tout comme la sépulture reprise par la commune, étant des ouvrages publics, M. B en avait la qualité d’usager."

L’exigence du défaut d’entretien normal

L’usager du cimetière en tant qu’ouvrage public est donc celui qui, au moment de la survenance du dommage, utilisait effectivement celui-ci. Sont ainsi considérés comme usagers ceux qui subissent un dommage du fait d’éléments accessoires de l’ouvrage public, par exemple un dommage provoqué par la chute d’une branche d’arbre du cimetière, ou du fait d’éléments incorporés, intégrés au cimetière, comme les plaques d’égouts dans la chaussée, les bancs scellés…

La qualité d’usager est conférée indifféremment aux usagers réguliers de l’ouvrage et aux usagers irréguliers, anormaux, de l’ouvrage. Sont concernées par exemple les personnes qui, lorsqu’elles subissent le préjudice, se trouvent dans l’enceinte du cimetière en dehors des périodes d’ouverture, soit à la suite d’une entrée par effraction, soit en raison du mauvais entretien de la clôture ou de la barrière, facilitant ainsi leur intrusion.

Les usagers du cimetière, normaux ou anormaux, réguliers ou irréguliers, n’ont aucune faute à prouver de la part de la commune ; ils doivent juste établir le lien de causalité entre l’ouvrage public et le dommage subi. Évidemment, ceux qui sont dans une situation irrégulière verront souvent l’éventuelle responsabilité de la commune tempérée par cette irrégularité.

Il pèse donc une présomption de faute sur la commune, présomption que la commune peut renverser en démontrant l’entretien normal de ses équipements ou l’existence d’un fait relevant de la force majeure. Néanmoins, ce second critère est d’application rare, puisque la jurisprudence ne retient que des évènements extérieurs à la volonté des parties, imprévisibles dans leur survenance et irrésistibles dans leurs effets.

C’est donc la notion de défaut d’entretien normal qui est la pierre angulaire de ce régime juridique. Cette notion recoupe tout à la fois l’entretien au sens strict du cimetière, mais aussi la signalisation de dangers éventuels, des arbres en mauvais état, les excavations ou les saillies d’une profondeur supérieure à 5 centimètres dans les allées publiques du cimetière (CE 12 novembre 1971, Dame veuve Baron : Rec. Lebon, p. 678), l’absence d’éclairage de ces mêmes allées, etc.

C’est la présentation rapide de cette problématique qui permet de comprendre le mode de réflexion du juge : "Il est constant que la chute de ce dernier est survenue alors qu’il prenait appui sur une plaque recouvrant une sépulture voisine de celle de son épouse, qui a cédé sous son poids. Le lien de causalité entre le dommage qu’il invoque et l’ouvrage public est donc établi, de sorte qu’il appartient à la commune d’EM-T de démontrer l’absence de défaut d’entretien normal de l’ouvrage.

Or cette plaque avait précisément été posée pour prévenir une chute dans l’excavation située dessous, alors que le cheminement entre les sépultures était étroit. L’effondrement de cette plaque entraînant la chute de M. B démontre ainsi en lui-même le défaut d’entretien normal de l’ouvrage, qui n’assurait pas au public un usage conforme à sa destination."

En tout état de cause, les insuffisances ou manquements de la collectivité ne sauraient faire oublier qu’il appartient à tout usager d’adapter son comportement aux circonstances du moment. Les usagers sont censés connaître les dangers, les aléas habituels de l’utilisation de l’ouvrage public.

Par exemple, dans les régions habituées aux chutes de verglas, et pour une route, le juge considère que seule l’absence de signalisation des événements anormaux ou exceptionnels par leur ampleur constitue un défaut d’entretien normal (CE, 3 mars 1972, Lefranc).

De la même manière, le juge prend en considération le temps de réaction ainsi que la régularité des interventions des services techniques pour envisager la responsabilité. Ne constitue pas un défaut d’entretien le défaut de signalement et d’enlèvement d’un rocher ayant causé un accident vers minuit dès lors que le service d’entretien avait effectué une ronde vers 19 h (CE, 17 mars 1971, Robin).

La responsabilité de l’Administration ne sera donc engagée que s’il est démontré un lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice ; enfin, il peut exister des facteurs d’atténuation de ce préjudice.

- L’appréciation du lien de causalité

Pour engager la responsabilité de l’Administration, il est nécessaire de démontrer qu’il existe une relation de cause à effet entre le préjudice et le fait dommageable imputable à l’Administration.

Il faut évidemment que le fait imputable à l’Administration soit la cause directe du dommage. Ainsi, par exemple, dans un tout autre domaine, mais l’exemple nous semble éclairant : le caractère direct a été établi lorsque des détenus, bénéficiaires de mesures de sortie, ont reconstitué une association criminelle quelques jours après avoir repris leur liberté et ont commis un vol à main armée deux mois plus tard (CE 1987, Banque populaire de la région économique de Strasbourg, n° 61015).

En revanche, un tel lien n’existe pas lorsqu’un délai de 6 mois s’est écoulé entre la fin d’une permission de sortie accordée à un détenu et l’agression qu’il a commise (CE, 1985, Mme Henry, n° 49928).

La causalité est souvent évidente. Cependant, si elle l’est moins, le juge a le choix entre deux méthodes pour l’établir : soit celle de "l’équivalence des conditions", où sont pris en compte tous les événements ayant contribué au dommage ; soit celle, sélective, de la "causalité adéquate", où ne sont retenues que les causes ayant eu vocation particulière à provoquer le dommage.

C’est cette deuxième méthode qu’adopte le plus souvent le juge administratif, comme le juge civil. C’est d’ailleurs cette hypothèse que le juge convoque en l’espèce : "Il est constant que la chute de ce dernier est survenue alors qu’il prenait appui sur une plaque recouvrant une sépulture voisine de celle de son épouse, qui a cédé sous son poids. Le lien de causalité entre le dommage qu’il invoque et l’ouvrage public est donc établi, de sorte qu’il appartient à la commune d’EM-T de démontrer l’absence de défaut d’entretien normal de l’ouvrage."

- Les causes exonératoires

Un certain nombre de circonstances peuvent interférer sur le lien de causalité et sont susceptibles dès lors d’exonérer partiellement ou totalement l’Administration de sa responsabilité. Le juge retient ici l’une d’entre elles, la faute de la victime : "Toutefois, en posant le pied sur cette plaque dont l’aspect permettait de douter de la solidité, et alors que l’art. 8 du règlement du cimetière interdit expressément de fouler les terrains servant de sépulture, M. B a commis une imprudence qui a participé à la réalisation de son dommage, dans une proportion qu’il convient de fixer à 50 %."

La commune est donc responsable pour ne pas avoir solidement protégé la tombe reprise, mais le comportement de la victime, qui marcha sur la tombe alors que c’était interdit par le règlement du cimetière, l’exonère pour moitié de sa faute…
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon - Chargé de cours à l’université de Lille

Résonance n° 214 - Avril 2025

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