Évolutions législatives, jurisprudentielles et doctrinales d’avril 2025.

Quand le maire doit faire du droit des successions
Cette décision éclaire une fois de plus la difficulté dans laquelle peut être placé le maire, au moment d’autoriser une inhumation dans une concession "familiale", alors qu’il lui incombe de vérifier la volonté du ou des concessionnaires d’origine et, en cas de succession, l’accord de tous les ayants droit, voire, comme c’est le cas en l’espèce, l’étendue de leurs droits.
La difficulté dans cette affaire n’est pas tant liée à la nature de la concession, familiale, mais surtout à l’absence de cohérence des actes successifs censés éclairer la volonté des titulaires d’origine de la concession ou de leurs ayants droit.
Qu’on en juge…
M. L F et son épouse Mme M B étaient titulaires d’une concession de terrain accordée le 20 janvier 1976 jusqu’au 20 janvier 2026. Ils ont, par testaments olographes du 7 mai 1985, légué au conjoint survivant, puis à M. N D, à Mmes G et J A, le droit d’être inhumés dans le caveau. En 1991 M. L F et Mme M B ont demandé et obtenu la conversion de leur concession en une concession familiale d’une durée de 99 ans.
M. L F est décédé 20 février 1995 et a été inhumé dans la concession. En 2002, son épouse, Mme M B, a fait don du caveau à son neveu, M. I B. Mme B est décédée le 25 février 2005.
À une date non précisée, M. E A, époux de Mme K B, sœur de Mme B, est décédé et a été inhumé dans la concession. À une date également non précisée, les parents de Mme M B, épouse F et de Me K B. ont été également inhumés dans la concession. Mme KB est décédée en 2018.
Sa fille, Mme J A, épouse H, a alors sollicité l’inhumation de sa mère dans le caveau familial, où étaient déjà enterrés non seulement M. E A son époux, mais aussi sa sœur Mme M B, épouse F et M. L F, acquéreurs initiaux de la concession, ainsi que les parents de Mme M B, épouse F et de Mme K B.
En réponse, le maire a indiqué être en possession de plusieurs courriers contradictoires des fondateurs de la concession l’informant de la donation de cette concession à des membres différents de la famille et ne pas disposer, par ailleurs, de la preuve de l’inhumation de M. E A dans cette concession.
En conséquence, le maire a précisé que l’inhumation de Mme K B ne pourrait être autorisée :
• qu’après la communication du livret de famille de la défunte et des fondateurs de la concession ainsi que d’une attestation sur l’honneur de tous les membres de la famille précisant :
• que les époux F n’avaient pas d’héritiers directs,
• que M. E A était inhumé dans cette concession,
• et qu’ils autorisaient l’inhumation de Mme K B dans ce caveau familial.
Le maire a ensuite précisé que, faute des documents demandés, pouvait alors convenir la production d’un acte notarié ou d’une attestation manuscrite signée de chacun des membres de la famille, indiquant que le neveu M. I B était bien désigné comme mandataire de l’indivision (successorale) aux fins de pouvoir délivrer l’autorisation d’inhumer Mme K B dans le caveau.
Une procédure en référé suspension s’en est suivie et le juge a suspendu la décision du maire. Au regard des pièces finalement produites devant lui, le maire a autorisé l’inhumation de Mme B.
Mme J A, épouse H, a alors demandé au tribunal administratif de condamner la commune à l’indemniser des préjudices matériels, financiers et moral qu’elle estime avoir subis du fait des fautes commises par la collectivité au cours des mois qui ont précédé l’inhumation de sa mère. Le tribunal administratif a rejeté sa demande indemnitaire.
Mme J A, épouse H a saisi la cour administrative d’appel. La cour revient sur les règles applicables et rappelle que selon l’art. R. 2213-31 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) : "Toute inhumation dans le cimetière d’une commune est autorisée par le maire de la commune du lieu d’inhumation […]".
Il résulte de ces dispositions qu’il incombe au maire, dans l’exercice des compétences qu’il tient des dispositions législatives, de veiller à ce qu’une personne ne soit inhumée à un emplacement ayant fait l’objet d’une concession acquise par un tiers qu’avec l’accord du titulaire de la concession.
Le maire commettrait une faute de nature à engager la responsabilité de la commune s’il autorisait l’inhumation d’une personne ne bénéficiant pas, en l’absence d’accord du titulaire de la concession, du droit d’être enterrée dans l’emprise de cette concession.
La cour, pour trancher, va devoir invoquer non seulement la police des cimetières, régie par le CGCT, mais aussi le droit civil des successions, le droit des litiges privés en matière de funérailles, voire enfin, une présomption née d’une certaine conception traditionnelle de la "concession de famille".
La cour rappelle en effet que lorsqu’une concession de famille a été conclue, l’intention de son titulaire fondateur que soient recueillis dans le caveau familial, outre le corps du concessionnaire, ceux de son conjoint, et de l’ensemble de ses successeurs, est présumée. Au décès de son fondateur, la concession de famille est en principe transmise sous forme d’indivision perpétuelle entre les héritiers.
Ainsi, les membres de la famille d’une personne qui dispose d’une concession familiale bénéficient d’un droit à y être inhumés, sous réserve de 3 conditions :
• qu’ils fassent partie de la famille du fondateur,
• que le fondateur ne les ait pas exclus expressément de ce droit,
• et qu’il subsiste des places disponibles dans le terrain concédé.
Toutefois, de son vivant, le titulaire de la concession peut donner ou léguer la concession funéraire. Dans ce dernier cas, le légataire universel ou à titre particulier dispose de tous les droits d’un concessionnaire et peut, par voie de conséquence, décider de l’inhumation de toute personne, même étrangère à la famille, si tant est que le défunt n’a pas exprimé d’opinions expresses contraires.
On sait que relèvent du juge judiciaire les litiges entre personnes privées (à l’époque du litige, le tribunal d’instance, art. 1061-1 du Code de procédure civile) selon une procédure très rapide : jugement dans les 24 h, appel dans les 24 h qui suivent et décision immédiate de la cour.
La cour administrative énonce les règles du Code civil qui permettent d’établir la preuve et la validité des donations entre vifs, c’est-à-dire l’obligation d’un acte authentique (art. 931 du Code civil) et l’acceptation du donataire lui-même par acte authentique (art. 932 de ce Code).
Tant que la donation n’est pas expressément acceptée par acte authentique, elle est révocable par le donateur. Le décès du donateur avant l’accomplissement de la formalité substantielle de la notification emporte révocation de l’offre de donation.
Par ailleurs, selon le Code civil, les testaments ne peuvent être révoqués, en tout ou en partie, que par un testament postérieur ou par un acte devant notaire portant déclaration du changement de volonté (art. 1035) ou contenant des dispositions contraires ou incompatibles avec les précédentes (art. 1036) voire par une vente par le donateur avant son décès qui vaut révocation du don (art. 1038).
Or, relève la cour, dans les testaments de 1985, l’absence de mention de l’acte de naissance des personnes désignées comme légataires de la concession funéraire, ne permet pas d’identifier avec certitude, comme étant l’un de ces légataires, Mme J A épouse H, la requérante qui, en outre et surtout, ne revendique pas cette qualité.
En l’absence de rédaction d’un nouveau testament incompatible, de la vente de la chose léguée ou de la destruction ou de l’altération volontaire du testament par les testateurs, ces testaments ne peuvent être regardés comme ayant été tacitement révoqués :
• ni par la donation consentie le 30 juillet 2002 par Mme M B, veuve de M. L F, à M. I B, son neveu, ni passée en la forme notariée, ni acceptée par le donataire sous une forme authentique,
• ni par la concession familiale contractée le 20 août 1991 par les testateurs,
Dans ces conditions, les testaments de 1985 de M. L F et de son épouse Mme M B qui transmettaient, à leurs décès, aux seules personnes limitativement mentionnées dans ces actes le droit d’être enterré à l’emplacement du terrain concédé, entraient en contradiction avec les stipulations de la concession de famille signée par les époux en 1991 qui donnaient ce droit aux concessionnaires puis, à leurs décès, le transmettaient à leurs successeurs, sans aucune limitation, hormis celle tenant au nombre de places prévu par le contrat de concession.
Les titulaires de la concession en litige, au décès de ces fondateurs, n’étaient donc pas clairement identifiés. Dès lors, il appartenait aux parties et notamment à Mme J.A épouse H de saisir le juge d’instance pour résoudre cette contradiction quant à la volonté des fondateurs.
Le maire a pu, sans entacher sa décision d’illégalité, refuser à Mme J A, épouse H, fille de la défunte, le droit d’inhumer sa mère dans le caveau familial. Par suite, la responsabilité pour faute de la commune ne peut être engagée.
À retenir
Le maire commettrait une faute de nature à engager la responsabilité de la commune s’il autorisait l’inhumation d’une personne ne bénéficiant pas, en l’absence d’accord du titulaire de la concession, du droit d’être enterrée dans l’emprise de cette concession.
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Me Philippe Nugue
Source : CAA de Toulouse, 3e chambre, 5 novembre 2024, 23TL00665, Inédit au recueil Lebon
Résonance n° 214 - Avril 2025
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