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Évolutions législatives, jurisprudentielles et doctrinales d’avril 2025.
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Une chambre funéraire construite et exploitée par un délégataire est, en fin de délégation, un bien de retour...

... Ou comment la cour administrative d’appel de Lyon a fait application des désormais célèbres jurisprudences "Commune de Douai" (CE, 21 décembre 2012, n° 342788) et "Département du Tarn-et-Garonne" (CE, 4 avril 2014, n°358994) à une chambre funéraire.

Par une délibération du 18 décembre 1987, le conseil municipal d’une commune a décidé, compte tenu des besoins locaux, de la création d’un service communal de chambre funéraire et a posé le principe d’une délégation à une société privée de pompes funèbres. Le terrain d’assiette envisagé, qui appartenait à la commune, a ensuite été vendu à la société, par acte de vente signé le 10 juin 1988, lequel précisait que "l’acquéreur déclare qu’il s’est notamment engagé à construire une chambre funéraire […] et qu’il justifiera, dans un délai de quatre ans, de la réalisation des travaux et de leur affectation".

La commune et la société ont ensuite conclu, le 27 décembre 1988, une "convention pour l’exploitation d’une chambre funéraire", comportant diverses clauses exorbitantes de droit commun (en particulier sur les modalités de contrôle de l’activité d’exploitation de la chambre funéraire), et d’une durée de 25 ans, outre possibilité de reconductions par périodes de 3 ans.

En 2019, la commune a mis fin au contrat et, afin d’assurer la continuité du service, a engagé une procédure de passation d’un contrat de concession respectant les dispositions combinées du CGCT et du Code de la commande publique, dont les dispositions relatives aux délégations de service public datent respectivement de 1993 et 2016 (l’ordonnance "concessions" ayant été codifiée en 2019).

Tout en ne participant pas à cette procédure de publicité et de mise en concurrence, la société ayant construit en 1988 la chambre funéraire a refusé de la remettre à la commune à la fin de son contrat.

Devant ce refus, la commune a saisi le tribunal administratif. Par une ordonnance du 6 octobre 2020, le tribunal administratif de Lyon a qualifié l’ensemble contractuel conclu entre la commune et la société en 1988 de Délégation de Service Public (DSP) et, en conséquence, qualifié de biens de retour les biens nécessaires à l’exploitation de ce service public de chambre funéraire, pour finalement enjoindre à la société de les remettre à la commune compte tenu de la fin dudit contrat.

La commune a donc, enfin, pu signer le nouveau contrat de DSP avec le nouvel exploitant de la chambre funéraire, le 10 décembre 2020. L’ancien cocontractant de la commune a immédiatement engagé un recours en annulation de ce contrat devant le tribunal administratif de Lyon, au motif de l’atteinte à son droit de propriété sur les ouvrages construits de ses mains en 1988.

Par une ordonnance du 3 mars 2021, le tribunal administratif a jugé irrecevable le recours de l’ancien exploitant, considérant que sa demande avait déjà été jugée par ordonnance du 6 octobre 2020. Un appel de cette ordonnance est relevé par l’ancien exploitant de la chambre funéraire.

Sans (trop) de surprise, la cour administrative d’Appel de Lyon considère que le recours de l’ancien exploitant est bien recevable, puisque, rappelle-t-elle, "tout tiers à un contrat administratif, susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles": elle fait en cela une application de la désormais célèbre jurisprudence "Département du Tarn-et-Garonne", ouvrant assez largement aux tiers la possibilité d’un recours contre un contrat administratif (ce qu’est bien une DSP d’exploitation d’une chambre funéraire).

Mais c’est pour, ensuite, rejeter au fond la requête de l’ancien exploitant que la cour administrative de Lyon a fait application de la tout aussi célèbre jurisprudence "Commune de Douai" qui a, depuis, fait l’objet de diverses précisions jurisprudentielles (cf. notamment CE, 29 juin 2018, n° 402251).

Si les principes juridiques qui suivent sont l’objet de longs développements, la netteté de ceux-ci et surtout leurs très importantes conséquences juridiques et comptables méritent toute l’attention du praticien funéraire amené à conclure une DSP :
"Dans le cadre d’une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique.

Le contrat peut attribuer au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d’une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée.

À l’expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu’elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public.

Le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession.

Lorsque la convention arrive à son terme normal ou que la personne publique la résilie avant ce terme, le concessionnaire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, lorsqu’ils n’ont pu être totalement amortis, soit en raison d’une durée du contrat inférieure à la durée de l’amortissement de ces biens, soit en raison d’une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement. 

Les règles énoncées ci-dessus trouvent également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’Administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci. Une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique dans les conditions qui ont été indiquées. Elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l’expiration de la convention, dans les conditions qui ont été indiquées."

Pour résumer : en principe, tout ouvrage établi par un délégataire de service public et qui est nécessaire à l’exercice dudit service public fait, en fin de délégation et sous réserve d’un amortissement sur une durée suffisante, retour gratuit à la collectivité, peu important le fait qu’il fut établi sur la propriété de la collectivité ou celle du délégataire. Ce sont donc les "biens de retour".

Ce régime juridique est particulièrement exigeant pour les délégataires ayant établi, sur leur propre propriété, les ouvrages nécessaires à l’exploitation du service public délégué... Mais il n’en demeure pas moins nécessaire à la continuité dudit service public lorsqu’un autre exploitant est désigné par la collectivité, ou que celle-ci reprend en régie l’exploitation.
Et c’est donc la raison pour laquelle la cour administrative de Lyon a rejeté la requête de l’ancien exploitant de la chambre funéraire. Peut-être ce dernier a-t-il saisi le Conseil d’état ?
Rien n’est moins sûr, compte tenu de la stabilité de la jurisprudence "Commune de Douai" précitée, et de son absence de contrariété à la CEDH (CEDH, 5 octobre 2023, SARL COUTTOLENC FRÈRES c. FRANCE, n° 24300/20) puisque l’atteinte au droit de propriété a été jugée nécessaire à l’intérêt public légitime de la continuité du service public, et raisonnablement proportionnée au but poursuivi. 

À retenir
Une chambre funéraire construite, dans le cadre d’un contrat de délégation de service public, sur le propre terrain du délégataire n’en demeure pas moins un bien de retour.
Me Anthony Alaimo
 
Source : CAA de Lyon, 6e chambre, 7 novembre 2024, 24LY00428, Inédit au recueil Lebon

Résonance n° 214 - Avril 2025

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