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Aujourd’hui, la majorité des techniques employées par les thanatopracteurs pour effectuer un soin de conservation comprend une injection, dans le système circulatoire du défunt, d’une solution conservatrice.


Ce geste peut paraître évident aux praticiens de nos jours, mais il est issu d’un ensemble de découvertes essentielles dans l’évolution de la médecine et de l’embaumement. Ainsi, comment pratiquer une injection sans l’invention de l’Italien Marco Gatenaria qui, au XVIe siècle, invente une seringue à lavement ? Comment imaginer même le concept "d’injection" sans la mise en évidence de la circulation sanguine par William Harvey en 1617 ?

En Italie, un homme va développer et populariser cette méthode d’embaumement. Cet homme, c’est le docteur Guiseppe Tranchina. Son succès fut tel que l’on ne tarda pas à appeler cette technique "Il Metodo Tranchiniano".

Le 7 septembre 1797, Giuseppe Tranchina naît à Palerme (probablement à Ustica). Sa famille est pauvre, mais le jeune garçon présente de singulières facilités dans l’apprentissage des sciences. Malgré les difficultés financières, la famille Tranchina soutient Giuseppe qui entre à la faculté de médecine. Ces études se verront couronnées de succès le 18 juillet 1815.

Ainsi, à l’âge de 18 ans seulement, Giuseppe Tranchina obtient le titre de docteur en médecine de l’université de Palerme. Mais le tout nouveau docteur Tranchina n’est pas homme à se contenter de ce titre. Il continue donc ses études et, le 19 janvier 1828, il devient chirurgien. L’hôpital de Palerme le recrute, et il se passionne et se consacre aux recherches sur l’embaumement. Recherches qui le rendront célèbre dans l’Europe entière. Il mettra 2 ans à obtenir des résultats probants et à finaliser sa méthode.

Tranchina

Ses premiers essais concluants, pratiqués pour préserver des pièces anatomiques en vue de l’enseignement, commencent à éveiller la curiosité des scientifiques qui l’entourent. La "bonne société" sicilienne s’intéresse de près à ce jeune homme qui prétend pouvoir empêcher la dégradation des corps après la mort. Est-ce un charlatan ? Un menteur ? Un sorcier ?

En 1833, Tranchina est mandaté pour réaliser l’embaumement du prince Corrado Valguarnera de Niscemi. Il réalise un remarquable travail. Le journal "La Cerere" fera d’élogieux articles sur la qualité de ses techniques. Pourtant, le retentissement semble faible pour Tranchina qui reste persuadé que sa méthode surpasse toutes les autres. Il comprend alors que le temps est venu de communiquer et de démontrer publiquement, dans des conditions qui seront indiscutables, la qualité de sa découverte.
Le 14 mai 1834, dans l’amphithéâtre d’anatomie de l’université de Palerme, il embaume un corps devant la presse et un public venu nombreux. Ce corps sera "ouvert" le 28 mai, c’est-à-dire 14 jours après son embaumement. L’exposition des organes permettra de constater "leur fraîcheur". Public et presse sont conquis. Le médecin est considéré, mais sa consécration viendra quelques mois plus tard.

En effet, le cardinal Giacinto Placido Zurla décède le 19 octobre 1834 au cours de son voyage d’inspection des monastères de Sicile. Le prélat de renom est un géographe spécialiste du Moyen Âge et un ami personnel du pape Grégoire XVI. Tranchina est chargé de préparer le corps afin que celui-ci soit présenté au pontife à Rome. Il applique donc au cardinal la méthode qu’il a créée.

Fier de son travail et du résultat obtenu, il accompagne lui-même la dépouille ainsi préparée jusque dans la Ville éternelle. Le corps, en parfait état de conservation, malgré le long délai séparant le décès de la présentation, est présenté à un public stupéfait de l’apparence de sommeil du cardinal. Le pape lui-même est impressionné par la qualité du travail du médecin, et décide de l’honorer du titre de chevalier de l’Ordre de l’Éperon d’or.

À Naples, les descriptions des corps conservés grâce à ce que l’on appelle à présent la "tranchiniano" n’ont pas échappé à l’inspecteur des hôpitaux militaires, le général Antonio Alvarez-y-Lobo. Il décide de faire venir Tranchina à l’hôpital de la Trinité (Naples). Deux corps sont mis à sa disposition afin de pratiquer la "tranchiniano". Le général le prévient que, lorsqu’un délai de quatre mois sera passé, les corps seront autopsiés afin de déterminer leur état de conservation.

Tranchina sait que sa carrière va dès cet instant prendre un tournant décisif. Ce seront quatre cents personnes qui assisteront à l’autopsie des deux corps. Le résultat est sans appel... Ils sont en parfait état, aucune trace de putréfaction interne ou externe, ils sont souples et ne dégagent aucune odeur. Tranchina obtient alors la somme de 3 000 ducats de la part de Ferdinando II di Borbone, et un poste de médecin en second des hôpitaux militaires de Palerme. Il doit en revanche publier sa technique, afin qu’elle puisse être répandue dans toutes les institutions et pratiquée par tous les médecins.

Le 18 mars 1835, Tranchina entre dans l’amphithéâtre de l’hôpital de la Trinité de Naples et dévoile devant un parterre de scientifiques, de politiques et de militaires, déjà acquis à sa cause, les secrets de sa méthode. Il publie également celle-ci sous le titre "Ragguaglio su la esposizione dé cadaveri col nuovo suo metodo imbalsamati dal signor Giuseppe Tranchina nell’Ospedale Generale della Trinità in Napoli il 18 marzo 1835 e su la serie delle operazioni ch’ebbero luogo il dì 11 maggio dello stesso anno nel disvelarsene da lui il processo; preceduti da un cenno storico su i diversi metodi d’imbalsamare presso gli antichi ed i moderni".

En mai 1835, le docteur Tranchina rentre à Palerme afin de prendre ses nouvelles fonctions. Tout semble alors sourire à celui-ci et il compte bien poursuivre ses recherches. Durant deux ans, c’est ce qu’il fera, tentant de perfectionner la "tranchiniano" sans parvenir à réaliser d’avancée majeure sur celle-ci. Toujours en quête de savoir médical novateur, il sera également le premier médecin à importer l’homéopathie en Sicile.

L’année 1837 verra l’arrivée d’une épidémie de choléra à Palerme, et Giuseppe Tranchina fera partie des rares médecins à ne pas fuir : il continuera à soigner les malades. Le matin du 9 juillet 1837, lui-même atteint par le mal, il rendra son dernier soupir.

La technique

La technique mise au point par le docteur Tranchina est basée sur un principe d’injection ; en effet, tout comme Berzélius quelques années auparavant, le Sicilien est persuadé que, pour améliorer la dispersion dans l’organisme du liquide conservateur, il est nécessaire de l’injecter dans les vaisseaux. Mais, là où Berzélius avait échoué, Tranchina va réussir.

Partant d’un postulat somme tout assez simple : "Lorsque la mort survient, le sang cesse de circuler et la décomposition commence à faire son œuvre, il devient alors compliqué de la stopper. Mais que se passe-t-il si l’on remplace le sang par un produit antiseptique ?" Il va donc commencer à élaborer ce qu’il appelle un "sang artificiel". Ce faux sang consisterait en un produit antiseptique et colorant, permettant de lutter contre la décomposition du corps et son aspect "cadavérique".

Pour ce faire, il va tester énormément de substances. Son choix dans les produits antiseptiques s’arrêtera sur l’arsenic, qu’il complétera d’un colorant que l’on trouve en Italie : le "cinabre". Ses composants de base sont prêts. Il lui reste à en tester le dosage afin d’optimiser l’effet des produits. Au terme d’une longue série de tests, il réussit à déterminer une "recette" qui lui semble efficace ; elle se compose de deux livres d’arsenic, réduit en poudre très fine colorée avec un peu de "cinabre" ou "minium", le tout dissous dans 20 livres d’eau (une livre à cette époque correspond approximativement à 500 grammes).

Le second intérêt de cette formule, après son efficacité, est son faible coût de revient, ce qui la met à la portée du plus grand nombre. Tranchina détermine également que l’eau est remplaçable par de l’alcool pour obtenir une conservation à long terme (et un durcissement du corps).

Le produit étant à présent composé, Tranchina va se pencher sur la technique à employer pour l’introduction de celui-ci dans l’organisme, et il arrêtera la technique suivante : il pratique tout d’abord une incision verticale de quelques centimètres afin de découvrir l’artère carotide gauche. Il ouvre celle-ci, ajuste une canule dans l’artère et injecte alors la solution préalablement préparée. Il continue l’injection jusqu’à ce que le liquide revienne par le bout supérieur de l’artère, il lie alors l’artère. Il obture la bouche après y avoir placé un tampon composé de charpie et imbibé du même liquide conservateur, afin d’éviter certains reflux de liquides injectés. Enfin, il injecte dans la cavité abdominale une quantité importante de sa préparation.

L’opération est maintenant terminée, et les expériences réalisées montrent que le corps ainsi conservé ne dégage aucune odeur et garde sa flexibilité, sa "fraîcheur" et sa teinte naturelle pendant deux à trois mois, avant de se dessécher, se durcir et prendre une teinte sombre. La méthode est extrêmement efficace.

Cinabre

Le cinabre est un minéral écarlate composé de sulfure de mercure connu depuis l’Antiquité. On l’extrait principalement des mines se trouvant en Italie, en Espagne ou en Slovénie. Le cinabre réduit en poudre est utilisé comme pigment pour l’imprimerie et la peinture. Le cinabre était très important dans l’Empire byzantin, car le pourpre est la couleur impériale, et il permettait d’authentifier les actes de la chancellerie impériale. Il est également utilisé en pharmacopée, notamment pour le traitement de la syphilis.

Arsenic :

L’arsenic est probablement l’un des poisons les plus célèbres, au point qu’on le surnommait "poudre de succession" sous Louis XIV. Son utilisation dans les étapes de l’embaumement fut interdite en 1846.

"La vente et l’emploi de l’arsenic et de ses composés sont interdits pour le chaulage des grains, l’embaumement des corps et la destruction des insectes.”

Moniteur du 31 octobre 1846 ; Ordonnance du Roi, titre II, art. 10.

Mummia di Gaetano Arrighi 1La momie de Gaetano Arrighi

La momie de Gaetano Arrighi est un exemple rare d’embaumement, réalisé selon la méthode de Giuseppe Tranchina. Gaetano Arrighi est né à Arezzo en Toscane durant l’année 1789, il fut emprisonné au bagne de Livourne pour des raisons politiques. Le 3 mars 1836, il est hospitalisé à l’Ospedale di Sant’Antonio pour une pleurésie. Il meurt dans cette institution le 9 mars et, son corps n’étant pas réclamé par sa famille, le Dr Raimondo Barsanti, directeur de l’hôpital, l’utilise le 10 mars pour éprouver la méthode Tranchiniano.

La momie aujourd’hui mesure 153 cm et pèse 19,300 kg. Le corps a une texture de bois et son teint est brunâtre. Les globes oculaires ont été remplacés par deux prothèses. La région latéro-cervicale gauche, parallèlement au muscle sterno-cléido-mastoïdien, montre une incision d’environ 18 cm de longueur, 2 cm au-dessus du sternum, pour l’injection.

Jusqu’en 2005, la momie d’Arrighi sert de modèle anatomique pour l’enseignement et reste à l’hôpital de Livourne, puis elle est donnée au musée d’anatomie humaine de Pise où elle est encore présentée aujourd’hui. Entre novembre 2006 et juillet 2007, elle est restaurée par le musée et subit un traitement contre les insectes. En mai 2012, la momie est scannée en 3D et reproduite en résine pour un collectionneur privé qui souhaitait en obtenir une copie exacte.
 
Nicolas Delestre
Historien de l’embaumement, spécialiste en techniques de préservation des corps.
Directeur du centre de formation en thanatopraxie et thanatoplastie AFITT.
 
Sources :
La mummia di Gaetano Arrighi al Museo di Anatomia (pisanotizie)
Ciranni R, Caramella D, Nenci R, Fornaciari G, The embalming, the scientific method and the paleopathology: the case of Gaetano Arrighi (1836), Medicina nei Secoli, 2005.
 
Résonance n° 174 - Octobre 2021

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