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Il est possible dans la carrière d’un embaumeur d’être confronté à l’embaumement d’un corps congelé. En effet, il n’est pas rare de découvrir des personnes décédées dans le froid dont le corps aurait été congelé partiellement ou complétement. De plus, il est parfois nécessaire de conserver un corps pour une très longue durée en chambre négative. Tout cela s’impose comme un nouveau défi pour l’embaumeur.


Personnellement, j’ai travaillé dans une université où nous avions recours à la conservation par le froid (-20°C) pour une certaine quantité de corps. Après la décongélation, il était souvent nécessaire de les embaumer afin de les conserver pour travailler dessus. Plusieurs problèmes se sont posés à moi : Comment congeler ? Comment décongeler ? Comment embaumer ? Je vais tenter de vous exposer mes "solutions".

La manutention des corps congelés

Il faut tout d’abord prendre des précautions afin de ne pas rester collé sur le corps, l’usage de gants est donc indispensable. Dans l’hypothèse où le corps est collé sur le sol, il ne faut surtout pas forcer pour le bouger, sous risque d’arracher la peau. L’utilisation d’antigel est alors requise, contrairement à l’eau chaude qui est totalement proscrite. En effet, cela pourrait causer du skin slip (désquamation).

La congélation du corps en chambre négative

Si vous devez congeler un corps pour l’embaumer ultérieurement, il est important de respecter plusieurs étapes. Il faut garder à l’esprit que la congélation déshydrate. Il faut donc prendre certaines précautions. Vous pouvez faire l’expérience de laisser un morceau de viande dans votre congélateur sans l’emballer dans un sac en plastique, vous constaterez que celui-ci s’est complètement déshydraté.

En laboratoire d’anatomie, lorsque nous devons conserver un organe par congélation on le plonge dans un récipient contenant de l’eau et on congèle le tout. Cela formera un bloc de glace qui le protégera de la déshydratation. Il est évident que ce n’est pas possible pour un corps entier, mais nous pouvons tout de même nous inspirer de cette méthode.

Avant la congélation, il faut couvrir généreusement les mains et le visage de crème de massage ou de vaseline afin d’éviter les brûlures par le froid et recouvrir entièrement le corps de linges très humides. Il faut ensuite placer le tout dans une gaine d’ensevelissement en plastique. Tout cela limitera fortement la déshydratation.

La décongélation

C’est à mon sens l’étape la plus délicate qui aura le plus d’impact sur le résultat final. L’idéal est de laisser le corps congelé plusieurs jours en chambre positive (4°c) et de l’embaumer lorsque l’abdomen est bien vert. C’est le meilleur signe indiquant une décongélation complète. La veille de l’embaumement vous pouvez également mettre le corps sur la table d’embaumement et le laisser à température ambiante toute la nuit afin de booster la décongélation.

Si vous n’avez pas la possibilité d’attendre plusieurs jours pour la décongélation, il est possible d’obtenir un résultat permettant l’embaumement en quelques heures. Il faut, pour cela, placer le corps sur une table munie d’évacuation d’eau, le recouvrir de linges et le rincer pendant plusieurs heures avec de l’eau tiède (15 à 20°c maximum). Il ne doit pas y avoir de contact direct entre l’eau et le corps et l’eau ne doit pas être trop chaude sinon il en résultera un skin slip garanti.

Bien que cette solution prenne beaucoup de temps, elle s’avère être la plus rapide et efficace. Durant cette étape, il faut toutefois éviter de manipuler inutilement le corps, car à -20° il y a formation de cristaux de glace dans les tissus. Ces cristaux agissent comme une multitude de lames abîmant les cellules des tissus, ce qui peut causer des problèmes lors de l’embaumement. En effet, si les cellules sont abîmées, lors de l’injection, le fluide d’embaumement pourrait rentrer dans les cellules et les faire gonfler, ce qui causerait un gonflement des tissus.

Généralement l’abdomen prend plus de temps à décongeler, on peut facilement juger de sa décongélation en effectuant une légère pression sur celui-ci. On peut même sentir la présence des cristaux. Une partie sur laquelle il faut porter beaucoup d’attention est la tête, et plus précisément le cerveau. Il n’est pas possible de savoir si le cerveau est bien décongelé, il faut donc bien arroser à l’eau tiède la tête et la région cervicale.

received 1140676846750866L’embaumement

Lorsque le corps est bien décongelé, on peut commencer l’embaumement. Généralement l’abdomen est moins bien décongelé que les membres, ce qui est un élément important qui influence le choix de la technique à employer. Je conseille une injection six points et l’injection cervicale restreinte pour garder un bon contrôle sur l’embaumement de la tête.

Pour un délai d’exposition normal (4 à 5 jours) j’utilise un fluide de concentration entre 2 et 3 % et la tête injectée sans eau. J’utilise cette concentration car on peut s’attendre à une très mauvaise distribution artérielle. J’utilise un fluide de température tiède (15 à 20°c). Comme expliqué plus haut, la congélation à souvent pour effet de déshydrater les tissus et il est donc utile d’ajouter un humectant dans le fluide artériel. De même, il est bon de mettre une bonne couche de crème de massage sur les mains et la tête, idéalement appliquée au pinceau.

Lors de la recherche artérielle, l’embaumeur peut être déstabilisé par le changement de texture des tissus et de la graisse qui apparaissent très déshydratés, ainsi que par les vaisseaux sanguins qui changent de couleur. L’artère est généralement plus rougeâtre et les veines ont leur paroi qui s’épaissit, jusqu'à presque la confondre avec une artère.

L’injection

Je commence par une injection cervicale restreinte. Je débride la carotide droite et gauche que j’intube vers la tête pour laisser écouler le retour artériel, clampe la carotide gauche et injecte le corps par la carotide droite. En parallèle, j’effectue un drainage jugulaire droit idéalement au forceps (en général on obtient très peu de drainage).

L’injection doit se faire très lentement en augmentant très progressivement la pression. Une injection par gravité serait idéale. L’utilisation de certaines machines électroniques adaptant la pression automatiquement ou injectant par pulsations peut donner un très bon résultat.

Il faut garder à l’esprit que la congélation diminue l’élasticité des capillaires et les rend cassants. Les premiers signes de cela sont les capillaires pulmonaires qui cèdent sous la pression de l’injection ce qui est visible par une purge de fluide et d’air provenant des poumons, caractérisée par de la mousse à la bouche. Tout cela risque de causer un court-circuit artériel et il faut donc injecter les membres supérieurs par les artères brachiales et les membres inférieurs par les fémorales ou iliaques externes.

J’effectue une injection distale des membres inférieurs, et une injection proximale afin de bien saturer l’abdomen qui passe généralement moins bien car il n’est pas toujours bien décongelé. La saturation de la paroi abdominale est garantie par les anastomoses de l’artère épigastrique superficielle. Bien entendu, si la diffusion n’est pas bonne, il est de la responsabilité de l’embaumeur d’injecter par d’autres sites les membres ou d’avoir recours à des injections hypodermiques, et ce pour tout le corps.

Je finis par la tête avec un fluide à plus forte concentration, sans eau, mais avec un ajout d’humectant pour la préserver de la déshydratation. Si la personne est décédée à l’extérieur dans des conditions propices au gaz des tissus, il faut être attentif à ces signes et éventuellement effectuer un traitement préventif par l’ajout d’un co-injectant spécifique.

Le traitement des cavités

Il se fait de manière standard par l’aspiration et l’injection d’un fluide de cavité au trocart. La graisse abdominale déshydratée a tendance à obstruer le trocart, il faut être vigilant sur ce point afin d’avoir une ponction optimalisée. L’idéal serait de pouvoir ré-aspirer les cavités plusieurs heures après et de réinjecter du fluide de cavité. Car si l’abdomen n’est pas totalement décongelé, le méthanol généralement contenu dans le fluide de cavité aidera à la décongélation et on pourrait ré-aspirer une bonne quantité de liquide. L’utilisation de cosmétiques est souvent nécessaire pour le parachèvement de l’embaumement et donne de bon résultats.

En conclusion, l’embaumement d’un corps congelé demande beaucoup de temps, surtout pour la décongélation, mais donne un résultat plus que satisfaisant. La seule ombre qui persiste est : avons-nous le temps de faire tout ce travail dans nos entreprises où, de nos jours, la rentabilité a souvent plus d’importance que le résultat d’un embaumement ?
 
Alain Koninckx 
Thanatopracteur

Résonance n° 178 - Mars 2022

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