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Lorsque je rencontre quelqu’un pour la première fois et qu’il me demande ce que je fais dans la vie, je réponds toujours fièrement : embaumeur ! Cela crée souvent un moment de flottement, lors duquel je dois m’expliquer. "Je prépare les défunts pour qu’ils puissent être présentés à leurs familles et proches." Cela laisse généralement mon interlocuteur pantois…


L’effet de surprise révolu laisse place la plupart du temps à deux types de réactions. La première est positive si mon interlocuteur connaît mon métier. En effet, certaines personnes reconnaissent l’importance des soins de thanatopraxie dans les funérailles après avoir vécu personnellement la perte d’un proche ayant bénéficié de mes services ou de ceux d’un de mes confrères. La seconde réaction est négative, voire de rejet. Selon ces personnes, les soins ne servent à rien. Il n’est d’aucune utilité de revoir un défunt, et souvent d’ajouter : "Pour moi, une boîte en bois et hop au feu" ! Avec l’expérience, ce genre de réaction est aujourd’hui facile à réfuter.

L’allégorie qui peut être avancée est celle d’une mère qui perd son fils de vingt ans dans un accident de moto. Cet exemple est, je le conçois, caricatural, mais ô combien efficace. Si cette maman ne peut revoir son fils, elle ne pourra mener à bien son deuil.

Incontestablement, il est inconcevable pour elle que son fils ne soit plus. Par conséquent, si elle ne le revoit pas, dès qu’elle entendra au loin les trémulations d’une moto, elle pensera revoir son fils sain et sauf. Par ailleurs, revoir son fils fracassé par l’accident serait inacceptable et inhumain.

En outre, les étapes du deuil sont bien connues. Le déni est d’ailleurs l’une des premières. Quoi de mieux que de "le voir pour le croire" ? Pour cette mère, il est essentiel de voir son enfant pour accepter le fait qu’il n’est plus ; et dès lors, mon travail prend tout son sens. En effet, la thanatopraxie va lui permettre de voir son fils une dernière fois dans les meilleures conditions possibles, avec dignité. La douleur n’en sera pas moindre, mais elle pourra plus facilement l’accepter. Il ne rentrera plus à la maison car il est là, dans ce cercueil.

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Les questions suggestives

Ces questions qui sont posées par les conseillers funéraires "Souhaitez-vous le revoir ?", "Souhaitez-vous laisser le cercueil ouvert ?" ne sont pas anodines. En effet, une réponse affirmative changera l’organisation des funérailles ainsi que le travail de deuil de la famille.

Préparer un défunt demande du savoir-faire, du temps et de la communication. La pompe funèbre s’expose au risque que la famille ne soit pas satisfaite de la présentation et demande des explications quant au résultat non escompté. Par conséquent, il pourra être nécessaire de fermer le cercueil, de s’organiser avec la famille. Tout cela est chronophage…

Le conseiller funéraire est là pour épauler les familles, les accompagner dans le deuil, mais il est aussi un commerçant, avec un devoir de rentabilité pour l’entreprise. En tant que bon vendeur, il incitera à fermer ou laisser ouvert le cercueil selon la formule de communication employée envers la famille. Prenons l’exemple d’une personne âgée qui décède à l’hôpital. Le conseiller souhaitant fermer le cercueil immédiatement tiendra un discours en ce sens. "Je suppose que vous ne souhaitez pas revoir votre défunt ? L’image de votre papa à l’hôpital, appareillé, était éprouvante et cela n’est pas nécessaire d’ajouter une nouvelle épreuve à votre douleur."

La plupart des familles se rangeront derrière l’avis du professionnel. En revanche, le conseiller souhaitant proposer de laisser le cercueil ouvert tiendra un tout autre discours. "Je suppose que la vue de votre papa à l’hôpital, ainsi appareillé, vous encourage à souhaiter le revoir dignement afin de garder une belle dernière image ?" Cette deuxième alternative finalisée par un point d’interrogation et formulée sous forme de question laisse donc sous-entendre que le choix revient à la famille et que celui-ci n’est pas imposé par le conseiller.

Il est aujourd’hui avéré que notre identité funéraire est majoritairement bâtie autour la présentation du défunt. Lors de la première vague de la Covid-19, les inhumations à cercueils fermés et l’impossibilité de se recueillir ont été légion. Notre identité funéraire ayant été volée, nous avons pris conscience de l’importance de cette dernière visite, de ce dernier hommage. Indéniablement, notre façon de vivre le deuil, de prendre soin des défunts nous définit en tant qu’humain et société.

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Le voir pour le croire comme fil conducteur

Tel saint Thomas, l’esprit humain est fait de telle manière qu’il doit voir pour croire. Ainsi, combien de personnes sont aujourd’hui persuadées que Ben Laden ou Mickaël Jackson sont encore vivants ? Des siècles de tradition funéraire s’expriment comme cela. En effet, on doit avoir vu le défunt pour accepter son départ, et pas de n’importe quelle manière. C’est ici qu’intervient le concept de la "belle mort". Il n’est pas compliqué pour des étudiants (les miens sont soumis chaque année à la question), et a fortiori pour un quidam, de définir une "belle mort".

Il s’agit pour chacun de partir tranquillement dans son sommeil. D’ailleurs, depuis la mythologie, hypnos (le sommeil) et son jumeau thanatos (la mort) sont intimement liés. Notre langage en est influencé, et il n’est pas rare que l’on utilise la métaphore "Il s’est endormi" pour adoucir la réalité de la mort. De même, le terme "le défunt repose" fait référence au sommeil. Il est, dès lors, normal que l’on présente le défunt dans un lit, ou un cercueil, en position allongée, avec un oreiller et une couverture, les yeux fermés, l’air reposé, mimant le sommeil.

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Le sommeil comme objectif

Présenter un défunt correctement n’est pas une chose aisée. L’impression générale doit simuler le sommeil. Ainsi, entendre la famille chuchoter "On dirait qu’il dort" est gage de réussite. Cependant, de petits détails interpellent fréquemment la famille. Une bouche fermée, avec une expression neutre, choque souvent les proches, et il est fréquent d’entendre "Il avait toujours un sourire". C’est à ce moment que les proches prennent conscience de la mort. La personne est étendue sur le lit. C’est elle, mais ce n’est plus elle. Son absence à jamais se fait sentir.

Le praticien doit donc mettre en œuvre son savoir-faire pour effacer tous les stigmates de la mort, à savoir la lividité de la peau, les traces d’intubation, des hématomes, les plaies… ou plus simplement la bouche ouverte, les yeux ouverts avec ce regard vide qui rappelle l’absence de vie.

Les situations extrêmes

Le corps peut parfois être fortement endommagé. Il est donc nécessaire d’avoir recours à la restauration faciale. Celle-ci permet dans la mesure du possible de présenter des corps dans des états avancés de décomposition ou fortement traumatisés. La restauration faciale est définie comme suit : "L’ensemble des techniques utilisées afin de restaurer l’apparence d’un défunt après un important traumatisme." Il s’agit donc de certaines circonstances tragiques comme les accidents de route, les suicides par armes à feux et autres évènements pouvant défigurer le défunt. Des techniques spécifiques doivent donc être utilisées pour rendre le défunt présentable, identifiable et idéalement reconnaissable. La restauration faciale est une alternative à la fermeture immédiate du cercueil.

Cependant, la restauration faciale a des limites et il est nécessaire d’être très prudent lorsqu’on la propose aux familles. Il convient de nuancer ce travail à l’aide des trois mots clefs : présentable, identifiable et reconnaissable. En effet, afin de ne pas décevoir une famille, il est important d’avoir une bonne communication et de ne pas promettre de miracle. Dire que l’on va faire tout ce qui est en notre pouvoir pour leur présenter leur défunt est une promesse qui est réalisable. Ainsi, tout sera réalisé dans le but qu’il soit présentable. Il est probable qu’il soit "différent" de ce qu’il était vivant, que des quantités conséquentes de maquillage devront certainement être utilisées. Tout cela est très important afin de ne pas choquer les gens.

Le thanatopracteur ne doit pas tomber dans le piège du "trop bien faire" et pécher par excès. En effet, il est parfois préférable de laisser quelques imperfections, car, en voulant atteindre la perfection, on risque de dénaturer l’identité du défunt. Il est tellement frustrant d’entendre après des heures de travail : "Ce n’est pas lui."

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La Covid-19 : nouveau challenge pour le monde funéraire

Ces deux dernières années ont été ébranlées par l’arrivée de cette pandémie qui a déstabilisé nos pratiques funéraires. Plus particulièrement, les confinements ont changé la prévalence des causes de décès. Les accidents de la route étaient proches de zéro ; les morts post-opératoires inexistantes par l’arrêt des blocs opératoires ; la majorité des décès était due à la Covid-19, avérée ou suspectée. Cela a remis en question nos pratiques funéraires en annihilant les veillées mortuaires, rendant impossible pour les famille de revoir leurs défunts. Cela a laissé un grand traumatisme pour les endeuillés.

On parle souvent en termes de "vague". La première vague était effroyable, car nous ne savions pas à quoi nous attendre. Le manque d’informations fiables sur le virus couplé à la pénurie de matériel de protection individuel ont créé un climat anxiogène. La fermeture immédiate des cercueils a été traumatisante pour les familles, comme pour les pompes funèbres, qui ne reconnaissaient plus leur métier. Seuls les corps pour les rapatriements ont été embaumés afin d’attendre les jours meilleurs pour le départ (Belgique).

La seconde vague, et toutes les autres, ont été abordées plus sereinement, les informations et le matériel de protection étant disponibles. Il était même possible de présenter les défunts "Covid positif" aux familles (Belgique), donnant de nouveaux challenges pour les thanatopracteurs. Les images de ces personnes allongées sur le ventre en unité de soins intensifs résonnent encore en chacun. Ces corps sortant de ces unités de soins sont complexes à prendre en charge. La position sur le ventre a fréquemment donné lieu à des escarres sur la poitrine et le menton, en plus de l’utilisation de corticoïdes qui ont créé des œdèmes impressionnants. Nous avons dû nous adapter et nos travaux de restauration faciale ont été principalement ciblés sur la rétention d’eau, les escarres sur le visage et les traces d’intubation.

Les soins de thanatopraxie ont permis à des centaines de familles de se recueillir en toute sécurité, grâce à la désinfection que permettent les soins, en plus d’une valeur esthétique indéniable.

Le cercueil ouvert a encore de beaux jours devant lui

À l’époque actuelle, on aurait été tenté de croire que revoir un défunt perd de son intérêt. Cette pandémie a permis de prendre conscience de l’absolue nécessité de voir, de veiller nos défunts. Bien que les rites funéraires aient beaucoup changé ces dernières années, l’ADN de notre identité funéraire reste intimement lié au cercueil ouvert.
 
Alain Koninckx
Thanatopracteur
Spécialiste en reconstruction faciale

Résonance n° 180 - Mai 2022

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations