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Qu’est-ce que la mort ? Qu’est-ce qu’un cadavre ?
Si ces questions paraissent d’emblée tout à fait futiles, elles dévoilent néanmoins une extraordinaire complexité(1). Toutefois, on considère de façon conventionnelle que la mort se définit par la cessation de l’activité cérébrale qui représente le critère prédominant en cas de prélèvement d’organes.


Ainsi, la définition juridique de la mort apparaît dans l’art. R. 1232-1 du Code de la santé publique, relatif au don d’organes. Cette disposition annonce notamment que : "[…] Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents : absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée, abolition de tous les réflexes du tronc cérébral, et absence totale de ventilation spontanée."

Plus précisément, la mort représente pour Louis-Vincent Thomas la cessation de toute activité et de toute interaction au niveau systémique : "La mort est avant tout un processus biologique résultant d’un arrêt de la nutrition cellulaire. On meurt toujours, quelles qu’en soient les causes, d’une auto-intoxication de l’organisme, soit que le protoplasme n’actualise plus les processus d’assimilation ou de désassimilation qui entretiennent la vie, soit que le milieu où évoluent les cellules rende les échanges vitaux impossibles(2)."

La mort représente donc le passage de la dynamique de la vie à l’inertie du néant(3). En ce sens, nous pouvons la considérer comme l’arrêt d’un mouvement, d’une auto-organisation. Mais alors, quel statut éthique doit-on concéder au cadavre ? Est-il réifié ou reste-t-il, d’une façon ou d’une autre, une personne ?

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1 - Statut et droit du cadavre : chose ou personne ?

Il ne s’agit point ici de rentrer dans le débat du statut du mort, et plus encore de celui du cadavre. En effet, la question est bien trop complexe pour l’affiner ici, et la littérature ne manque pas sur le sujet(4). Néanmoins, le débat fait rage et a traversé les âges. Le débat a pu se situer au niveau culturel où, selon les systèmes de croyances, le cadavre est réifié ou, au contraire, considéré pleinement comme une personne.

C’est le cas des Toraja, qui considéraient le cadavre non pas comme un mort, mais comme un malade, tout de moins pendant un laps de temps plutôt conséquent(5). Ailleurs, on entretient ce que l’on appelle "cadavre sensible" où l’on va traiter le corps avec attention "de peur de lui faire du mal". Le thème très documenté de la mastication des morts serait aussi à mettre dans le sens de ce concept(6).

Les choses deviennent quelque peu complexes lorsque nous nous situons du côté purement législatif. Sans rentrer dans des détails assurément rébarbatifs, notons simplement que ce dernier confère au cadavre le statut de personne depuis le milieu du XIXe siècle(7), même si, selon les différentes sensibilités des juristes, le débat subsiste encore(8). Ceci est d’autant plus vrai que le cadavre ne jouit véritablement pas de tous les droits dus aux personnes. Citons, par exemple, le fait que : (Les) droits extra-patrimoniaux, le droit à l’image ou à la vie privée, un temps esquissé par la jurisprudence au profit du cadavre, (sont) désormais clairement niés(9).

Par ailleurs, il existe un autre domaine où la frontière entre statut et droit du cadavre est malléable, celui du don d’organes. En effet, le don d’organes fonctionne en France sur le principe de consentement présumé(10). En ce sens, tout mort est potentiellement donneur sauf s’il s’inscrit dans un registre national. Nonobstant, on observe dans la pratique que les professionnels se tournent principalement vers la famille pour décider du prélèvement d’organes, et ce, même si le donneur avait, lorsqu’il existait, une carte de donneur(11). En effet, l’opposition familiale prévaut sur le souhait du mort, et ce, pour des raisons culturelles, religieuses, et bien d’autres. Les vivants prévalent donc sur le mort, d’autant plus qu’ils peuvent exprimer un souhait opposé à celui qu’il avait exprimé de son vivant.

2 – Le cadavre réifié est un cadavre malmené

Il faut partir du constat que, dès lors que le cadavre n’est plus considéré comme une personne, il est réifié, il devient une chose. Et c’est alors que l’on peut faire subir à celui-ci tous les supplices imaginables. C’est une des raisons pour lesquelles la loi française protège le cadavre de toute atteinte corporelle, au même titre que les vivants. L’art. L. 225-17 du Code pénal punit toute atteinte à l’"intégrité du cadavre".

Or, force est de constater que cette disposition pénale figure non pas au chapitre des "atteintes aux biens", mais à celui des "atteintes aux personnes". La distinction, du moins en France, est clairement marquée en faveur du cadavre.

Cela étant dit, il n’en reste pas moins que, une fois réduit au statut de chose, le cadavre est souvent maltraité, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, pour des raisons politiques ou religieuses, comme le montrent les exhibitions de corps ou de parties de corps dans un grand nombre de cultures. Les Scythes, les Romains, les Gaulois montraient souvent lorsqu’ils montaient à cheval des têtes coupées en signe de puissance. Un nombre conséquent de statues gauloises et celtiques montrent l’exhibition de tels trophées (figure 1, essai de restitution d’un guerrier assis exposant des têtes coupées, provenant de l’oppidum d’Entremont (Bouches-du-Rhône, dessin R. Amblard d’après les restes de guerriers nos 5,  6 et  8, et les groupes de têtes nos 22 et 23, Marcadé, Salviat 1976).

Mais nul besoin de remonter le temps pour voir que la réification du cadavre conduit à son inexorable dégradation. Les récents évènements surgis à la faculté de médecine de Paris, où des corps donnés à la science étaient entassés de façon dégradante et étaient laissés à l’abandon depuis des années, a constitué un sursaut de conscience, dans le sens où ces corps maltraités allaient totalement contre l’éthique la plus élémentaire.

3 – Respect du cadavre et pandémie de la Covid-19 : un tournant du paradigme ?

La soudaine explosion de la pandémie que le monde a vécue pendant deux ans a été un révélateur du statut et du traitement donné au cadavre. En ce sens, les protocoles sanitaires visant à exposer les acteurs du funéraire le moins possible au virus impliquaient un traitement sommaire du cadavre. Ceci a pu donner lieu à une moindre attention donnée au corps mort. Par exemple, si les protocoles sanitaires indiens préconisaient l’utilisation, lors des autopsies, de scies à succion pour éviter les éclaboussures, la grande majorité ne pouvant s’en procurer ont opté pour une méthode jugée équivalente, mais extrêmement invasive pour le cadavre. Ils utilisaient en effet un marteau et une enclume(12).

Dans certains cas où le déferlement de cadavres morts du virus était trop important, les droits du mort étaient tout simplement niés dans certains pays, ne procédant plus à des examens post-mortem(13). Dans d’autres, la peur d’être contaminé par le cadavre amenait à les stocker, parfois en empilant les cercueils dans des endroits non dédiés, ou encore à utiliser des méthodes expéditives, invasives, pour les transporter, souvent par un personnel extérieur et non formé(14).

Il faut dire que tout cela a été provoqué par des politiques de prévalence sanitaire. En d’autres mots, les protocoles ont privilégié la sauvegarde sanitaire au détriment de la bonne gestion des morts ou du respect des coutumes funéraires(15). Comme dans bien des cas, le droit du cadavre est soit suspendu, soit nié pour bénéficier au bien commun, c’est-à-dire les vivants.

Conclusion

Le cadavre jouit, depuis très longtemps, d’un statut complexe, tantôt ambigu, tantôt changeant, fluide. Et cela part du constat le plus basique qui soit : "Si le cadavre demeure malgré tout un objet neutre, soumis aux lois de la physico-chimie, il se pose également comme support de croyances et d’attitudes en relation avec les pulsions de l’inconscient et les idées-force des systèmes socio-culturels. L’interférence entre le registre du réel et celui de l’imaginaire paraît inévitable(16)."

Ainsi, l’essence même du cadavre est indéfinissable, car interdépendante d’une maille de paramètres, la rendant un concept complexe, systémique. Par "complexe", nous voulons dire au sens où Edgar Morin l’a théorisé.(17) S’il jouit de droits, le cadavre n’en est pas totalement possesseur et ces derniers peuvent lui être suspendus, ou même niés. Un cadavre ne se plaindra jamais de la négation de ses droits. Si cela paraît absurde, il n’en demeure pas moins une des clés du problème.

Le cadavre dépourvu de droits est le cadavre réifié qui encourt le danger d’être maltraité, chosifié. Ce dernier fait a été bien mis en lumière par la récente pandémie de la Covid-19 qui a montré les limites du droit et du respect des cadavres. Nous pouvons ainsi nous demander si, en étudiant de manière plus poussée sur les droits des cadavres, nous n’aurions pas mieux géré le traumatisme des vivants lors de la pandémie. Car, par une ironie du sort, considérer les morts et en prendre soin, c’est aussi prendre soin des vivants.
 
Ian Gonzalez Alaña
Doctorant de l’Université d’Andorre
Chercheur en épistémologie et death studies
 
Nota :
(1) Youngner et al. (Ed.), (1999).
(2) Thomas (1981).
(3) Touzeil-Divina et al. (Ed.), (2014).
(4) Budiman  (2013).
(5) Thomas (1981) ; Arès (1997 ; 1998) .
(6) Raimbault  (2005).
(7) Touzeil-Divina et al., op. cit.
(8) Raimbault, op. cit. p. 833.
(9) Gruat & Gruat  (2016).
(10) Loi n° 76-1181 du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d’organes (prélèvements sur personnes vivantes et sur des cadavres à des fins thérapeutiques ou scientifiques).
(11) Depuis l’année 2018, l’Agence de la biomédecine a choisi de ne plus diffuser cette carte.
(12) Meshram et al. (2022).
(13) Khoo et al. (2020).
(14) Clavandier et al. (2021).
(15) Clavandier (2020).
(16) Thomas (1981).
(17) Morin (1951 ; 2005).
 
Résonance n° 182 - Juillet 2022

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