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Son évocation fait trembler les conseillers funéraires et les thanatopracteurs. Imaginez un corps intègre qui se décompose en un temps record, laissant le personnel funéraire impuissant, et les difficultés pour expliquer à la famille qu’il va être très compliqué de présenter l’être aimé.


On a déjà tous entendu parler du "tissu gaz", et certains l’ont même rencontré. Lorsqu’on y est une fois confronté, on ne l’oublie jamais ! Son odeur caractéristique et son apparence de corps décomposé depuis des semaines, alors que la veille le défunt était présenté dignement dans son cercueil, créent souvent l’incompréhension tant du personnel funéraire que de la famille. Dès lors, une maîtrise du sujet est nécessaire afin d’apporter des justifications correctes et claires à la famille qui, si elle n’est pas experte en thanatomorphose, sait qu’un corps ne se décompose pas en une nuit. En réalité, elle a tout à fait raison, sauf dans le cas du "tissu gaz".

Le "tissu gaz" est causé par une bactérie, le Clostridium perfringens (anciennement Clostridium welchii). Du vivant, cette bactérie anaérobie, sporulée et tellurique est responsable de la gangrène gazeuse qui, si elle n’est pas prise en charge à temps (antibiothérapie, débridement ou amputation), peut entraîner rapidement le décès du patient. Après le décès, elle est tout aussi virulente. En effet, elle se dédouble toutes les 7 minutes et est extrêmement résistante aux produits bactéricides. Par son action, le corps deviendra vert, voire noir, et dégagera une forte odeur caractéristique. Il gonflera extrêmement, et in fine se liquéfiera.

Ainsi, lorsqu’un corps se transforme si rapidement, deux aspects sont à considérer : sanitaire et psychologique

- Le premier aspect semble évident au vu de la rapide décomposition effective du défunt. Il est nécessaire d’agir rapidement dans une telle situation, et donc de faire appel à un thanatopracteur afin, tout au moins, de contenir le problème sanitaire et, au mieux, de représenter le défunt au funérarium ou à domicile, en fonction de l’état dans lequel le corps se trouve.
- Le second aspect est composé de deux volets.

a) Le premier volet se base sur l’incompréhension à laquelle sont confrontées les familles devant ce "phénomène" peu connu du grand public et parfois expliqué maladroitement par le conseiller funéraire.

b) Le deuxième volet est nécessaire à la justification de l’intervention d’un thanatopracteur (y compris son coût) avec une garantie incertaine de représentation dans certains cas de décomposition avancée du défunt.

Par expérience, le thanatopracteur possède deux types de clientèles. Celle qui appelle précocement dès les prémices du "tissu gaz", et celle qui ne s’interroge qu’une fois le couvercle du cercueil déboîté. Les plus aguerris sont, sans nul doute, formés à la thanatopraxie, alors que les autres n’ont aucune notion préalable de ce qu’est un "tissu gaz".

Les premiers ont eu la chance d’étudier et de discuter longuement ce sujet, alors que les seconds ne l’ont découvert qu’en l’appréhendant dans leur propre funérarium.

La nécessité d’informer l’ensemble du personnel funéraire n’est plus à prouver. Ainsi, chacun pourra reconnaître les signes visibles du "tissu gaz" et intervenir précocement avant que la situation ne devienne ingérable.

Concernant l’étiologie de ce phénomène, la cause du décès peut mettre en garde le personnel funéraire. En effet, la présence de cette bactérie tellurique, cousine de celle responsable du tétanos, est indispensable à la formation du gaz. La première cause de décès susceptible de déclarer un "tissu gaz", est l’accident de type "fermier" c’est-à-dire avec un contact avec la terre, tel un agriculteur mort dans son champ, un accident de chasse, un accident de la route (surtout de moto), une personne retrouvée sur un sol "souillé" (en rue, en cave…), ou encore une personne retrouvée dans les eaux stagnantes telles que les carrières.

La seconde cause de décès pouvant être responsable de son apparition est une chirurgie récente et principalement digestive, qui peut provoquer la migration du Clostridium vers le reste du corps. D’autres causes, comme une gangrène ante mortem, peuvent post mortem générer un "tissu gaz" généralisé. De même, une attention particulière doit être portée à toutes les blessures profondes (blessure par balle, couteau, fractures ouvertes, polytraumatisés…) et les injections de drogue qui créent des ouvertures profondes privées d’oxygène propices au développement de la bactérie. De même, le diabète, et plus particulièrement le traitement de celui-ci, crée un milieu interne acide qui est un terreau fertile pour le Clostridium.

Par ailleurs, la gestion d’un "tissu gaz" déclaré est souvent périlleuse, et les moyens disponibles sont peu efficaces. Ainsi, l’action des cellules réfrigérées (4 °C) n’est pas assez rapide face à la virulence du Clostridium. De plus, la congélation du corps engendre d’autres soucis, notamment en cas d’incinération ou de décongélation. En effet, lors de la congélation, la bactérie continuera son œuvre profondément dans les tissus, ce qui n’améliorera pas la situation lors de la décongélation*.

Par ailleurs, espérer inhumer ou crématiser le défunt dans la journée est rarement légalement et techniquement possible. De même, cet espace-temps est nécessaire à la famille afin de débuter son travail de deuil. Ainsi, l’anticipation reste donc la meilleure solution, puisqu’il est illusoire de penser que la fermeture du cercueil résoudra tous les problèmes.

La thanatopraxie : la solution efficace ?

Dès lors, la thanatopraxie est la solution sanitaire la plus efficace. Il est cependant nécessaire de savoir qu’il n’est pas toujours possible de représenter le défunt. Pour cause, les soins sur ce type de corps sont extrêmement compliqués, demandent beaucoup de temps, d’expérience et de produits thanatologiques. Cela induit donc souvent un surcoût pour la famille et l’incompréhension de celle-ci lorsqu’elle paie un service supplémentaire sans garantie de revoir le défunt, simplement pour gérer le problème sanitaire.

gaz veine

Certains signes sont pathognomoniques. Ils sont au nombre de 8, chacun méritant d’être connu voire reconnu, et même recherché.

1. Le gonflement des veines superficielles temporales

La présence de gaz dans le système vasculaire est une caractéristique du "tissu gaz". Comme la plupart des gaz, il aura tendance à migrer dans les parties sommitales du corps, et sera remarquable sur les tempes car celles-ci sont très superficielles et à nu lors de la présentation d’un défunt. De même, la jugulaire externe gonflée sera également aisément visualisée. Une simple pression sur la veine distendue permet de faire la différence entre du sang et du gaz de par la consistance.

À noter, qu’après un soin lamba, tout gonflement de veine doit être pris au sérieux. En effet, cela signifie toujours une formation de gaz à cet endroit, souvent sous la forme d’une poche de gaz qui s’est reformée après le soin. Cette situation est facile à corriger par une ré-aspiration des cavités et l’application d’un fluide de cavité astringent. Ce signe doit donc, dans tous les cas, attirer l’attention.

2. Le gonflement du cou, des bajoues et des paupières 

Ces parties visibles lors de la présentation du défunt sont également à surveiller. Le gaz contenu dans l’abdomen aura tendance à migrer vers la tête et à générer un gonflement du cou, des bajoues et des paupières ; ce qui constitue un signe irréfutable de la présence d’un "tissu gaz".

3. Le gonflement de l’abdomen, du scrotum et de la poitrine

L’abdomen est un espace dans lequel l’accumulation du gaz est systématique et conséquente. L’aspect tendu de l’abdomen et le bruit qu’il laisse à la percussion (un bruit tympanique tel un ballon de basket rebondissant ou la percussion d’un tambour) signalent la présence du gaz. Ce gaz se logera également dans le scrotum et la poitrine, qui gonfleront de manière impressionnante.

4. La circulation sanguine posthume sur le thorax et/ou les membres

Le lacis veineux post mortem représente un des signes les plus probants. Le sang en décomposition dans les veines de surface se marque de noir. Ce signe apparaît généralement initialement sur le thorax et les membres, avant de se généraliser.

5. La tache verte abdominale anarchique

La tache verte abdominale se développe toujours à la surface de l’abdomen, dans le quart inférieur droit au niveau du caecum. En revanche, lors d’un "tissu gaz", elle se développe de manière anarchique, ne respectant pas les séquences habituelles. Il n’est pas rare de voir ces décolorations verdâtres sur les flancs, entre les côtes, sur le thorax et la région inguinale, mais pas sur la partie inférieure droite de l’abdomen où elle commence son développement habituel.

6. Les desquamations ("skin slip") et les phlyctènes 

La desquamation est le résultat d’une détérioration enzymatique de la peau. Cela se caractérise par un décollement de l’épiderme par lambeaux. Cette condition est souvent jointe à la présence de phlyctènes (poches sous-épidermiques contenant un liquide sanieux), d’abord localisées dans les parties déclives de l’abdomen.

7. Les tissus spongieux et crépitements

Ce signe est également l’un des plus probants du "tissu gaz". Les tissus gorgés de gaz deviennent spongieux, facilement identifiables à la palpation du thorax où cet aspect débute généralement. Cette condition est doublée d’un crépitement (faisant penser aux céréales "Rice Krispies®") particulièrement audible lors des incisions.

8. La couleur verdâtre et l’odeur caractéristique 

La couleur verte d’apparition précoce et se généralisant rapidement est caractéristique de la décomposition par "tissu gaz". Par ailleurs, une odeur caractéristique, et reconnaissable entre mille, conforte l’expertise.

Lorsque tous ces signes précédemment cités sont présents, la présentation du défunt est compliquée. A contrario, en présence de quelques-uns de ceux-ci, le thanatopracteur expérimenté, en adaptant son protocole, est capable d’obtenir un bon résultat esthétique et sanitaire. Certains signes peuvent cependant complexifier la présentation, tels que les desquamations sur le visage qui nécessiteront un maquillage conséquent mettant en œuvre des techniques particulières. L’intérêt est donc de détecter précocement les signes avant-coureurs du "tissu gaz" afin d’optimaliser la prise en charge. En effet, celle-ci est idéale lorsqu’elle est rapide.

Par ailleurs, le soin de thanatopraxie, s’il est pratiqué très rapidement après le décès, avant les premiers signes visibles de présence du Clostridium, peut "freiner" la bactérie par un simple traitement "standard". Le Clostridium peut alors se développer a minima. Le gaz se développera alors dans l’abdomen, sans odeur, sans changement de coloration du corps. Ce gaz migrera ensuite vers le scrotum et le visage, où il sera le plus visible. Il est généralement possible de corriger ce problème par une ré-aspiration des cavités et l’introduction d’un fluide de cavité plus astringent.

En conclusion, le "tissu gaz" est une des pires conditions dans lesquelles peut se trouver un défunt. En sa présence, deux problèmes se posent : la salubrité du défunt et l’incompréhension de la famille.

• Dans les cas avancés, la prise en charge du défunt est primordiale afin de stopper la décomposition pour garantir un état sanitaire (éviter l’odeur, écoulement du cercueil…).
• Dans les cas débutant, la représentation du corps sera éventuellement possible, mais sera chronophage pour le thanatopracteur. Il est, dès lors, important de le détecter au plus tôt afin de garantir le meilleur résultat.

De plus, la famille dont le défunt était "intègre" ne comprendrait pas l’impossibilité de le revoir, puisqu’une décomposition aussi rapide n’est pas envisageable pour les profanes. Cette situation nécessite donc beaucoup de psychologie de la part de l’agent funéraire afin d’expliquer la situation sobrement.
 
Alain Koninckx 
Thanatopracteur
Spécialiste de la préparation de défunts
 
Nota :
* L’embaumement de corps congelés. Résonance funéraire, 2022, n° 178, pages 41 à 43.

Ce sujet, comme de nombreux autres sujets, sont également disponibles sous forme de conférences détaillées et propices à la discussion. Un catalogue de conférences est disponible auprès de l’auteur à destination des associations, fédérations, entreprises.
Résonance n° 187 - Janvier 2023

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