Voyager consiste en une dialectique binaire mettant notamment en tension un supposé point de départ et un éventuel point d’arrivée. Entre ces deux pôles, l’éloignement, la distance et l’ailleurs offrent la possibilité de se perdre, mais aussi de se découvrir.

 

Mexico 3850 7 fmtDe fait, par le voyage, une double rupture s’instaure, tout à la fois ajout et scission, permettant à l’individu d’accéder à une nouvelle forme d’errance. On s’octroie alors la possibilité d’adjoindre un intermède à sa propre durée, interstice complémentaire à sa propre condition. Nous l’aurons bien compris, tout déplacement dans l’espace est aussi, simultanément, un déplacement dans le temps. Les voyages, et les différents itinéraires qui les constituent, ne s’orchestrent pas seulement dans un espace géométrique, mais aussi dans un monde signifiant où se précise le relief des choses, ce qui nous donne la possibilité de distinguer l’essentiel en soi ou l’essentiel pour nous. Aussi, c’est l’une des raisons pour lesquelles le voyage peut avoir, aujourd’hui encore, plusieurs noms et différentes facettes : de Gulliver à Robinson, il peut être initiatique, touristique, solitaire ou professionnel, mais encore, il peut être celui du chercheur curieux, du conquérant passionné, de l’ethnologue, du rêveur, du poète, ou du pèlerin.

André Chabot est un voyageur du temps, qui oscille avec brio entre le passé, le futur et le présent. Ce promeneur nécropolitain, loin des itinéraires préfabriqués du tourisme de masse, élabore depuis une quarantaine d’années une œuvre photographique d’envergure, rassemblant à ce jour plus de 200 000 photographies en noir et blanc. Son travail artistique consiste en un inventaire ordonné de tombes, sculptures funéraires, chapelles sépulcrales, hypogées, cénotaphes et autres catacombes, photographiés dans le monde entier. Grâce à ce fonds iconographique conséquent et en perpétuel développement, André Chabot préserve par l’image le patrimoine funéraire mondial dans son étonnante diversité, et en élabore une véritable cartographie, qu’il archive, date et référence méthodiquement.

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Parmi ses très nombreux ouvrages, le livre "Les Petites Âmes mortes" est tout spécialement consacré au symbolisme funéraire d’une centaine de tombes d’enfants, photographiées dans différents pays d’Europe, mais aussi au Japon, en Serbie, au Canada ou aux États-Unis. Au-delà d’une simple succession de photographies, ce travail artistique interroge la douleur causée par la perte d’un enfant, cette "foudre" dont parlait Malraux, véritable tragédie totalement contraire à l’ordre naturel des choses.

Sous forme d’un parcours de mémoire, André Chabot met ici en lumière une stratégie universelle de la sublimation, orchestrée par des parents et des familles endeuillés tentant de conjurer l’inacceptable.

Cette étrange rétrospective de tombes d’enfants anonymes constitue une sorte de témoignage ethnographique, mais aussi sociologique. Nous découvrons ainsi certaines concessions, payées à comptant ou à crédit, véritables mausolées dont la grandeur et le style semblent traduire l’immense souffrance d’avoir perdu un tout-petit. Certaines tombes, aux allures de caveau solennel, sont surplombées par des sculptures funéraires représentant des petits gisants de pierre. D’autres sont ornées de sculptures représentant des enfants aux frimousses de granit, priant, jouant au ballon, au cerceau ou à la poupée. On découvre également des stèles plus modestes, mais tout aussi déroutantes, surmontées d’épitaphes fixées dans le bois ou recouvertes d’offrandes qui semblent maintenir à la vie les petits défunts : jouets fragiles, ours en peluche, biberon de lait, tétine de nouveau-né…

De rituels en hommages, toutes ces sépultures immortalisées par André Chabot nous apparaissent alors comme des extensions, des prolongements de ces jeunes âmes disparues, et nous rappellent que toutes les sociétés humaines sont confrontées au destin de leurs enfants morts. André Chabot expose la petite mémoire du monde, la mémoire affective, et s’il photographie le marbre, l’inerte et le figé, paradoxalement, il sauvegarde avant tout des traces de vie, de mouvement et d’humanité.

Vous pourrez retrouver les prochaines expositions et la liste des nombreux ouvrages d’André Chabot publiés aux Éditions Galerie Koma sur le site andrechabot.com.

Lolita M’Gouni

Agrégée en arts plastiques et doctorante en arts et sciences de l’art au sein de l’université Paris1-Panthéon-Sorbonne, Lolita M’Gouni se fait également connaître sous l’appellation "LMG névroplasticienne". En septembre 2015, elle inaugure sa chronique – Mort et Création –pour Résonance Funéraire, et signe ici son second article pour le magazine.

Résonance n°114 - Octobre 2015

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