Après trois ans d’activité en tant que salariée, qui lui ont notamment permis de se forger un "prénom", et surtout, une réputation, "Léa" a créé son entreprise : le Service de Thanatopraxie Parisien (STP). Évoluant dans une profession très masculine, à la limite de la misogynie, où la concurrence est très rude, elle a su tirer son épingle du jeu grâce à sa rigueur et à son professionnalisme. Résonance est allé à la rencontre de l’une des trop rares thanatopractrices françaises…

 
Résonance : Les métiers du secteur funéraire n’attirent pas majoritairement les femmes, et la thanatopraxie encore moins. Comment en êtes-vous venue à pratiquer cette activité professionnelle ?

Léa : Jeune, j’ai été interpellée par la mort… Non pas par curiosité ou fascination morbide, bien sûr, mais plutôt par ce qu’elle représente à mes yeux : une véritable énigme. Intrinsèquement, je ne suis ni triste, ni même angoissée par l’idée de mourir, mais véritablement interpellée par cette imprévisible inconnue présente dans la vie de tout un chacun. Après mes études, institut médico-légal et dons du corps devinrent mon quotidien. J’ai également exercé un certain temps le métier de croupier dans divers cercles de jeux en France et à l’étranger, mais c’est tout naturellement que je suis revenue vers mes premières affinités, et plus particulièrement la thanatopraxie, qui correspondait davantage à mes aspirations. Dans notre société, où la mort constitue un tabou, pouvoir en atténuer les traits et adoucir l’image repoussante qu’elle peut représenter, est un exercice passionnant.

Résonance : On dit que les femmes sont plus dans l’humain et dans la sensibilité. Est-ce toujours vrai dès lors que l’on côtoie la mort au quotidien ? Cela a-t-il changé votre vision des choses ?

Léa : En tout temps la femme a été perçue comme un être doux, souvent faible, dotée d’une certaine fragilité de corps et d’esprit. Bien sûr que les femmes et les hommes sont différents, mais peut-être plus par leurs aspirations profondes que par leurs capacités physiques ou leur nature. Bien souvent, les femmes apportent un regard et une approche différents, accompagnés de solutions pratiques et réalistes. Au-delà de ça, quels que soient la vocation ou le métier choisi, que l’on soit en apparence, tout en finesse, avantagé par Dame nature, généreux de cœur… ou à l’inverse, pragmatique, négligé ou froid et réservé, je pense que notre vraie nature ressortira dans la manière dont nous exerçons et vivons notre métier. J’en veux pour preuve certains thanatopracteurs très "masculins’’ qui démontrent au quotidien du goût et de la finesse dans l’exercice de leur métier, faisant preuve d’une vraie sensibilité face au deuil et à l’esthétisme.
Maintenant, pour répondre franchement à votre question… Non, ce métier n’a pas changé ma vision des choses sur le "vivant’’ ou la société en général, il m’a simplement fait évoluer, il m’a aidée à mieux comprendre le comportement et les réactions de chacun.

Résonance :
Léa, vous évoluez dans un métier plutôt masculin qui aurait même pu être considéré comme misogyne il y a quelques années. Quelles sont vos relations avec vos confrères et quels retours avez-vous des professionnels qui sollicitent vos compétences ?

Léa : Le métier de thanatopracteur a longtemps été considéré comme masculin, peut-être est-ce dû au poids des traditions, ou bien au fait qu’il sollicite des qualités supposées masculines telles que la force physique et la capacité mentale à supporter l’image de la mort, y compris la plus terrible. Les hommes se sont donc tout naturellement "accaparé" certains comportements ou métiers tels que celui-ci. En conséquence, dans ce métier, les femmes sont accueillies différemment en fonction de l’interlocuteur et de sa façon de considérer la gent féminine dans cette discipline. Pour certains, c’est un souffle nouveau, une touche de finesse et de douceur dans ce microcosme plutôt rude. Pour d’autres, c’est interpréter une fois de plus, comme une forme de revendication de l’égalité des sexes, une sorte de défiance vis-à-vis de dogmes établis implicitement par le temps et les préjugés.
Aussi, acquérir une crédibilité n’a pas toujours été chose facile. Il m’aura fallu une détermination "XXL" pour arriver à me faire une place dans ce métier majoritairement masculin.
Paradoxalement, j’ai été plutôt bien accueillie par mes confrères, et, en évitant toute ambiguïté dans les relations que j’entretiens avec chacun d’entre eux, je suis parvenue à être respectée pour la qualité de mon travail, mon professionnalisme et ma droiture. En somme, en complet accord avec mes principes et le bon français, disons que j’ai fait le choix de me présenter en tant que thanatopracteur, et non "thanatopractrice". Pour ce qui est de mes relations avec mes commanditaires, je suis toujours disponible pour ceux qui décident de m’accorder leur confiance, et surtout, j’exerce mon métier avec implication et passion. Ainsi, les retours ne peuvent être que positifs…
Dans un autre registre, et sans entrer dans le détail, ces mêmes commanditaires m’ont souvent sollicitée pour intervenir sur des personnalités plus ou moins connues, en amont d’une cérémonie officielle. Là encore, l’à-peu-près ou l’erreur ne pardonnent pas. Ces clients travaillent encore aujourd’hui avec moi…
À mes yeux, chaque défunt, qu’il soit une personnalité ou un parfait inconnu, mérite une attention particulière et un profond respect. Il doit faire l’objet d’un travail de qualité, non seulement pour que je pérennise mes relations avec les pompes funèbres pour lesquelles je travaille, mais surtout afin de satisfaire les familles car, au bout du compte, ce sont elles mes véritables clients.

Résonance : Justement, les familles, lorsqu’elles sont en contact avec vous, comment réagissent-elles ?

Léa : Chaque fois que je suis amenée à rencontrer les familles, j’observe des réactions différentes, mais dans la plupart des cas, elles sont étonnées de voir une femme intervenir sur le corps de leur défunt. De plus, ayant fait le choix de rester moi-même, en termes de féminité, d’aimer la finesse et l’élégance car, outre l’importance que j’attache au bien-être intérieur et à la sérénité, je fais également attention à l’image que je renvoie. Dès lors, les familles engagent le dialogue et n’hésitent pas à me questionner sur le "pourquoi" de ce choix professionnel.
Une chose est sûre, je n’ai pas le profil "extérieur" de l’emploi, ou tout du moins, je ne réponds pas à l’idée que la plupart des gens se font du Code vestimentaire du thanatopracteur. Cette particularité me permet d’instaurer un échange puis d’établir une relation de confiance avec la famille, ce qui est d’une importance capitale pour ensuite bénéficier d’une meilleure écoute et ainsi d’une plus grande compréhension du travail que je vais effectuer sur le corps de leur défunt. Toutes ces étapes me permettent, en plus des soins que je réalise, d’aider les familles et de les apaiser quant à la vision qu’ils ont de la mort. C’est là une des autres raisons qui ont fait que j’ai choisi cette profession.

Résonance : Il y a près de trois ans, vous décidiez de créer votre entreprise… Comment se déroule cette nouvelle aventure ?

Léa : Auparavant j’ai eu la chance d’exercer au sein d’une entreprise où j’ai beaucoup appris, professionnellement et humainement… Cela m’a permis d’acquérir une solide expérience. Par la suite, quand l’entreprise a été achetée par un gros groupe, la mentalité a changé, elle était en décalage avec mes aspirations profondes, je perdais l’intimité, la proximité et le contact. Bien que cette transition fût une expérience positive et très enrichissante quant à mes futurs projets, j’ai préféré continuer l’exercice de mon métier de manière indépendante.
La création de mon entreprise, je l’ai vécue comme une naissance, c’était pour moi un besoin existentiel, une étape à franchir ! Ce métier est certes difficile mais je le trouve passionnant, et pour continuer à l’exercer sereinement, je me devais de passer ce cap…
Échafauder un projet professionnel est une chose, mais le réaliser en est une autre ! Je voulais être en pleine confiance pour sa mise en place, c’était indispensable car une entreprise c’est fragile et, tout au long de sa vie, il faut en prendre soin et travailler sans relâche. On en devient presque monomaniaque mais il ne faut pas pour autant perdre de vue l’essentiel, rester soi-même et pratiquer son métier avec passion, rigueur quelles que soient les difficultés.
Aujourd’hui je continue sur cette voie dans laquelle je me suis engagée, je suis en apprentissage permanent et suis convaincue d’avoir pris la bonne décision.

Résonance :
Si demain une jeune femme venait vous demander des conseils pour devenir thanatopracteur, que lui diriez-vous ?

Léa : Pour ma part, je trouve que le métier de thanatopracteur est très gratifiant, voire épanouissant. Aider les autres de façon personnelle, au lieu de rester dans l’ombre au sein d’une société où tout n’est que pouvoir, profit et fanfaronnades, représente une véritable valeur à laquelle je me rattache volontiers et autour de laquelle je fédère quand l’occasion se présente.
Ensuite, pour être thanatopracteur, il faut être convaincu de vouloir faire ce métier, l’aimer suffisamment pour lui accorder de nombreux sacrifices. Il faut se dépasser, et surtout, savoir dépasser certains regards. Le thanatopracteur doit faire preuve d’une résistance physique et nerveuse, vu les conditions de travail parfois très difficiles.
Ce métier… c’est être confronté tous les jours au deuil, au chagrin des familles et des proches, être toujours disponible, à des horaires parfois exigeants, c’est intervenir sur des corps abîmés, accidentés, sur des enfants… Tout cela implique une grande maîtrise émotionnelle.
Enfin, je passe sur les odeurs caractéristiques de la matière en décomposition.

Depuis le début 2011, j’ai le privilège de faire partie des évaluateurs du jury national de thanatopraxie, ainsi, il m’arrive de discuter avec certaines jeunes femmes qui se présentent au concours. Elles sont pour la plupart très motivées pour exercer ce métier et je ne manque pas de les encourager à poursuivre leurs démarches.

Résonance : En conclusion, y a-t-il quelque chose que vous souhaiteriez ajouter ?

Léa : Oui, je souhaiterais apporter une petite précision. La plupart des gens limitent trop souvent la thanatopraxie aux seules pratiques de la conservation ou de la restauration de corps. Mais le métier de thanatopracteur exige d’autres compétences, car il fait également appel à des qualités de précision et d’esthétique, et c’est là le troisième pendant de notre métier, à savoir la cosmétologie.
Vu les nombreuses qualités et sacrifices requis par notre métier, j’émets l’espoir que, en cette période de Toussaint, je n’aurai plus à lire ou à entendre dans certains médias que l’intervention d’un thanatopracteur consiste en une simple injection de formol…
 
Propos recueillis par Résonance.

 

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations