C’est justement parce qu’il consacre une solution traditionnelle que cet arrêt mérite d’être relevé. Qui de la veuve ou de la famille du défunt est en droit de choisir le mode des funérailles ? La réponse à cette question implique de rappeler ce qu’est le principe de la liberté des funérailles et les procédures ouvertes pour en assurer le respect.
La liberté des funérailles
La police des funérailles doit s’inscrire dans le respect du principe de laïcité et dans celui de la liberté des funérailles, qui lui est historiquement liée. S’appliquent les dispositions de l’article 3 de la loi du 15 novembre 1887 selon lesquelles tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, a le droit "de régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture". Cette liberté est d’ailleurs protégée par le Code pénal qui érige en délit le non-respect de la volonté du défunt (art. 433-21-1).
Lorsqu’elles n’ont pas été expressément formulées (comme dans l’affaire à l’origine de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 2 février 2010 reproduit ci-dessous), il va donc importer de déterminer quelle est la personne la plus apte à connaître les volontés du défunt quant à l’organisation de ses obsèques. Les textes ne sont, dans ce domaine, d’aucun secours puisque s’il est fréquemment fait référence dans le Code général des collectivités territoriales à "la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles", aucune définition légale ou réglementaire n’est donnée de cette personne.
L’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 (annexée : JO 28 sept. 1999 et mise à jour par l’IGEC, 29 mars 2002 : JO 28 avr. 2002, p. 7719) rappelle (§ 426), à propos de la définition de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, que :
"Les textes ne donnent aucune précision sur la définition de cette personne. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
1 - La loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles pose pour principe que c’est la volonté du défunt qui doit être respectée ; en conséquence, lorsqu’une personne a été nommément désignée par un écrit ou dans le testament du défunt, c’est elle qui est chargée de l’organisation des obsèques ;
2 - Lorsque aucun écrit n’est laissé par le défunt, ce sont les membres de la famille qui sont présumés être chargés de pourvoir aux funérailles ; enfin, lorsqu’il n’y a ni écrit, ni famille ou que celle-ci ne se manifeste pas ou reste introuvable, la personne publique (commune) ou privée qui prend financièrement en charge les obsèques a qualité pour pourvoir aux funérailles. Il appartient au juge civil, seul compétent en la matière, de décider quel membre de la famille ou quel héritier est, suivant les circonstances, le plus qualifié pour l’interprétation et l’exécution de la volonté présumée du défunt. En vertu d’une jurisprudence constante, le conjoint survivant a la priorité pour régler les conditions de la sépulture du défunt même sur les autres membres de la famille. Ce droit n’est cependant ni exclusif ni absolu. Des circonstances particulières peuvent faire écarter le droit du conjoint survivant. La Cour de cassation considère qu’à défaut d’ordre de préférence légal, il faut chercher les éléments permettant de déterminer qui apparaît comme le meilleur interprète des volontés du défunt (Cass. 1re civ., 14 oct. 1970, Vve Bieu c/ Cts Bieu. - CA Paris, 20 mai 1980, Nijinski et a. c/ Serge Lifar)".
La compétence du juge d’instance
Le juge d’instance est compétent pour trancher les litiges familiaux relatifs aux funérailles (COJ, ancien art. R. 321-12 devenu R. 221-7. - V. également CA Douai, 14 juin 1999 : Petites affiches 1er sept. 1999, p. 10, note X. Labbée). Le juge statue dans le jour de l’assignation et appel peut être interjeté dans les vingt-quatre heures. Le premier président de la Cour d’appel statue immédiatement (V. par exemple, CA Paris, Premier prés., 23 juin 1989 : Juris-Data n° 1989-023774 ; CA Pau, Premier prés., 25 janv. 2002 : Juris-Data n° 2002-182987). Un pourvoi en cassation (comme en l’espèce) peut être formé contre la décision rendue en appel.
Le juge d’appel ne peut déclarer le recours irrecevable quand il est formé un lundi alors que l’expiration du délai d’appel intervenait un samedi (Cass. 1re civ., 1er juin 2005, pourvoi n° 05-15.476. - Pour une illustration récente de ce contentieux, CA Paris, ord. réf., 3 juin 2005 - Cass. 1re civ., 15 juin 2005 : Dr. famille 2005, comm. 193, note B. Beigner).
Si la décision du juge est notifiée au maire, l’ancien article R. 321-12 précisait qu’il n’est pas "porté atteinte aux attributions de ce dernier, concernant les mesures à prendre dans l’intérêt de la salubrité publique". Ainsi, si le juge détermine la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, le maire pourra opposer à cette personne un refus, si les demandes qui lui sont présentées ne répondent pas aux conditions posées par le Code général des collectivités territoriales.
Le respect de la volonté du défunt va également permettre d’obtenir - mais il s’agit alors d’un contentieux différent puisqu’il intervient après les funérailles - l’exhumation d’un défunt (CA Poitiers, 7 mars 2007, B. c/ L. ; V. D. Dutrieux, Volonté du défunt et volonté du fondateur de la sépulture : JCP N 2008, 1178, p. 24).
Par ailleurs, ce contentieux ne doit pas être confondu avec le contentieux civil de l’utilisation de la sépulture qui est du ressort de la compétence du tribunal de grande instance (V. notamment, Cass. 1re civ., 23 mai 2006, pourvoi n° 05-13774 ; Dr. famille 2006, comm. 195, note D. Dutrieux).
L’absence d’interférence de la question religieuse
L’affaire à l’origine de cet arrêt du 2 février 2010 n’est pas sans rappeler celle qui, sur Lille, avait retenu l’attention des médias concernant les enfants d’un défunt ayant sollicité sa crémation, alors qu’une concubine avait contesté cette décision au motif que le défunt était musulman (la religion musulmane refuse en effet la crémation ; V. D. Dutrieux, La commune et la crémation : éd. Territorial 2009). Or, la Cour d’appel dans une décision du 3 juin 2005 précitée, confirmée par un arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2005 (voir ces arrêts et le commentaire du doyen Beigner dans : Dr. famille 2005, comm. 193), avait considéré que "Amar B, s’il n’était pas un pratiquant régulier, était de tradition musulmane, qu’il avait manifesté le vœu d’être inhumé, et que rien ne permettait d’affirmer qu’il eût entendu rompre tous liens avec cette tradition".
Or, un tel argument n’a nullement été soulevé ici, puisque seule la volonté d’un "retour au pays" était avancée par la famille. Dès lors contrairement à l’affaire de 2005, ce sont bien les principes traditionnels qui vont prévaloir et la veuve, du fait de la durée de son union avec le défunt, aura le dernier mot pour l’organisation des funérailles, malgré l’opposition de la mère et des frères et sœurs dudit défunt.
La jurisprudence de 2005 n’est nullement remise en cause, mais, en l’espèce, les principes traditionnellement retenus (comme en atteste l’IGEC partiellement reproduite ci-dessus) sont confirmés.
Damien Dutrieux,
Maître de conférences associé à l’Université de Valenciennes, consultant au CRIDON Nord-Est.
Annexe :
RÉPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
La Cour de Cassation, Première Chambre civile, a rendu l’arrêt suivant : |
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